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Le Qatar, génie diplomatique ou duplicité de génie?

Le Qatar s’est arrogé le rôle d’intermédiaire numéro un entre les talibans et le reste du monde à leur retour, conformément à sa stratégie d’influence qui consiste à utiliser — en plus de sa diplomatie économique et gazière — tous les islamismes radicaux pour gagner en aura. L’actualité judiciaire américaine récente suggère qu’il pourrait avoir usé de ses relais au plus haut niveau décisionnel étasunien pour « savonner la planche » de la résistance afghane et favoriser la prise de pouvoir des « étudiants » en religion. Ou comment attiser le feu des problèmes pour mieux vendre sa solution. Explications.

Des manœuvres au plus haut niveau du gouvernement américain avérées

Mais pourquoi diable les Américains ont-ils précipité leur retrait d’Afghanistan en plein milieu de l’été, moment de l’année où les talibans sont les plus mobiles ? Ne pouvaient-ils pas attendre quelques mois/semaines que les mauvaises conditions climatiques fixent les forces talibanes afin de permettre à la résistance afghane de s’organiser et se préparer ? Il est raisonnablement difficile de comprendre le choix de l’administration Biden d’un point de vue stratégique. Il semble qu’un paramètre échappe au commun des mortels, d’autant que les justifications de Washington ne sont guère convaincantes.

Un possible élément de réponse à ce mystère est cependant venu d’outre-Atlantique au début du mois de juin 2022, mais pas en provenance de la Maison-Blanche : le FBI a annoncé avoir lancé une enquête et avoir obtenu des preuves des liens sulfureux qu’entretiendrait le général quatre étoiles à la retraite John Allen (Corps des Marines et membre du Homeland Security Advisory Council) avec le Qatar (il a depuis démissionné de ses fonctions). Le petit émirat a donc eu ses entrées dans le camp démocrate (John Allen était conseiller de Mme Clinton), et il semble que cet état de fait perdure de nos jours.

En effet, le 31 janvier dernier, c’est le président démocrate en exercice qui annonçait que le Qatar allait être classé « allié majeur de l’OTAN », un statut de prestige pour l’émirat et l’aboutissement d’une stratégie d’influence efficace — en plus de lui permettre de recevoir de manière préférentielle du matériel militaire américain et des munitions à l’uranium appauvri. C’est que Doha sait y faire pour se rendre indispensable dans les négociations entre États souverains et entités au ban de la communauté internationale. Ainsi, avant d’inviter le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran à sa « conférence internationale sur la défense maritime » pour qu’il présente son armement, le petit émirat avait su se placer comme l’unique intermédiaire entre les taliban et le reste du monde depuis le début des années 2010, de quoi devenir un pivot de la diplomatie atlantiste…

 

L’unique intermédiaire entre les talibans et le reste du monde

Qui retrouve-t-on à la manœuvre pour la réouverture de l’aéroport de Kaboul, seul lien de l’Afghanistan avec le reste du monde, après la prise de pouvoir par les talibans ? Qui va avoir une place de facilitateur pour toutes les nations souhaitant récupérer leurs ressortissants bloqués ? Qui va pouvoir éventuellement monnayer une intervention auprès des nouveaux chefs de l’Afghanistan ? Le Qatar, qui avait même dépêché une équipe technique pour remettre l’aéroport en état de marche le plus vite possible.

L’Émirat entretient en effet des liens étroits avec les talibans depuis au moins 2013, année où des dirigeants de haut rang (plus d’une vingtaine résidant avec leurs familles) ont établi un bureau à Doha et en ont fait le centre diplomatique du mouvement. Et le Qatar n’hésite pas à s’attribuer le beau rôle : mardi 31 août 2021, il demandait ainsi aux talibans de s’engager dans la lutte contre le « terrorisme » et de former un gouvernement « inclusif » suite au retrait des Américains.

Le ministre des Affaires étrangères qatari Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani rajoutait même que « nous (le Qatar, NDLR) avons souligné l’importance de la coopération pour combattre le terrorisme (…) et l’importance de la coopération des talibans dans ce domaine ». Déclarations étonnantes, lorsque l’on sait que l’émirat a financé, parfois ouvertement, de nombreux groupes terroristes à travers le monde.

 

Un soutien à tous les islamismes pour s’assurer une place dans le concert des nations

Talibans, Hamas, Hezbollah, frères musulmans, islamistes syriens, groupes terroristes sahéliens… le Qatar a soutenu financièrement et logistiquement un bon nombre de groupes islamistes d’Afrique et du Moyen-Orient. L’émirat a aussi fourni une tribune via Al Jazeera à des extrémistes comme le « cheikh » Qaradawi pour légitimer les attentats-suicides et inspirer de nombreuses attaques. Le but ? Ne plus être isolé par l’axe Riyad, Abu Dhabi, Le Caire.

On comprend en effet que l’émirat ait pu mal vivre sa mise à l’écart entre 2017 et 2021. Pour mémoire, avec en trame de fond la rivalité qui l’oppose à l’Arabie Saoudite, le petit émirat avait subi le courroux des Al-Saoud pour avoir, entre autre, soutenu certains agitateurs islamistes lors des printemps arabes, alors que ces derniers appuyaient les régimes en place. Le petit émirat a donc décidé à partir de ce moment-là d’intensifier ses soutiens, faisant le pari que les rébellions allaient l’emporter pour contourner « l’encerclement » saoudien. Pari réussi puisqu’il est désormais une figure montante des relations internationales, alors que l’Arabie Saoudite, empêtré dans l’affaire Khashoggi et au Yémen, semble à l’inverse sur la pente descendante.

Mais jusqu’à quand pourra-t-il marcher sur le fil sans tomber ?

 

Pierre-Guive Yazdani

 

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