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Openbox TV et Alain Juillet – Le lobbying en Europe

Au niveau de l’Union européenne (UE), les normes, le droit, les évolutions technologiques et les financements européens sont autant de moyens de favoriser un modèle économique au détriment d’un autre. Le lobbyisme revêt ainsi une importance capitale, mais la France parvient mal à tirer son épingle du jeu, explique l’invité d’Alain Juillet et de Claude Médori.

Dans cet épisode, Alain Juillet et Claude Medori reçoivent Nicolas Ravailhe, expert en intelligence économique et stratégie internationale, pour revenir sur la question du lobbying en Europe, dont Bruxelles est l’épicentre. Alain Juillet définit le lobbying comme un ensemble de techniques d’influence légales déployées par des professionnels pour convaincre d’aller dans un sens plutôt qu’un autre. Il est à la fois possible d’agir sur l’image d’un acteur (États, organisations, entreprises, etc.), de disséminer un message ou encore d’empêcher le dépôt d’un brevet, d’une loi ou, au contraire, d’en promouvoir l’adoption. Les moyens à disposition des lobbyistes sont également variés. Par exemple, il n’est pas rare que des textes présentés par les députés dans les commissions, pour être votés à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen, soient rédigés par des lobbyistes pour le compte de sociétés privées voire d’États étrangers, faute de temps. Il est aussi commun pour les lobbyistes de constituer des campagnes d’influence à destination des décideurs politiques ou du public afin de mobiliser ces derniers. 

En revanche, si Bruxelles est un repère de lobbyistes, la France n’est pas la mieux dotée, prévient Nicolas Ravailhe. Les entreprises françaises, les territoires et même l’État subissent bien souvent les percées offensives d’autres pays sans que la France ne parvienne à contre-attaquer. Cela est dû en grande partie au manque de lobbying offensif français, pratique à la connotation souvent péjorative dans l’Hexagone. Les politiques européennes sont basées sur les rapports de force et les compromis, éléments étrangers à la culture française portée sur l’intérêt général et l’argumentation. Il y a une inadéquation entre les méthodes de travail françaises et le projet européen. Or, à partir du moment où la France décide de transférer des prérogatives (juridiques, commerciales, etc.) à l’UE, il est impératif de développer des stratégies pour influer sur les sphères décisionnelles européennes, au risque de voir ses intérêts mal menés. N’en déplaise, normes et financements européens sont un excellent véhicule de conquête de marché permettant à un modèle économique de s’étendre.

 

« Ce qu’il faut comprendre, insiste Nicolas Ravailhe, c’est, qu’à Bruxelles, le lobbyiste sécurise des intérêts économiques. Les stratégies gagnantes reposent sur une convergence entre le secteur privé et public afin d’optimiser ses intérêts par rapport aux politiques européennes. »

 

« Ce qu’il faut comprendre, insiste Nicolas Ravailhe, c’est, qu’à Bruxelles, le lobbyiste sécurise des intérêts économiques en passant par des évolutions technologiques et en travaillant les logiques de financements. Les stratégies gagnantes reposent sur une convergence entre le secteur privé et public afin d’optimiser ses intérêts par rapport aux politiques européennes. »

Dès lors, il convient d’adopter une démarche d’intelligence économique pluridisciplinaire et de faire travailler en synergie des personnes aux profils différents (juridiques, financiers, politiques, scientifiques, etc.). Les Allemands et les Néerlandais le font très bien. Alors que le privé façonne un modèle économique, l’État le soutient en parallèle et s’emploie à convaincre les décideurs publics tout en mobilisant ses parlementaires européens pour qu’ils s’alignent sur les intérêts nationaux.

In fine, le but est d’engendrer des politiques, des standards technologiques, techniques et des normes européennes qui bénéficient aux intérêts économiques du pays en utilisant divers leviers comme le droit ou les financements européens. Obtenir un financement européen est intéressant non pas tant pour l’argent que pour la capacité du récipiendaire à faire du droit et « démontrer que ce qu’il fait est bien et que ce que fait le concurrent est dangereux. » Cela permet d’évincer ce dernier et de bénéficier d’une situation de monopole sur le marché européen, explique-t-il. 

 

Par ailleurs, la dialectique coopération/compétition prévaut à l’échelon européen en matière économique. Dans cette perspective, il est primordial de trouver des alliés et de faire avancer des intérêts communs. Par exemple, les Pays-Bas sont un hub de dissémination des produits chinois sur le vieux continent, tandis que les Allemands exportent des dizaines de milliards en Chine. On observe ainsi une convergence d’intérêts entre Berlin et Amsterdam. Tous deux ont intérêt à ce que l’UE n’adopte pas de barrières tarifaires à l’égard de la Chine. En revanche, malgré des coûts économiques liés à cette situation, la France n’oppose qu’une réponse fébrile face à cette alliance. 

« Paris est incapable de nouer des alliances et de faire travailler main dans la main le secteur privé et public comme il le faudrait pour défendre correctement ses intérêts. » La France n’investit pas non plus suffisamment les sphères décisionnelles de l’UE comparativement aux autres pays européens. A titre d’exemple, selon Nicolas Ravailhe, l’équivalent du Medef allemand « compte à Bruxelles 120 collaborateurs, 80 pour les Italiens et seulement deux pour la France. » En d’autres termes, il y a une inadéquation entre le fonctionnement européen et la manière dont la France travaille.

 

« Paris est incapable de nouer des alliances et de faire travailler main dans la main le secteur privé et public comme il le faudrait pour défendre correctement ses intérêts. »

 

Pour conclure, selon les mots de Nicolas Ravailhe, « le problème de l’approche française est qu’on attend que la Commission ponde un texte, on prend une position, et on la renvoie en essayant de convaincre avec des arguments que notre position est compatible avec l’intérêt général européen. » Or, personne, en Europe, ne souhaite que la France représente l’intérêt général européen. Un positionnement gagnant impliquerait plutôt que la France aligne sa stratégie sur les grands objectifs de l’UE, tout en utilisant le droit, les normes et les financements européens pour faire avancer ses intérêts. Seul hic : les Français, cartésiens, préfèrent bien souvent avoir raison et perdre que d’avoir tort et gagner. Il est urgent, pour la France, de renforcer sa capacité à travailler dans le cadre européen.

 

Rémy Carugati

 


Retrouvez ici l'intégralité de cet épisode d’OpenBox TV avec Alain Juillet et Nicolas Ravailhe.


 

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