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Adrian Zenz et le Xinjiang : le durcissement contre-productif de la réponse médiatique chinoise [Partie 2/2]

Entre 2018 et 2019, la Chine est sur le grill au sujet du traitement des populations Ouïghours dans sa province du Xinjiang. Coup sur coup, plusieurs publications d’un chercheur jusque-là inconnu du grand public vont mettre la Chine sur la défensive. Ce qui pour la Chine aurait dû rester une stricte affaire intérieure fait désormais la une de la presse internationale, particulièrement depuis l’intervention très remarquée de Mme Gay McDougall au conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Mais une Chine en pleine ascension ne peut perdre la face de la sorte, quand bien même les documents à charge s’accumuleraient… Il faut donc faire taire les détracteurs.

L’insuffisance des tentatives de justifications chinoises, inefficaces en Occident 

À partir de 2020, la communication chinoise abandonne progressivement la stratégie du déni de la véracité des documents ayant fuité pour une stratégie de communication fondée sur les conséquences de son « action anti-terroristes », de manière à expliquer de façon simultanée les images de transfèrement de masse de prisonniers, et à expliquer la finalité des camps d’internements (centres de formations et de « réinsertion »). Mais l’accueil des justifications chinoises (de la « lutte anti-terroriste, comme tout le monde le fait » pour résumer) est plutôt réservé en Occident, car les explications ne collent pas vraiment aux faits connus, en particulier dans la démesure de la réponse chinoise à un problème sécuritaire.

Les autorités chinoises ne savent clairement pas comment réagir aux « attaques informationnelles » fondées sur des travaux de recherches et sur la méthode critique et académique occidentale : l’analyse de données objectives à partir desquelles sont tirées des conclusions ou formulées des hypothèses, avant de proposer une explication ou un raisonnement pour expliquer la situation décrite par les données initiales. Aucune étude chinoise sérieuse ne s’est attaquée aux travaux d’Adrian Zenz sur le terrain académique, et il n’y a eu aucune réfutation ou discussion d’experts référencées en Chine, en tout cas telles que nous les concevons en Occident. Si la communication chinoise sur des médias chinois peut être efficace en interne, elle tombe globalement à plat une fois parvenue en Occident.

Presse d’investigation : une perception culturelle différente de la légitimité et de l’autorité

L’explication est peut-être culturelle. Sur la forme, les médias d’État chinois ne sont pas au niveau des standards occidentaux en matière de presse d’investigation : la plupart des articles considérés seraient ainsi classés dans nos médias comme des « tribunes », considérant qu’ils contiennent peu de faits pour défendre des postures relativement dogmatiques. Sur le fond, le raisonnement cartésien occidental, plus factuel et objectif (et indépendant de l’auteur) prend en défaut une conception chinoise de la légitimité de l’information fondée sur l’autorité de celui qui porte l’information, c’est-à-dire sur celle du « messager » ou du chercheur.

Dans des sociétés plus hiérarchisées que les nôtres culturellement et socialement, l’autorité et la légitimité semblent plus fortement liées que dans notre culture occidentale à la place qu’occupe la personne dans la société, à son « rang » social, pourrait-on dire. C’est donc précisément sur ce terrain de la légitimité du chercheur que la Chine va se lancer à l’offensive, et Adrian Zenz sera probablement la personnalité occidentale qui fera le plus l’objet d’attaques en ce sens.

Changement de stratégie devant une diplomatie chinoise attaquée 

Adrian Zenz profite des événements médiatiques de novembre 2019, qui viennent renforcer ses propres recherches sur le sujet, pour revenir sur le devant de la scène. Le New-York Times lui ouvre à ce moment ses colonnes, de même que la revue Journal of Political Risk.

Cette fois, c’en est trop pour la Chine qui semble réaliser non seulement que sa stratégie de communication ne prend pas vraiment (au contraire même, dans une sorte d’effet Streisand à l’échelle du Xinjiang), mais également qu’Adrian Zenz est en train de devenir le porte-parole officiel de la cause Ouïghoure vis-à-vis du monde. Les travaux d’Adrian Zenz constituent probablement l’un des coups les plus rudes portés à la diplomatie chinoise de ces dernières années. À partir de ce moment, l’un des sujets sur lesquels la Chine va déployer le plus d’efforts, c’est probablement sur l’attaque de la réputation d’Adrian Zenz : son profil, son passé, son parcours, ses relations et fréquentations, la validité de sa méthode et une éventuelle falsification des résultats.

« Kill the messenger » : bis repetita de la méthode chinoise

La réponse chinoise la plus aboutie mettra un certain temps à prendre forme, quasiment un an et demi après ses premiers travaux, mais elle prendra un chemin connu : ne jamais répondre sur le fond mais « tuer le messager » sur la forme. En effet, tout part à nouveau d’une source américaine, déjà croisée en réponse à l’intervention de Gay McDougall en août 2018 : le site américain The Grayzone, dont l’article daté du 21 décembre 2019 est repris par la Chine le même jour. Les mêmes procédés que l’article qui attaquait Gay McDougall le 23 août 2018 sont repris : l’auteur, sa légitimité et la valeur de son travail sont attaqués, non sur la foi d’une véritable analyse des éléments rapportés sur le fond (à savoir des documents chinois dont l’authenticité n’est plus mise en doute).

En plus de Max Blumenthal déjà évoqué, l’article est signé Ajit Singh qui, sur Twitter, se présente comme « journaliste d’investigation », avec pour sujet d’intérêt « l’impérialisme et la nouvelle guerre froide de Washington contre la Chine ». En matière d’objectivité sur les sujets touchant à la Chine, on peut certainement espérer mieux. Mais il reste notable que la Chine privilégie désormais une source primaire américaine et non chinoise pour s’attaquer frontalement à Zenz : la Chine perfectionne sa communication en termes de légitimité des supports, les supports chinois défendant la Chine étant de fait jugés peu objectifs de notre côté.

L’article en question ne reprend pas l’étude dans son intégralité, mais se contente de discréditer certaines sources pour tenter de délégitimer l’ensemble. Mais dans cet article, le lecteur assiste surtout à une attaque en règle contre Adrian Zenz, sa personne, son passé et son identité philosophique et religieuse. L’attaque ad personam, comme souvent, est ici l’arme privilégiée à la réfutation ad rem. Ce n’est pas un travail académique sérieux et critique : c’est une tribune à charge de la part de « journalistes » essentiellement connus pour leurs prises de position controversées, sur le fondement d’une méthode d’analyse dite hypercritique : identifier et accentuer une faiblesse ponctuelle pour critiquer et délégitimer le tout. Cet article n’apporte en substance aucun fait nouveau aux limites déjà connues de l’étude de Zenz.

A noter qu’ Adrian Zenz fait également l’objet d’une campagne d’attaques informationnelles via un réseau de sites douteux. Certains ont notamment déjà attiré l’attention dans des  campagnes de dénigrement à l’échelle internationale, comme celui ayant pour adresse électronique de contact powerhayden58@gmail.com. Le même article se retrouve traduit au moins en français, en anglais et en allemand, sur des sites étrangement ressemblants. Pour l’instant, personne ne sait qui se trouve derrière ces sites, se comptant par dizaines, et dans autant de langues. Il est important de noter que l’investissement nécessaire au déploiement et au fonctionnement d’une telle infrastructure web n’est clairement pas à la portée de particuliers.

2020 : la natalité du Xinjiang et le possible génocide des Ouïghours

Ces actions « dissuasives » de la Chine n’ont manifestement pas eu l’effet escompté, car Adrian Zenz est désormais estampillé en Occident comme l’ennemi public numéro un de la Chine, une étiquette qu’il assume sans difficulté. Quelques mois après l’article de The Grayzone, estimant le nombre de personnes internées dans des camps au Xinjiang, Adrian Zenz a ajouté en juin 2020 un certain nombre de considérations démographiques dans une autre étude, touchant par exemple à l’utilisation de stérilets dans certaines régions de Chine. Sur la base de ces éléments, Adrian Zenz a posé la question d’une volonté délibérée de la part du pouvoir chinois de contraindre la natalité de certaines ethnies (non-Han, l’ethnie dominante de Chine) au Xinjiang.

De fait, c’est bien Adrian Zenz qui, le premier, a ouvert la voie aux accusations de génocide à l’encontre de la Chine : la stérilisation forcée d’une partie de la population répond à la définition d’un génocide selon l’ONU. Ce sujet d’ailleurs confirmé par les propres statistiques chinoises, avec une chute drastique de la natalité au Xinjiang que la Chine a bien du mal à justifier : la Chine serait ainsi parvenue à diviser par près de trois en seulement trois ans le taux de natalité au Xinjiang, phénomène inédit dans l’histoire des études démographiques en un temps aussi court. La Chine a d’ailleurs commencé à camoufler cet aspect dans ses statistiques officielles : il n’est désormais plus possible depuis 2021 d’obtenir le taux de natalité annuel par région.

Réponses plus académiques de la Chine face à ces nouvelles accusations

Dans la foulée de ces nouvelles accusations, la réponse de la Chine a été immédiate et très virulente sur les médias chinois. Mais pour la première fois, la Chine se risque aussi à une réponse « académique », signée du Human Rights Institute de la Southwest University of Political Science and Law (SUWPL). Ce texte « académique » est assez surprenant puisque l’essentiel de la démonstration repose sur l’analyse des photos d’illustration du texte de Zenz, photos dont le rôle était… illustratif et non démonstratif. Dans les diverses bases de données académiques consultées, l’intégralité des travaux de cet « Institut des Droits humains » est référencée au nom de Acar Kutay, dont les liens avec la SWUPL sont pourtant ténus : il est seulement identifié comme « Visiting Associate Professor ».

La Chine s’essaiera une nouvelle fois début 2021 aux « travaux académiques » de réfutation, notamment via un rapport de Li Xiaoxia, chercheur au Xinjiang Development Research Center. Ce chercheur est d’ailleurs aussi présenté comme directeur de l’Institute of Sociology at the Xinjiang Academy of Social Sciences. Son rapport paru en janvier 2021 est intitulé « An Analysis Report on Population Change in Xinjiang ».  L’étude en question, publiée sur un média généraliste propriété de l’État chinois (et non dans une publication scientifique à comité de lecture) ne fournit aucune donnée ni aucune source autre que les statistiques officiels chinoises. Le lecteur sera d’ailleurs assez surpris de voir apparaitre les sujets de l’anti-terrorisme dans un article d’analyse démographique. Dans les deux cas, en termes de validité académique, le compte n’y est donc pas vraiment.

Quoi qu’il en soit, si la Chine semble avoir compris l’intérêt d’utiliser des « tiers de confiance informationnels » (notamment des médias non-chinois ou des travaux supposément académiques), le caractère brouillon et confus de la communication chinoise est difficilement compréhensible. La confusion est criante rien qu’en considérant le fait que la Chine a bien officiellement admis la détention d’un nombre de personnes au Xinjiang globalement similaire à celui auquel Adrian Zenz arrive en conclusion (un chiffre d’ailleurs probablement en deçà de la réalité).

Il convient également d’ajouter qu’en parallèle de la chronologie analysée ici autour de la personne d’Adrian Zenz, une proportion significative des camps en question a été photographiée et analysée par le think-tank Australian Strategic Policy Institute. En plus des textes chinois, le monde découvre par l’image la réalité (et surtout le nombre) des « centres de formation » chinois. Attentive, la Chine ne ménagera pas non plus sa peine pour discréditer les indiscrets australiens…

Pierre-Marie Meunier

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