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La santé connectée : entre espoir et inquiétude

Dans un monde de plus en plus connecté aucun secteur n’échappe à la tendance, et surtout pas celui de la santé. En 2016 on ne dénombre pas moins de 73 millions d’appareils de santé connectés dans le monde et en 2020 ce chiffre pourrait atteindre 161. La croissance de ce qu’on appelle couramment la « e-santé » ou santé connectée peut s’expliquer, d’une part, par la hausse de la moyenne d’âge et de l’espérance de vie et d’autre part par une demande accrue de solutions simples de remise en forme.

Un marché en pleine expansion…

Il existe aujourd’hui de nombreux dispositifs de e-santé déjà commercialisés, il est notamment possible avec un simple bracelet connecté de calculer le nombre de calories brûlées dans la journée ou encore de prendre sa tension ou son rythme cardiaque. Le marché est dominé par ces wearables (bracelets, montres ou tous vêtements connectés) qui représentent 60 % des appareils de santé connectés2. La France est une grande adepte de ces dispositifs, le marché est estimé à 2,7 milliards d’euros en 2015 et il pourrait atteindre 3,5 à 4 milliards d’euros en 20203. Ces dernières années on a vu aussi se multiplier le nombre d'applications mobiles de santé passant de 17.000 en 2010 à plus de 100.000 en 20164 et le marché mondial de la "m-santé" (application de santé sur mobile) pourrait atteindre 26 milliards de dollars en 2017.

…dominé par quelques acteurs, dont Google

Le principal acteur de l’e-santé est le géant américain Fitbit suivi de près par le chinois Xiaomi.Mais l'arrivée d'Apple et de sa Watch en avril 2015 a entraîné une redistribution des cartes5. Parallèlement, Google est en train de développer son propre tracker médical destiné aux chercheurs et aux professionnels de santé dans le cadre d’essais cliniques et de télé suivi médical notamment. Ce dispositif permettra de mesurer notamment la fréquence cardiaque, le niveau d’activité ainsi que des données environnementales complémentaires. Avec son tracker, Google souhaiterait obtenir le statut de dispositif médical qui serait prescrit aux patients pour un suivi à distance ou utilisé dans le cadre d’essais cliniques. Il permettrait de fournir aux chercheurs et professionnels de santé des données en temps réel sur l’état de santé des patients. Ces données pourront aider au diagnostic de certaines pathologies, permettre d’anticiper des complications et d’intervenir ainsi à des stades plus précoces. En complément du tracker à proprement parler, Google développe un logiciel et les technologies de stockage, d’analyse, d’interprétation et de restitution des données collectées6.

 

Les enjeux de la gestion des données personnelles de santé

Le projet ambitieux de l’e-santé a des avantages indéniables mais de nombreuses institutions s’inquiètent tout de même de certains aspects : les risques présentés concernent principalement l'intégrité des données personnelles surtout lorsqu’on remarque que Google, Apple, Facebook ou encore Amazon semblent s’intéresser de près à ce domaine. Selon le président du Conseil national du numérique (CNNum) « il faut réagir vite et au niveau européen si on ne veut pas voir Google régir la santé publique, et cette fois, il faudra bien négocier avec les Américains »7.

La Commission nationale informatique et libertés (Cnil) insiste sur le fait que dans le domaine de la santé, la localisation des données personnelles est un enjeu crucial. A l’heure actuelle, les pratiques sont fondées sur une saisie des données de plus en plus automatisée ce qui induit la circulation de grandes masses de données personnelles, le plus souvent destinées à être partagées. Or, bien que la collecte et l'utilisation des données par les professionnels de santé sont soumises à un cadre strict, « il n'en est pas de même pour celles relevant du "moi quantifié" (ndlr : l'ensemble des données de santés concernant un individu qu’il peut mesurer de lui-même)» prévient la Cnil. Cette dernière mentionne trois domaines préoccupants8 :

  • le statut à donner à ces données,
  • la centralisation et la sécurisation de ces données.
  • Le caractère normatif potentiel de ces pratiques.

Le « moi quantifié » soulève de nombreuses questions. Pourrait-il devenir un impératif comme c’est déjà le cas aux États-Unis pour obtenir certains contrats d’assurance ? Dès lors, il pourrait sembler suspect que quelqu’un refuse de s'auto-mesurer. C'est pourquoi la Cnil est en train de rédiger ses "premières conclusions sur les modalités de régulation envisagées pour accompagner le développement de ce marché tout en préservant la vie privée des utilisateurs".

Le cabinet d’audit PwC s’inquiète tout particulièrement au sujet du dossier personnel médical électronique, et des risques de fuite des données confidentielles associées. En effet le partage de données et l’échange en ligne implique un risque de piratage : les données médicales confidentielles des patients pourraient être détournées de leur usage. On peut citer par exemple le cas d’un demandeur d’emploi ; les données de santé le concernant pourraient être vendues à de potentiels recruteurs souhaitant s’informer sur l’état de santé du candidat. Ces comportements sont évidemment sanctionnés par la Cnil mais il existe tout de même un préjudice pour la personne.

Sur les questions éthiques posées par l’e-santé, le CNNum et la Haute Autorité de Santé semblent s’accorder. « D'ici 15 ou 20 ans, le diagnostic médical sera fait par un supercalculateur. En brassant d'immenses bases de données et en les comparant aux symptômes et à l'ADN du patient il pourra, en fonction de son hygiène de vie, proposer une prescription. Le rôle du médecin ne sera pas amoindri, il sera différent ». Aux États-Unis, Watson, le supercalculateur créé par IBM, assure déjà un rôle d’assistance pour les professionnels de santé. Le robot est à l’heure actuelle capable de traiter les données collectées par Apple dans le cadre de ses programmes HealthKit et ResearchKit7.

 

Comment les patients perçoivent ces enjeux de protection des données ?

Une enquête menée par Accenture a révélé que 70% des établissements français qui récupèrent des données de santé le font dans l’optique de les partager en interne avec pour objectif l’amélioration des protocoles de soins et des résultats cliniques2. Selon une enquête d’Ipsos, 78% des Français accepteraient que leur données de santé soient partagées avec les professionnels qui les suivent et 44% seraient même prêt à rendre accessibles leurs données extraites des objets connectés. En ce qui concerne les applications connectées, une majorité des Français les utiliseraient2 : 

  • our collecter des données de santé par le médecin et les interpréter (64%) ;
  • Pour améliorer l’observance (suivi du traitement) grâce à des rappels pour la prise des médicaments (52%) ;
  • pour le suivi médical (56%).

En 2016, 17% des Français les utilisaient déjà notamment pour un contrôle de l’alimentation ou la mesure de l’activité physique. Mais des craintes au sujet de la sécurisation et de la protection de la vie privée restent des obstacles majeurs. Ce sentiment est compréhensible notamment suite à l’augmentation importante des cas de ransomwares (un logiciel malveillant prenant en otage les données) contre les systèmes de santé2. En effet, 75% des Français interrogés sont convaincus que la sécurité des données personnelles constitue un frein à l'usage des objets connectés9.

 

Anticiper les dérives pour mieux les prévenir

Pour les utilisateurs l’important est que ces outils ne viennent pas mettre en danger les libertés individuelles par le « pistage » qu’il permet. Certains de ces dispositifs comportent des mécanismes permettant d’enregistrer l’utilisation. On peut dès lors imaginer tout type de dérives comme par exemple le fait de moins rembourser des patients qui n’utiliseraient pas suffisamment les objets de santé connectés. On peut penser aussi que bientôt des mutuelles privées proposeront des réductions tarifaires aux « bons patients » qui se feront contrôler électroniquement de façon régulière pour prévenir des risques. C’est donc dès maintenant qu’il faut réfléchir aux dérives qui peuvent être observées et mettre en place des réglementations pour encadrer au mieux la gestion et l’utilisation des données personnelles de santé.