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Les risques commerciaux : variable dominante des prospectives mondiales en 2020 (Partie 2/2)

En 2020, le contexte géopolitique mondial est désormais davantage contraire aux intérêts des entreprises internationales qu’il ne l’a été depuis plusieurs années. De nombreux facteurs contribuent au climat d’incertitude qui règne dans le monde des affaires.

Selon le rapport sur les risques mondiaux 2019 du Forum économique mondial, les tensions géopolitiques et géoéconomiques représentent les risques majeurs à l’échelle mondiale pour le commerce international.  Partant des contestations des accords de libre-échange, aux tensions commerciales sino-américaines, en passant par les incertitudes politico-économiques mondiales pour arriver à la décélération de la croissance des échanges mondiaux, ces principaux enjeux de la sphère actuelle risquent d’amortir le potentiel de coopération mondiale. La transition vers une doctrine antimondialiste devrait se poursuivre. Même si les économies matures comme les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Union Européenne et le Japon demeurent les acteurs les plus puissants, les économies émergentes telles que l’Inde, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Brésil et la Turquie joueront un rôle majeur dans la stabilité mondiale. En outre, l’intensification des risques mondiaux expose l’ensemble des États et des entreprises à une grande incertitude et menace leurs intérêts commerciaux.

 

Les perspectives de l’économie mondiale sont dominées par une multitude de risques commerciaux. Selon le rapport du FMI, l’année 2020 sera dominée par les risques de tensions entre la Chine et les États-Unis, par le ralentissement économique de la zone euro et par la remise en cause du multilatéralisme. En outre, le démêlage de l’OMC et la montée des tensions entre la Russie et l’Ouest sont à leur tour des facteurs à fort impact. 

 

La trêve est-elle un enterrement de la hache de guerre? 

L’incertitude créée suite à la guerre commerciale sino-américaine a fait des risques commerciaux les premiers risques mondiaux de l’année 2020, selon RiskMap. La signature de la Phase 1 de l’accord entre les États-Unis et la Chine a certes, réduit le niveau d’incertitude chez les investisseurs, mais elle ne l’a pas éliminé. Malgré la restauration partielle de l’amitié commerciale entre les deux pays, « la nouvelle norme des tarifs élevée » comme la qualifie le Peterson Institute For International Economics sera maintenue. Cela signifie un frein commercial à la fois aux entreprises américaines qui cherchent à s’approvisionner du marché chinois, aux consommateurs mais également aux budgets des États. 

 

À l’heure actuelle, les entreprises n’ont pas pris conscience de la nécessité de choisir entre les marchés et les systèmes économiques qui s’opposent. Elles se retrouvent dans l’obligation de faire face aux pressions politiques, règlementaires et de réputation de la Chine afin de garder leur neutralité. En outre, comme la stratégie de la Chine s’inscrit dans la démarche d’autonomie industrielle et de souveraineté économique, les entreprises engagées sur le marché chinois ne maîtrisent pas les risques liés à la consolidation de leur position stratégique sur ce marché. Or, la stratégie économique nationale de la Chine n’est pas le seul défi pour les entreprises, il convient également de citer les politiques protectionnistes des hauts fonctionnaires. La Chine reste cependant loin d’être un marché à haut risque. 

 

Un monde tiraillé entre incertitude économique et fragilité politique 

Le découplage des deux plus grandes puissances économiques dans un techno-nationalisme croissant génère une fragilité politique des États et entraîne, par conséquent, une incertitude élevée chez les investisseurs. 

 

Afin de protéger les parts de marché états-uniennes, Donald Trump cherche à freiner le développement des chaînes d’approvisionnement reliant la Chine au reste du monde, en général et aux États-Unis en particulier. Le Président américain intervient à travers la restriction des investissements, des transferts de technologies et des échanges scientifique. À cet égard, le découplage est de plus en plus apparent dans les domaines liés à la sécurité nationale à savoir les secteurs de télécommunications, de technologies à haut débit (5G) et du commerce électronique. 

 

Le freinage de l’innovation mondiale et des chaînes d’approvisionnement ne pourra qu’impliquer une remise en cause de la politique américaine sur la sphère internationale. La Chine est un partenaire commercial de premier plan avec l’Asie, l’Afrique, l’Union européenne et avec de nombreux pays de l’Amérique latine. Le développement de partenariats avec des entreprises chinoises est vecteur d’incertitude comme cela a été illustré avec l’affaire Huawei. Trois pays ayant ainsi cédé aux ultimatums américains et mis fin à leurs relations avec le fournisseur chinois.

 

Ce découplage fait de l’année 2020 une année de cygnes noirs, dans le sens où elle n’apporte guère de promesses de soulagement ou de rapprochement. Les pays dont les fondements politiques et économiques sont raisonnablement solides résisteront à ce qui sera probablement une année de stagnation de la croissance, en l’absence d’un choc local ou mondial grave. Mais les pays confrontés à de problèmes politiques majeurs trouveront dans la morosité des perspectives économiques une source de montée de crises : une économie faible augmente les risques d’une nouvelle instabilité politique.  La différence entre les deux types de pays est très étroite. Les entreprises devront savoir où se trouvent leurs marchés les plus vulnérables et si l’année 2020 les mettra sous une pression potentiellement transformationnelle.

 

La guerre commerciale américaine se limite-elle à la Chine ? 

L’expression « guerre commerciale » est devenue synonyme de bras de fer entre les États-Unis et la Chine dans la pensée collective. Or, la politique protectionniste mise en œuvre par le président américain Donald Trump n’exclut aucun Etat, dans la mesure où les décisions prises ne font que déstabiliser et fragiliser le système commercial international. 

Dans cette guerre commerciale, l’Union européenne a déjà été ciblée par l’application de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium. L’année 2020 a été principalement marquée par le rejet des conditions américaines par la France dans le cadre des négociations sur la taxation du numérique au sein de l’OCDE. Face à cette prise de position, les États-Unis ont menacé de surtaxer l’équivalent de 2,4 milliards de dollars de produits français à savoir les produits laitiers, les vins, les cosmétiques… Cette tension a vite été calmée par les deux chefs d’Etats. 

 

Zone euro : victime du ralentissement de la croissance mondiale 

La résilience de l’Union européenne sera mise à rude épreuve en 2020. Le manque de marge de manœuvre des politiques monétaires classiques a affaibli la capacité de réaction des États européens. Cette situation est devenue de plus en plus rude face à l’évolution constante des politiques des Etats membres et à la création de coalitions difficiles à gérer en raison de la fragmentation politique croissante. 

En outre, afin de garder les partis populistes et d’extrême droite hors des gouvernements, des coalitions hétérogènes et moins cohésives ont vu le jour au sein des pays de l’UE. Ceci ne peut qu’appuyer le manque de marge de manœuvre et par conséquent le manque de coordination énoncée plus haut.

 

Pour les entreprises, le risque est que cette instabilité et cette indécision prolongée ne parviennent pas à convaincre les marchés internationaux que l’Europe est en mesure de relever ses défis économiques et politiques. Si les marchés perdent confiance et recommencent à douter de la stabilité de la zone euro, l’accès aux capitaux pourrait devenir un défi, avec des conséquences négatives sur les entreprises dont les fondamentaux financiers ne sont pas solides.  

 

L’Allemagne, « l’homme malade de l’Europe »

Après l’imposition de majorations de tarifs douaniers sur les voitures allemandes, le pays leader de l’UE a pu échapper de justesse à une récession économique. Cette fragilité économique pèse actuellement sur la gouvernance de l’Union européenne dans la mesure où le pays fait face à un risque de repli sur ses problématiques nationales. En outre, l’Allemagne est marquée par une montée de demandes de relance de la croissance par le biais des investissements. Des investissements qui profitent actuellement des taux bas. 

 

La France, gagnante de la guerre commerciale sino-américaine

Face au ralentissement économique, la France est l’un des pays de la zone euro qui s’en sort le mieux. Les champions français ont tiré profit de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine afin de se positionner en tant que fournisseurs de plusieurs entreprises américaines. Ces entreprises éclairées ont ainsi pu capter plus de 3 milliards d’euros. En parallèle, elles ont récupéré des parts des marchés précédemment chinoises pour une valeur de 1,4 milliard d’euros. Ceci peut s’expliquer par la performance commerciale du secteur aéronautique, selon Georges Dib.

Cependant, malgré ces bonnes nouvelles, les perspectives pourraient avoir un autre dénouement. L’arsenal de sanctions américain contre l’UE en est le parfait témoin. Aujourd’hui, Airbus exporte vers les États-Unis à un prix majoré de 15 % suite à ces sanctions. 

 

Brexit : est-ce possible de maintenir le cap sur la croissance ?

Le départ officiel du Royaume-Uni de l’Union Européenne n’est que le début d’une grande bataille : négocier un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’Europe avant la fin de l’année, une échéance que les responsables politiques estiment loin d’être réaliste et réalisable. En outre, l’ambiguïté générée en matière de droits et règlementation génère une incertitude chez les entreprises et les consommateurs. 

 

Les États-Unis à leur tour ambitionnent de négocier leur propre accord de libre-échange avec la Grande-Bretagne afin d’assurer une coopération en matière de règlementation économique. Or, cela ne peut que freiner tout éventuel accord avec l’Europe et faire perdurer le délai de négociation de l’accord.

 

La Chine : un dragon en décélération 

La Chine a été l’un des principaux pays victimes des droits de douanes imposés en 2019 par les États-Unis. Le pays a enregistré des pertes à l’export d’environ 80 milliards en 2019. La majoration des prix suite à la hausse des droits de douanes a entraîné l’affaiblissement de la demande mondiale et le ralentissement à la fois des investissements et de la consommation. Le dernier point de rupture au cours de l’année 2019 a été la chute des ventes automobiles et des services. 

 

Or, la guerre commerciale sino-américaine n’est pas la seule et unique raison derrière la récession économique de la Chine. L’usage de la relance budgétaire, comme mesure corrective pour stimuler la croissance, ne peut qu’aggraver la situation des entreprises à long terme, en les rendant à peine rentables et moins productives. 

 

En outre, si la Chine fait face à un ralentissement important, les retombées seront apparentes au niveau de plusieurs pays en voie de développement. « Je pense qu’un atterrissage dur en Chine n’est pas aussi probable que la plupart des autres risques majeurs à l’horizon pour 2020 – comme un Brexit chaotique – mais si cela devait se produire, cela aurait des effets massifs sur d’autres économies et sur la planète, car la Chine est  profondément interconnectée avec toutes les autres grandes économies », a déclaré Julian Gewirtz, expert chinois au Weatherhead Center for International Affairs de l’Université de Harvard. 

 

 En fin de compte, des tensions commerciales accrues entre les grandes économies, conjuguées au blocage partiel de l’Organisation mondiale du commerce opéré par les États-Unis, pourraient signifier un retour au commerce relativement entravé, les pays appliquant à volonté les tarifs sur les importations. La Banque mondiale prévient qu’un retour à des droits plus élevés dans tous les domaines pourrait être aussi dévastateur pour le commerce mondial que la grande crise financière d’il y a dix ans.

 

Karima Alami, Lorenzo Neumann