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Histoire de l’influence : Humanisme : rapports de pouvoir et influence aux prémices du premier capitalisme

Entre grandes découvertes et nouveaux modes de pensée, l’Humanisme veut lever le voile de pour éclairer les acteurs influents du XVe siècle. La complexification du monde en devenir est une aubaine pour la création de nouveaux biais cognitifs permettant d’influencer le pouvoir.

Le courant humaniste intervient à une époque charnière de l’histoire. Du milieu du XVème jusqu’à la fin du XVIème siècle, l’Europe occidentale est marquée par de nombreux faits religieux et sociaux, où plusieurs acteurs majeurs s’affrontent sur le terrain du rayonnement économique et de l’influence. D’une part, l'Eglise tend à reprendre le contrôle des mœurs et à asseoir une autorité nouvelle après le retour de la papauté à Rome. De l’autre, les nouvelles découvertes tendent à complexifier le système économique et les relations de forces entre les différentes puissances navales.

Tous ces éléments amènent à l’apparition de nouveaux biais cognitifs chez les intellectuels qui servent de passerelle entre les deux acteurs majeurs de l’époque, l’Eglise et les monarchies en place. En effet, l’intérêt pour les sources premières, qu’il s’agisse des textes sacrés ou des écrits de l'Antiquité, permet à la fois de continuer à placer les vertus chrétiennes au cœur de la société, mais également de transformer les modes de pensées ; et par association, de gouvernance. 

L’humanisme est un courant de pensée qui s’exprime dans plusieurs domaines, l’art, les ouvrages intellectuels mais aussi dans la vie publique par le conseil aux monarques. De nouvelles idées apparaissent autour par exemple de la place de l’individu dans la société. Les humanistes rompent avec les grands systèmes de la scolastique médiévale pour laisser la place à un individu autonome et en possession de droits subjectifs.

Trois niveaux d’influence sont à exploiter lorsqu’il est question d’humanisme, la première étant celle interne au milieu des intellectuels par l’échange de redécouverte ou de production de connaissance. Les deux autres niveaux d’influence sont intrinsèquement liés à la société de l’époque, tantôt auprès des souverains par conseils stratégiques militaires, économiques et civils, mais aussi auprès des institutions canoniques par la maîtrise de l’opinion publique.

 

Les rapports de force présents au sein du courant 

Bien que fortement liés, les tenants de l'enseignement traditionnel et les humanistes ont des visions différentes. La valorisation du savoir, les centres d’intérêts et l’examen rigoureux des faits exposés pour juger de leur validité s'opposent aux schémas de pensés de l'Église puisqu’ils sont parmi les premiers à célébrer les nouvelles découvertes et les dépassements du savoir antique. Pendant ce temps, bien qu’un mouvement de renouveau se fasse sentir au sein des hautes sphères de l’Église, la majeure partie des pratiquants et le bas clergé campe ses positions et reste rigide face à l’évidence des découvertes.

Au milieu de ce tumulte qui remet en cause les fondements moraux de la société, les humanistes naviguent habilement entre appropriation de nouvelles réalités et connaissances des anciens pour créer le juste savoir.
Les souverains Ibériques voient rapidement en ce mouvement intellectuel des humanistes un levier puissant pour permettre de diffuser leurs visions conquérantes et missionnaires au nom de la découverte des nouveaux mondes. Ils remplissent donc le rôle de relais idéologiques et sont même parfois conviés à prendre part à des questions économiques comme le sujet des possessions ultra-marines, enjeu majeur de cette époque. C’est une posture unique qui les place dans une position particulièrement efficace pour asseoir leur influence au sein des cours des grandes villes Européennes ou auprès des grandes familles qui les contrôlent. Peu de temps après cela ils seront aussi approchés par les hauts représentants de l’Église qui cherchent à se réformer Ils se pencheront d'abord sur les textes sacrés à partir des originaux hébreux et grec, puis réviseront la Vulgate qui est la seule traduction latine de la Bible autorisée par l'Église depuis le Ve siècle.
À partir de ce moment-là, la sphère d’influence des humanistes s’étend auprès des plus puissants acteurs de la société et ils forgeront les bases de la Renaissance mais aussi du capitalisme.

 

Nouvelles découvertes et fondement du capitalisme 

Théoricien économique et politique, Jean Bodin inspiré par les humanistes européens de la Renaissance affirmait qu’« il n'est de richesse que d’hommes ». Souvent considéré comme l’un des premiers monétaristes, il souligne le lien de causalité entre la masse monétaire et les niveaux des prix. L’afflux massif d’or venant des nouveaux mondes crée à ce moment-là de fortes poussées inflationnistes notamment en Espagne. 
Au-delà des modèles économiques, l’influence des humanistes se fait ressentir dans la genèse même des états modernes.  « Les finances sont le nerf de la république ». Sans ces « nerfs financiers », un État – qu'il s'agisse d'une monarchie ou d'une république – ne peut fonctionner. Ils constituent donc la base de la révolution fiscale. 

Ces nerfs financiers sont directement hérités des taxes imposées par les seigneurs guerriers féodaux qui avaient besoin de fonds pour partir en guerre. La lourde pression financière des campagnes était donc entretenue en partie par la création ou l’augmentation d’impôts. Ceci entraina le passage de la fiscalité féodale vers la fiscalité étatique. Celle-ci soutiendra les pays Européens jusque dans leurs passages dans l’ère moderne et de récentes recherches sur la genèse de l’État moderne ont démontré que le prélèvement fiscal en représentait la ressource essentielle. Illustration même de la puissance de l’influence idéologique Humaniste et de son impact sur les perceptions de puissance économique des états et de leur souveraineté à la fin du XVIème siècle.

 

Une stratégie d’influence à long terme

La création d’une élite proche de la chrétienté et de ceux qui détiennent le pouvoir permet l’élaboration d’une stratégie d’influence qui s’étend à tous les milieux de puissance, politique, économique et social. Le moment est propice pour cette communauté d’intellectuels puisque le bouleversement des croyances va de pair avec la Réforme qui souhaite profondément modifier l’Église.

La volonté de revenir aux vertus premières de l’Évangile permet aux humanistes de prétendre reprendre l’éducation morale des souverains et de leur inculquer les valeurs de tolérance et de paix. L’éveil de la conscience des gouvernants reste la principale stratégie des humanistes, il est possible d’en citer plusieurs, dont Thomas More qui est resté auprès du monarque britannique jusqu’au schisme anglican.

L’influence ne se jouait donc pas au sein de cette élite mais vers l’extérieur, dans l’habile maîtrise des jeux de pouvoirs que se disputaient Église et monarques de l’époque. Les humanistes se contentent de manier le savoir et les vertus nécessaires à l’évitement des conflits par le retour aux textes chrétiens et à la sagesse antique. Ils usaient également de certains signes distinctifs qui incitent à la reconnaissance d’une communauté influente; comme une dénomination distinctive ou encore une certaine prééminence sociale qui font partie de repères identitaires génériques.

 

La conscience collective qui est née avec l’humanisme ouvre la voie à une réflexion sur l’histoire et la société. Par la diffusion de leurs idéaux grâce à l’imprimerie, leur rapport au pouvoir et leur communauté, le terme d’influence paraît approprié. Cet empire intellectuel a su se placer au centre des flux de puissance de son époque pour faire valoir des principes économiques et sociaux qui se sont ancrés définitivement dans la société au cours de la Renaissance. 

 

Alexandre Perfetti et Maxine Suné pour le Club Influence de l’AEGE

 
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