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Guerre hybride et sharp power : du Kosovo à l’Ukraine, construction d’une nouvelle stratégie politico-militaire russe à l’ère Gerasimov [Partie 2/2]

La “Doctrine Gerasimov” et le “Sharp Power” constituent, depuis 2014, le fil rouge de toute la stratégie russe. Approche hybride, elle repose autant sur la guerre de l’information et la cyber guerre, que sur l’usage des armes. Cette doctrine porte le nom de son grand ordonnateur, le Général Gerasimov.

 

La première partie de cet article revient en détail sur la partie théorique de la doctrine de guerre hybride russe. Cette nouvelle partie présente deux cas concrets d'application de cette doctrine…

 

L’annexion de la Crimée, terrain d’expérimentation de la stratégie de guerre hybride russe

Si un cas peut bien servir d’exemple de synthèse pour analyser la coordination de tous ces moyens de guerre hybride, c’est probablement l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Avant cet épisode, il y avait bien sûr eu de premiers cas d’étude en Estonie (2007) et en Géorgie (2008). Mais la Crimée reste le premier cas où l’intégralité du spectre de la guerre hybride a été mis en œuvre. 

 

Si l’annexion de la Crimée a lieu en 2014, les “mesures préventives” et les opérations d’influence russes commencent bien avant et se renforcent pour atteindre leur pleine puissance au moment des événements de l’Euromaïdan à Kiev. A ce moment, la stratégie russe est double, jouant sur deux tableaux : d’une part, la Russie souhaite éviter le virage vers l’Ouest de l’Ukraine ; d’autre part, conscient que ce virage est déjà engagé, la Russie souhaite déstabiliser la société ukrainienne dans certaines régions pour créer des conditions favorable à une “opération en profondeur” irrégulière si elle devait se justifier (c’est-à-dire en cas de perte définitive du pays au profit du bloc de l’Ouest). 

Dans ce cas donc, contrairement aux opérations informationnelles du siècle passé, ces méthodes de guerre de l’information et d’influence ne sont pas utilisées en support d’opérations militaires, durant la guerre ; elles sont utilisées en temps de paix, avant même que la guerre n’éclate ou avant même qu’elle ne soit envisagée. Elles précèdent les opérations militaires, qui ne sont vues finalement que comme le moyen d’aller concrétiser la prise d’une place forte qui se serait déjà rendue.

 

Dans les faits, cette stratégie russe a échoué puisque c’est le bloc pro-occidental qui a pris le pouvoir en Ukraine et les agitateurs pro-russes n’ont pas sû créer un effet de traction suffisant pour réussir une sécession propre et incontestée. Cet échec a poussé la Russie a actionner une autre phase de son approche de la guerre hybride : tout en maintenant sa pression par des attaques dans les champs immatériels, la Russie a lancé des “opérations en profondeur” impliquant des forces militaires utilisées de manière irrégulière. C’est par ces méthodes que la Russie a pris le contrôle de la Crimée, selon une chronologie aujourd’hui bien connue : 

  • Le 22 février 2014, le Président ukrainien Viktor Ianoukovitch est destitué de son poste par le Parlement Ukrainien à la suite des événements de l’Euromaïdan, marquant ainsi la défaite de la stratégie russe et ses “mesures préventives”.

  • Le 22 février même, vers 21h, la Russie décide de mobiliser plusieurs centaines de ses Spetsnaz (forces spéciales) et de ses VDV (forces parachutistes de choc) qui embarquent dans plusieurs bateaux direction la Mer Noire et l’enclave russe de Sébastopol, en Crimée.

  • Le 24 février, deux jours après, un russe et pro-russe est opportunément élu maire de Sébastopol et réclame la protection de la Russie pour sa ville et “pour tous les Russes de Crimée.”.

  • Le 25 février, un navire russe débarque environ 180 soldats (VDV, Spetsnaz et GRU) dans le port de Sébastopol ; ceux-ci commencent le même jour des patrouilles dans la ville en se faisant passer pour une milice citoyenne locale et/ou pour des policiers locaux.

  • Le 27 février, ces hommes investissent finalement le Parlement de Crimée et y hissent le drapeau russe, en se faisant passer pour une milice citoyenne locale ; immédiatement après, un “conseil de citoyens” local, piloté par le GRU russe, acte la création de plusieurs forces de police locales pour “protéger l’île” : ces hommes utilisent des uniformes ukrainiens mais sont en fait des membres du GRU.

  • Tout au long de ces opérations non-conventionnelles menées par un petit groupe d’hommes, la Russie dirige aussi de grands mouvements militaires conventionnels pour attirer l’attention : elle viole à plusieurs reprises l’espace aérien et les eaux d’Ukraine, elle accumule des troupes dans les régions frontalières, etc… 

  • Enfin, dans le même intervalle de dix jours où ces opérations non-conventionnelles et conventionnelles avaient lieu sur le plan militaire, la Russie a aussi actionné tous ses moyens d’action dans les champs immatériels : 

    • Une soixantaine d’attaques cyber ont visé l’Ukraine, les médias et les infrastructures ukrainiennes pendant ces quelques jours pour déstabiliser le pays : la Crimée s’est retrouvée totalement isolée du reste de l’Ukraine, sur tous les plans.

    • Des moyens de guerre électronique ont aussi été utilisés par les Russes depuis leurs navires de Mer Noire pour brouiller les signaux des communications militaires ukrainiennes et brouiller l’émission des télévisions ukrainiennes.

    • Des attaques purement informationnelles ont soutenu et justifié la prise de contrôle russe sur la région, en diffusant des messages hostiles à Kiev, en répandant des rumeurs ou en encourageant l’action des “milices citoyennes” (en fait des Russes du GRU, comme expliqué précédemment). Ces messages visaient autant les populations de Crimée, que les Russes de Russie, que les Européens en général.

 

Si la débauche de moyens utilisés par les Russes dans le cadre de l’annexion de la Crimée (et plus largement de la “politique ukrainienne” du Kremlin) est très frappante, l’approche hybride de la Russie ne se limite pas à ces coups d’éclat perpétrés dans son étranger proche. Une infinité d'événements récents donnent des exemples concrets de la façon dont la Russie actionne les mêmes leviers d’influence et de guerre de l’information contre des cibles en Europe de l’Ouest.

 

 

Les réseaux d’influence russe en Europe de l’ouest : le cas de “l’Affaire Lisa”

Ce qui est appelé “l’affaire Lisa” est probablement le cas le plus emblématique de ces dernières années en termes d’opérations d’influence russe visant des cibles européennes. Le cas n’est pas important ou impressionnant par ses conséquences, il est important car il prend une dimension archétypale, permettant d’identifier toutes les étapes d’une opération d’influence russe.

Dans cette affaire, une jeune fille germano-russe de 13 ans vivant à Berlin, prétendait avoir été enlevée et violée par des migrants arabes alors qu’elle se rendait à l’école. D’abord passé inaperçu, le témoignage est rapidement repris par des sites et groupes nationalistes allemands, dans un contexte où le pays était profondément divisé par la politique d’accueil des migrants voulue par Angela Merkel. A ce stade, l’histoire reste toujours cantonnée à de petits cercles militants d’extrême droite. 

Mais la version allemande de RT et Sputnik, ainsi que plusieurs médias germano-russes vont entrer dans la danse et commencer à relayer massivement cette histoire et la désenclaver de son microcosme originel. Grâce à cette caisse de résonance russe, l’histoire devient rapidement le sujet le plus discuté en Allemagne. 

 

Le gouvernement allemand et la police émettent rapidement des doutes sur la véracité de cette affaire et suspectent déjà que l'événement est exploité par la Russie pour déstabiliser l’Allemagne en polarisant la société. Mais ce discours public des autorités ne fait que rajouter de l’huile sur le feu, une partie de la société allemande accusant les autorités de minimiser ou de vouloir étouffer l’affaire. Les autorités allemandes, en mettant en doute l’affaire, tombent en réalité dans le piège tendu par les Russes. Cela n’échappe pas aux autorités russes qui sautent sur l’occasion : Sergeï Lavrov lui-même, ministre des affaires étrangères de la Russie, se fend d’une déclaration officielle pour dénoncer le gouvernement allemand et son incapacité à protéger sa population…

Les tensions sont à leur paroxysme et continuent alors d’être alimentées par les médias et caisses de résonance russes ainsi que par une partie de l’extrême-droite allemande, mais aussi britannique, française et italienne. En Allemagne, de grandes manifestations de mouvements nationalistes locaux ont lieu.

 

L’affaire finira par se dégonfler quand il apparaîtra clairement et définitivement que la jeune fille avait en fait fugué de chez elle et n’a pas été violée. Mais malgré ce démenti, le mal était déjà fait et l’objectif déjà atteint : radicalisation et polarisation de l’opinion publique allemande, qui se trouve encore plus divisée sur un sujet de société (l’immigration) et encore plus divisée sur sa perception des autorités allemandes (gouvernement) et de son infrastructures (police, journalistes, juges…). 

Cette affaire anecdotique a marqué une prise de conscience de la vulnérabilité de la société allemande face aux attaques informationnelles, prise de conscience similaire à ce qui a pu se produire outre-atlantique au moment de l’élection de Trump ou en Grande Bretagne au moment du Brexit. 

Les sociétés occidentales, libérales et valorisant l’individualisme, prennent alors peu à peu conscience que leur point faible est la résilience et/ou la cohésion de leur population, des populations très hétérogènes sur le plan ethnique, politique, culturel ou religieux et donc propre à très vite se diviser sur des sujets de tension. Cette faille est habilement exploitée par les agents d’influence russe, qui n’ont de cesse de jouer sur les contradictions internes des systèmes de l’Ouest, en les pointant du doigt et en exacerbant toujours plus ces contradictions, conformément à la vieille théorie marxiste accélérationniste. 

 

Le cas de Lisa a ainsi offert une vision claire et synthétique, très actionnable, de la façon dont les Russes opèrent au niveau tactique pour concourir au succès de leurs objectifs informationnels : 

  • Détection (ou création de toutes pièces) d’un fait divers qui doit être :

    • a) Chargé émotionnellement (utilisation de femmes, d’enfants, d’animaux…)

    • b) Crédible (dans le cas de Lisa, même si l’histoire était fausse, le pays avait déjà été confronté à de nombreuses affaires similaires de viols de mineurs par des migrants récemment arrivés)

    • c) Jouer sur un effet d’ancrage et de renvoi : l’évènement doit dans l’idéal être similaire à un évènement similaire ayant déjà eu lieu et ayant déjà créé polémique, dans le cas de Lisa, l’affaire des viols de Cologne pour la Saint Sylvestre.

    • d) Poser indirectement une question politique polarisante sur un sujet de société clivant (droits des trans, féminisme, racisme, avortement…, en l’occurence l’immigration dans le cas Lisa).
       

  • Amplification du fait divers dans le champs informationnel :

    • a) L’amplification peut être grassroot, c’est à dire être laissé libre, effectuée par des acteurs intéressés au sujet (ici, l’affaire Lisa sort initialement à travers les petits cercles d’extrême droite)

    • b) L’amplification peut être artificielle et faire l’objet de campagnes de boosting ou d’astrotufing par des vecteurs médiatiques importants (grands médias, influenceurs reconnus, médias alternatifs, médias partisans)

    • c) Souvent, c’est une conjonction des deux qui a lieu, l’un nourrissant l’autre, les militants évoquant le sujet, tandis que des médias alternatifs ou orientés amplifient le sujet, amenant plus de militants à en parler, et donc plus de gens à s’y intéresser, donnant plus de raisons de couvrir le sujet dans les médias, amenant encore plus de gens au sujet, donnant lieu à des manifestations qui donnent elles même lieu à une couverture médiatique, etc… 

 

  • Légitimation du fait divers dans le champ politique :

    • a) Pour devenir l’objet d’un débat de fond et polariser vraiment la société hors des cercles militants, le sujet doit être repris par des acteurs politiques locaux opportunistes qui ont un intérêt à en parler et qui, cela faisant, vont forcer le reste du spectre politique à se positionner sur le sujet, causant la polarisation recherchée. Dans le cas Lisa, c’est le parti nationaliste AfD qui se fait l’écho de l’affaire et ‘utiliser pour attaquer Merkel, forçant toute la classe politique à évoquer l’affaire, y compris même juste pour dénoncer la “récuparation politique”, ce qui est déjà suffisant et créait déjà de la polarisation.

    • b) La légitimation politique peut aussi venir de l’extérieur du pays avec un acteur étranger réputé qui va évoquer le sujet publiquement ou semi-publiquement, souvent de manière critique, pour forcer l’intégralité de la sphère politique du pays cible à constater cette prise de position et à la commenter (dans le cas de l’affaire Lisa, c’est ce qu’a fait Lavrov en parlant de ce sujet officiellement).

 

  • Exploitation du fait divers dans le champ politique :

    • A ce stade, l’intégralité de la société est déjà scindée en deux (ou plus) sur un sujet de société et ne dialogue plus, chacun se radicalisant sur sa position. L’objectif est donc atteint et la société est polarisée, peu importe qu’un démenti fasse finalement surface : pour prendre une métaphore, si à la suite d’un quiproquo un homme insulte son  meilleur ami, même si le quiproquo finit par être levé, la blessure de l’insulte elle, restera. C’est exactement sur cela que repose la polarisation : la fracture sociale qui grandit pendant la phase d’amplification est définitivement ouverte et ne saurait être refermée par un démenti.

 

  • RETEX de l’opération

    • Même après la victoire atteinte (c’est-à-dire quand l’affaire fait les grands titres du pays), cette victoire informationnelle peut être surexploitée par les acteurs malicieux de plusieurs façons :

      • En maintenant la société cible sous pression en sortant une nouvelle affaire similaire quelques temps plus tard

      • En maintenant l’affaire en cours à flots artificiellement, notamment en tentant de donner le plus de place possible aux gens ayant les prises de parole les plus radicales

      • En capitalisant sur le momentum ouvert par l’affaire pour identifier les personnes (physiques et morales) particulièrement actives afin de les recruter, de façon overt ou covert, pour qu’ils soient au cœur de l’opération informationnelle suivante.

 


 

L’affaire Lisa a donc permis de décrypter avec précision une partie du mode opératoire russe dans le domaine informationnel, domaine informationnel qui est une composante clé de la guerre hybride russe, comme cela a été démontré plus avant. Se dessine ainsi la vision de la guerre propre au Kremlin, une vision en poupées russes, où tout s’imbrique successivement, le cadre militaire comme politique, les champs matériels comme immatériels, les armes invincibles comme le cyber, etc…

 

Mais cette nouvelle façon très complexe de faire la guerre ne doit pas laisser croire que le fait militaire a totalement disparu : comme le fait remarquer Alain Bauer, la Doctrine Gerasimov “ne diminue pas l'importance de la puissance militaire, elle reconnaît plutôt l'importance accrue des outils non-cinétiques et asymétriques”. Le fait militaire reste présent, mais il obéit en quelque sorte désormais à un principe de subsidiarité : tout ce qui peut être réglé par des moyens non-militaires, sera réglé par des moyens non-militaires.

En effet, la Russie est réaliste sur la portée de son appareil militaire : si les “armes stratégiques” précédemment évoqués permettent de sanctuariser le territoire de la Fédération de Russie, le potentiel cinétique de la Russie reste trop faible pour permettre au pays de se projeter et de battre l’OTAN dans une guerre conventionnelle. C’est la raison pour laquelle la Russie investit totalement ce champ nouveau de la guerre hybride, qui mêle utilisation d’acteurs paramilitaires (Groupe Wagner, Bataillon Somali), cyberattaques, campagnes d’influence, maillage médiatique, désinformation…  L’ensemble de ces moyens permettant de frapper le cœur du pays adverse, la société civile, qui fera pression sur son gouvernement pour mettre fin à la guerre.

 

D’une certaine façon, le développement de la Doctrine Gerasimov par la Russie n’est pas une surprise, elle marque l’évolution de la stratégie militaire liée à l’apparition d’un nouveau champ de conflictualité, l’infosphère, le cyberespace, qui horizontalise grandement le rapport de force et permet de toucher directement la population civile adverse, ou en l’occurrence ses représentations et donc sa capacité à poursuivre ou non le combat. Les américains et les britanniques ont été les premiers à recourir à ces techniques de guerre psychologique, informationnelle et technologique. 

Il faut bien noter que dans l’esprit du général Gerasimov, cette nouvelle doctrine n’est donc pas une invention russe, mais bien une tentative de russifier une pratique déjà utilisée par les occidentaux lors des Révolutions de Couleur ou des Printemps Arabes. Les Russes veulent ainsi en quelque sorte lutter contre le feu par le feu, en opposant à la doctrine informationnelle américaine, ces fameuses “mesures préventives” russes. 

 

La Doctrine Gerasimov apparaît ainsi comme la réponse russe à l’émergence de ces guerres hybrides complexes, où les acteurs étatiques et paraétatiques se multiplient et interagissent entre eux de façon souvent très imbriquée, en sous couvert d’une certaine discrétion. La Doctrine Gerasimov ne vient ici que formaliser théoriquement ce que les soviétiques percevaient déjà et ce que Gerasimov nomme le “pangouvernementalisme”, à savoir la nécessité pour un gouvernement d’attaquer son adversaire sur l’intégralité du spectre conflictuel (politique, économique, informationnel, social) mais donc inversement d’être capable de coordonner lui même l’intégralité de ces aspects dans sa société pour lancer ces attaques, mais aussi pour se protéger d’éventuelles contre-attaques.

C’est cet ensemble de théories fourmillantes, au noms variables, modernisées par Gerasimov mais souvent héritières de la tradition soviétique voire tsariste, qui correspondent aujourd’hui à ce que les chercheurs nomment le “sharp power” russe, c’est à dire cette capacité qu’a un pays à manipuler le cours des événements mondiaux par un mélange savant de soft power et de hard power, le tout enveloppé d’esprit de subversion. 

Le sharp power est, par excellence, la doctrine des puissances déclassées (comme la Russie) ou des puissances émergentes (comme la Chine ou l’Iran) qui, bien qu’elles soient des acteurs majeurs de la scène géopolitique, restent cantonnées à subir un rapport de force défavorable face à la politique étrangère américaine. Dans ce monde unipolaire mais mondialisé, pacifié par la dissuasion mais sous tension permanente, ces puissances ambitieuses n’ont d’autres choix que de penser la compétition sous tous ses aspects, y compris dans une vision asymétrique et irrégulière. Le “sharp power” est en quelque sorte la doctrine par excellence à adopter pour les pays industrialisés désireux de se placer dans un rapport du faible au fort.

 

L’émergence de ces nouvelles formes de conflictualité a bien sûr été poussée par le contexte de mondialisation des échanges et l’omniprésence des réseaux de communication qui, en horizontalisant les sociétés et en les connectant toujours plus, les rend aussi plus perméables aux ingérences étrangères. Le monde mondialisé, interconnecté, condamné à une surenchère de complexité technique et infrastructurelle, est, comme tout système sur-optimisé, très fragile à la moindre turbulence. 

C’est cette fragilité qu’exploitent les puissantes concurrentes de l’Ouest, et c’est la question qu’ils posent aux sociétés euro-américaines : l’Ouest sera t-il capable de créer des sociétés anti-fragiles, capables de s’adapter aux chocs sans s’effondrer complètement ? 

C’est une question ouverte et les prochains mois de la guerre en Ukraine devraient commencer à offrir des indicateurs sérieux sur la direction que vont prendre les sociétés occidentales.

 

Plus largement, le conflit en Ukraine pose comme autre question la pertinence même du concept de guerre hybride et son intérêt à l’heure du retour de la guerre symétrique. La guerre informationnelle, la guerre économique et la cyberguerre sont-elles dans un mouvement expansionniste qui les verraient s’imposer comme la norme face à des moyens cinétiques devenant une exception ? Pour l’instant, il est difficile de répondre clairement à cette interrogation, la guerre actuelle en Ukraine étant la preuve que, ultimement, le fait militaire et la voie des armes, semble la solution privilégiée pour régler un différend… Même si dans le cadre de ce conflit les opérations informationnelles, des attaques cyber et une guerre économiques sont exploités, ces leviers semblent avant tout utilisés dans une configuration similaire à celle du XXe siècle, c’est à dire en soutien à des opérations militaires classiques et/ou à des fins de propagande de guerre, pour maintenir/attaquer le soutien de sa population ou de ses alliés. L’autonomisation des moyens de guerre hybride et la relégation des procédés cinétiques et symétriques ne semble finalement pas si certaine que cela.

 

Mat M. Hauser

 

Pour aller plus loin :