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[CR] Le risque-pays : indicateur nécessaire aux entreprises pour appréhender un contexte international changeant

La Coface (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur) est un assureur historique de l’assurance-crédit. Elle offre à environ 50 000 entreprises à travers le monde des solutions d’assurance-crédit afin de protéger leurs échanges face aux défaillances financières de leurs clients. Elle traite deux grandes familles de risques : politiques et commerciaux.
À chaque début d’année, la Coface organise un colloque sur l’évolution de la notion de risque-pays dans le monde. Cette année, le Portail de l’IE vous propose un retour sur cette notion et sur son application concrète dans le domaine politique et le monde occidental.

Cette brève est un compte-rendu de conférence et les propos ou approches qui peuvent être rapportés ne sont pas nécessairement représentatifs de ceux du Portail.

Qu’est-ce que le risque-pays ?

L’internationalisation des échanges et la conquête de nouveaux marchés obligent à prendre toujours davantage en compte les risques liés à l'environnement dans lequel ils se déroulent. Dans ce but, il existe un indicateur regroupant un ensemble de risques : le « risque-pays ».

L’OCDE le définit comme étant « constitué des risques de transfert et de convertibilité (c'est-à-dire le risque qu’un gouvernement impose des contrôles sur les flux de capitaux ou sur les devises empêchant une entité de convertir la devise locale en devise étrangère et/ou de transférer des fonds à des créanciers situés en dehors du pays) ainsi que des cas de force majeure (guerre, expropriation, révolution, troubles civils, inondations, tremblements de terre …) ».

Le Portail de l’IE a déjà complété cette définition comme suit :

De façon générale, le risque émerge lorsque la validité des informations dont on dispose est nulle, incertaine ou incomplète. Selon le professeur Bernard Marois, « le risque-pays peut être défini comme le risque de matérialisation d'un sinistre, résultant du contexte économique et politique d'un État étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de ses activités ».

 

Le « sinistre » peut, selon lui, être causé par l'immobilisation d'actifs, pour une entreprise multinationale, par une répudiation de dettes par un État souverain, pour une banque, par la perte d'un marché commercial, pour une entreprise exportatrice ou par une atteinte à la sécurité des personnes (rapt d'un expatrié). De ce fait, le risque-pays peut englober deux composantes principales :

  • Une composante «risque politique», résultant soit d'actes ou de mesures prises par les autorités publiques locales ou du pays d'origine, soit d'événements internes (émeutes) ou externes (guerres) ;

  • Une composante «risque économique et financier», qui recouvre aussi bien une dépréciation monétaire qu'une absence de devises se traduisant, par exemple, par un défaut de paiement.

De plus en plus, ces deux sources de risque sont interdépendantes, ainsi que l'ont montré les crises asiatique et russe.

 

Le risque-pays comme indicateur de compréhension du marché

Les enjeux du risque-pays sont multiples dans le contexte international actuel.

La maturité des marchés des pays occidentalisés pousse un grand nombre d’entreprises à se tourner vers de nouveaux marchés, souvent à risques. Mais les entreprises sont rarement en mesure d’influencer immédiatement les pratiques locales et doivent donc impérativement s'imprégner de la culture des affaires qui prévaut sur pace pour faciliter leur pénétration.

Cette approche est bien éloignée de la pensée, encore répandue en Occident, selon laquelle une entreprise peut réussir par une conquête « quasi-militaire », sans réelle préparation, avec ses préjugés sur les capacités locales. Au contraire, les entreprises doivent faire face à diverses pressions et intégrer le fait que les risques liés à leurs affaires peuvent dépasser le simple cadre des parties au contrat. C’est dans ce cadre que l’indicateur risque-pays prend tout son sens, puisqu’il doit permettre à ces entreprises de comprendre l’état du marché qu’elles comptent investir. À ce titre, l’analyse des forces économiques, politiques et sociales en présence dans le pays visé devient de plus en plus la norme pour les entreprises exportatrices.

L’année 2018 a  confirmé une tendance observée depuis quelques années déjà : celle d’une crise des démocraties libérales. La remise en question de ce modèle est en cours depuis longtemps au Moyen-Orient. Mais elle vient aussi et surtout de l’Asie, notamment de la Chine qui souhaite imposer ses propres règles sur son marché, sous couvert de souveraineté économique et politique, ainsi qu’au reste de la région, avec les pays sud-asiatiques.

Le constat est tout aussi mitigé au sein des pays occidentalisés. En effet, le risque-pays peut se matérialiser par un manque de stabilité politique, entraînant un décalage entre une vision long terme pour des entreprises et de court terme pour les politiques. Parmi les exemples récents de cette tendance, on trouve notamment l’élection de Donald Trump, le Brexit, la montée des « nationalismes », etc.

 

Les risques politiques dans le monde : retour sur deux études de cas de la Coface

  • Les risques politiques dans le monde occidental

Un an après l'élection de Donald Trump et le Brexit, le risque politique que représente la montée des « populismes » était bien entendu au centre du débat. Symptômes d’une crise identitaire et d’un sentiment d’injustice face aux progrès techniques et à la mondialisation, ceux-ci ont évidemment un impact sur l’économie. Cependant, il ne faut pas confondre court et long terme : si les marchés financiers vacillent ponctuellement à l’annonce d’évènements politiques forts, ils semblent étonnamment optimistes sur le long terme. Cela peut s’expliquer de deux façons : d’une part les décideurs font des efforts d’adaptation face à cette nouvelle réalité sociétale, et d’autre part le calendrier des investisseurs privés ne peut pas dépendre d’un calendrier politique qui est, par essence, à court terme. Il doit s’adapter aux réalités culturelles et économiques de chaque pays.

Les chocs politiques « populistes » sont donc devenus des éléments du paysage mondial avec lesquels il faut désormais compter, et qui viennent se superposer à ceux de la crise financière (risques sur la dette souveraine, risques de change ou risques de crise bancaire).

  • La Chine et la route de la soie

Ce projet chinois, dévoilé en 2013, a fait couler beaucoup d’encre. Lors de la conférence, les intervenants ont pu discuter plusieurs aspects : celui des infrastructures de transports des marchandises et d'énergie, celui des télécommunications et celui des transferts financiers. Cette route constitue donc un outil de diplomatie économique fort et revêt un intérêt géostratégique de premier plan. En raison de l’évolution de la stratégie et de la situation économique en Chine, il est probable que, via celle-ci, la République populaire exportera plus de capitaux que de marchandises.

Pour autant, le double sens de cette route est discutable car le marché chinois reste encore très difficile d’accès. Pour Alice Eckman, les deux principaux problèmes qui se posent aujourd’hui dans le commerce avec la Chine sont celui de la réciprocité de l’accès au marché et celui des investissements chinois dans les entreprises stratégiques étrangères.

Au sein de ce projet eurasiatique, le Kazakhstan se voit comme un futur acteur important, occupant un espace géographique et politique privilégié. Ainsi, il souhaiterait devenir l’équivalent de Hong-Kong sur le marché financier eurasiatique. Dans cette optique, de nombreuses réformes sont en cours, comme la création d’un centre financier international dans la capitale, Astana, qui est fortement soutenue par le gouvernement kazakh.

Mais le Kazakhstan n’est pas le seul à vouloir se positionner comme point de passage stratégique sur cette route de la soie. L’Europe a, elle aussi, un rôle important à jouer, confirme Jean-Pierre Raffarin, intervenant à la Coface. Selon lui, la route de la soie ne doit pas faire peur, mais il faut néanmoins rester attentif à son évolution. En effet, la Chine a changé de positionnement : avant, force émergente qui s’était fixée une ligne stratégique de montée en puissance, elle installe aujourd’hui son leadership, notamment en Asie et Eurasie.

Cette route doit répondre à plusieurs problèmes, comme créer des débouchés pour les produits chinois ou gérer les rivalités sur le continent asiatique notamment avec la Russie. L’ex-premier ministre français n’émet pas de doute sur la réalisation de ce projet : « Il est donc inutile d’avoir peur! ».

Pour faire face à ce changement, la France et l’Europe doivent créer leurs propres projets, règles et entreprises afin d’obtenir une place stratégique sur cette route de la soie. À ce titre, selon Jean-Pierre Raffarin, l’Europe pourrait devenir un des centres de gravité de cette nouvelle route  « Afrique-Europe-Asie ». L’OBOR ou One Belt One Road, autre nom de ce projet, doit également s’interpréter comme un nouveau Plan Marshall, mais version chinoise, pour lequel seule réponse offensive d’une Europe unie doit se mettre en place afin de disposer des meilleures cartes possibles.