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La sécurité nucléaire face à la menace des drones

Depuis 2011, la catastrophe nucléaire de Fukushima a mondialement alerté sur l’importance de garantir la sécurité des centrales nucléaires. Cependant, de multiples survols illégaux en France continuent de rappeler la menace que représentent les drones pour la sécurité de celles-ci. Voici un état des lieux des centrales nucléaires, hauts lieux d’enjeux énergétiques et stratégiques, compromis par les drones de loisir.

La France est le second pays producteur au monde d’énergie nucléaire derrière les États-Unis. Plus de 70% de l’électricité consommée sur le territoire national est produite par les 56 réacteurs repartis sur 18 centrales nucléaires de production d’électricité (CNPE). Celles-ci sont toutes exploitées par l’entreprise EDF et rendent le pays fortement dépendant au bon fonctionnement de ces installations. Les CNPE sont pour la France d’importants lieux d’enjeux stratégiques et économiques de par l’indépendance énergétique du pays mais présentant de fortes vulnérabilités. Elles subissent depuis 2012 des survols illégaux effectués par des drones de loisir en dépit des multiples procédures de sécurité mises en place pour les contrer. Si les drones de loisir sont inoffensifs à première vue lorsque leur utilisation principale est respectée, il n’en demeure pas moins que ceux-ci sont capables de représenter une menace pour la sécurité des CNPE lorsque leur utilisation est détournée.

Il existe deux grandes catégories de drones selon la nature des pilotes : les drones professionnels et les drones de loisir. De par la récurrence de leur usage et la possibilité d’être acquis par des particuliers, les drones de loisir constituent actuellement l’une des menaces principales pour les centrales nucléaires. Il s’agit d’aéronefs sans équipage (Unmanned Aerial Vehicle). Les centrales nucléaires ayant été conçues avant le développement des drones, leur conception n’a pas immédiatement intégré les menaces que représentent ces appareils. Dans le domaine nucléaire, les termes de sûreté et de sécurité sont inversés. En effet, la communauté internationale a retenu des définitions différentes que celles habituellement employées par le milieu professionnel de la sûreté. La sûreté nucléaire est une composante de la sécurité nucléaire et s’assure majoritairement de la sécurité des employés. Tandis que, la sécurité nucléaire, comprend la « sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d'accident ».

Afin de déterminer si les drones de loisir représentent une réelle menace pour la sécurité des centrales nucléaires françaises, il convient d’aborder les différentes vulnérabilités des centrales et l’exploitation d’éventuelles failles par les drones de loisir. Enfin il s’agit d’envisager les différentes solutions possibles à l’avenir face à cette menace.

 

La sécurité des réacteurs nucléaires

Les réacteurs nucléaires sont hautement sensibles, mais il est peu probable qu’un drone de loisir puisse leur porter directement atteinte. En effet, les cheminées contenant les réacteurs nucléaires sont « bunkerisées » et conçues, d’après un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) pour résister aux chutes de petits avions de tourisme et d’affaires comme un Cessna 210 d’1,5 tonne ou un Learjet 23 de plus de 5 tonnes. Aussi, les cheminées sont capables de résister à d’importants projectiles d’une soixantaine de kilos en cas d’événement climatique extrême.

Un drone est capable d’emporter une charge représentant le tiers de sa masse au maximum, soit pour un drone de 15 kilos, un engin explosif improvisé (EEI) de 5 kilos. Mais une explosion dépend de l’environnement dans lequel elle a lieu. En l’espèce, en milieu aérien ouvert, par exemple le cas d’un drone s’écrasant contre ou au pied d’une cheminée de réacteur nucléaire, l’onde de choc se propage beaucoup moins violemment qu’en milieu clos ou en milieu liquide.

Ainsi, les drones de loisir et les charges explosives qu’ils pourraient emporter, s’ils présentent un risque élevé pour les personnels, n’en présentent que très peu pour les réacteurs nucléaires et encore moins pour le cœur nucléaire d’une centrale. Cependant, ce n’est pas tant la sécurité des réacteurs qui inquiète l’ONG anti-nucléaire Greenpeace mais celle des piscines de refroidissement et des systèmes électriques.

 

La problématique des piscines de refroidissement

Situées dans des bâtiments annexes, ces piscines permettent de garantir le refroidissement du cœur de la centrale nucléaire et la protection des personnels des combustibles radioactifs usés. Or, celles-ci ne sont pas « bunkérisées » et de fait, plus vulnérables face à la menace des drones. Une fuite importante de l'eau qui les protège entraînerait un nuage radioactif d'ampleur par la mise à l’air libre des combustibles irradiés. Le 3 juillet 2018, Greenpeace réalise une action symbolique en écrasant un drone contre le mur du bâtiment hébergeant la piscine de stockage des combustibles usés de la centrale nucléaire de Bugey. Le premier drone ne sera intercepté qu’une fois au sol tandis que celui qui filmait le premier est reparti aussi simplement qu’il est arrivé. Cette action a permis d’alerter les pouvoirs publics sur la vulnérabilité des installations. 

 

La vulnérabilité des systèmes électriques

À la problématique des piscines de refroidissement, s’ajoute celle de la vulnérabilité dessystèmes électriques. En effet, un drone emportant une charge explosive, serait capable de déstabiliser le système électrique principal d’une centrale et d’empêcher les groupes électrogènes de secours de fonctionner. Si de tels incidents se produisaient simultanément sur différentes centrales, l’alimentation du réseau électrique national ne serait plus en mesure d’être pleinement assurée.

Cela est d’autant plus inquiétant qu’aucune centrale nucléaire ne dispose de « noyau dur » des installations électriques permettant de prendre la relève de assurant les fonctions fondamentales pour la sécurité des réacteurs en cas de perte du système électrique. En l’absence de « noyau dur », les centrales seraient dans l’incapacité de maintenir le refroidissement du combustible contenu dans le cœur du réacteur et la piscine de désactivation. Cette incapacité pourrait peut mener à un processus irréversible de fusion du combustible pouvant créer un nuage radioactif d’ampleur par la mise à l’air libre d’importantes quantités d’éléments radioactifs.

 

Des procédures de sécurité remises en cause

Sous haute surveillance, les centrales nucléaires sont protégées par les pelotons spécialisés deprotection de la gendarmerie (PSPG) formés et opérationnellement contrôlés par le Groupe d'intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN). En cas d’événement grave, la gendarmerie départementale ainsi que l’armée de l’air sont aptes à intervenir rapidement pour prêter assistance au GIGN. Depuis 2011 et suite à la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima au Japon, EDF a créé une Force d'action rapide nucléaire (FARN). Aussi, les centrales sont équipées de vidéosurveillance, d’alarmes et de clôtures anti-intrusion.

Ces procédures de sécurité semblent fiables et opérantes à première vue. Pourtant les forces armées et autorités ne parviennent pas à détecter et neutraliser les survols de drones et à identifier les responsables de ceux-ci. En effet, sur la trentaine de survols nocturnes référencés depuis 2012, aucun drone n’a été neutralisé et l’identité des responsables ainsi que leurs motivations demeurent inconnues. Ceci peut notamment s’expliquer en raison de la furtivité des engins rendant les drones complexes à détecter et neutraliser sans technologies adaptées.

 

Les solutions possibles à l’avenir afin de faire face à cette menace

La première solution possible est la prévention par la « bunkerisation » des piscines et la mise en place d’un « noyau dur » des installations électriques. Mais ce renforcement des piscines engendrerait un coût très important pour EDF d’entre « 1,6 milliard et 2,26 milliards d'euros par piscine ».

Deuxièmement, il apparaît indispensable de renforcer les dispositifs de surveillance et de neutralisation. En effet, afin de faire face à cette menace il est impératif de localiser les auteurs de ces survols puis de neutraliser les drones. Les solutions ne manquent pas afin de détecter et neutraliser un drone.  

Pour la détection, un radar peut être mis en place. Cependant, du fait de la faible signature radar du drone, il serait difficile de le discriminer parmi les oiseaux, engendrant un risque important de « fausses détections ».

Il existe à ce jour de nombreuses méthodes pour neutraliser un drone : système de défense sol-air, brouillage, fusils à pompe ou anti-drones. Néanmoins, ces solutions présentent des contraintes non négligeables ; un système de brouillage peut avoir conséquences collatérales pour les zones voisines. La neutralisation peut conduire à la destruction de l’appareil dont les  éclats tombés au sol peuvent causer des dommages aux biens et aux personnes. Enfin, la mise en œuvre de drone avec des filets, ou bien le dressage de faucons sont des solutions efficaces mais limitées de nuit, période pourtant favorable aux survols illégaux.

De nouvelles solutions sont en développement comme l’utilisation de lasers permettant d’aveugler les optiques de l’appareil et dont certains sont en phases de test permettant de « détruire les drones volant jusqu’à 50 km/h à une distance d’un kilomètre ». Le piratage est également une solution efficace, offrant l’opportunité de prendre le contrôle du drone en interceptant le signal entre le pilote et le drone.  Une autre technique appelée « GPS Spoofing » permet quant à elle de manipuler la trajectoire du drone en lui fournissant de fausses coordonnées GPS.

La nouvelle réglementation européenne sur les aéronefs sans équipage entrant en vigueur le 31 décembre 2020 pourra peut-être apporter des solutions en organisant la traçabilité des télépilotes de drones. En effet, à compter de cette date, tous les appareils devront désormais être enregistrés sur la plateforme Alpha Tango de la DGAC.

En somme, bien que la sécurité des réacteurs nucléaires soit fiable, des renforcements et améliorations sécuritaires sont nécessaires pour les piscines de refroidissement et les systèmes électriques des centrales. De nombreuses solutions à l’avenir sont envisageables pour la détection et la neutralisation des drones de loisir. La sécurité des CNPE représente un coût extrêmement important pour EDF, de l’ordre de dizaines de milliards d’euros. Cependant, la menace des drones est suffisamment sérieuse pour que ces coûts ne soient pas des obstacles à la sécurité de la France.

 

Océane OISEL du Club Sûreté AEGE

 

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