ELBIT Systems au cœur d’un scandale de corruption : l’OTAN fragilisée

La suspension discrète en juillet dernier d’Elbit Systems par l’agence d’approvisionnement de l’OTAN a été révélée cette semaine par des médias français, belges et néerlandais. Cette illustration d’un schéma de corruption transnational, menace à la fois la cohésion de l’organisation et la sécurité des chaînes d’approvisionnement militaires.

Une suspension passée sous silence

Selon des documents internes révélés par un consortium de médias européens, Elbit Systems est suspendu de l’ensemble des procédures d’attribution de contrats de la NSPA, l’agence d’approvisionnement et de soutien de l’OTAN. La décision, tenue confidentielle, intervient dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de fraude, de corruption et de manipulation de contrats stratégiques.

Quinze programmes majeurs ont été immédiatement gelés, touchant notamment des livraisons de drones, de munitions de 155 mm, de bombes à fusées aériennes et de systèmes de contre-mesures. Parmi les cas les plus emblématiques figure le programme portugais de modernisation à mi-vie des patrouilleurs (100 M€, étalés de 2016 à 2024), dont une partie était confiée à Elbit

Au cœur du dispositif se trouve Eliau Eluasvili, consultant italien de 60 ans, responsable de plusieurs dossiers entre Elbit et la NSPA. Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen depuis le 30 septembre 2025, il est soupçonné de corruption active et d’association de malfaiteurs. Les autorités de sept pays européens et partenaires (Belgique, Pays-Bas, États-Unis, Suisse, Luxembourg, Roumanie) enquêtent sur un réseau mêlant transferts d’informations confidentielles, versements occultes et blanchiment via des sociétés-écrans établies en Europe occidentale.

Une atteinte à la gouvernance de l’OTAN

L’affaire ébranle la crédibilité de la NSPA, qui gère plus de 10 milliards d’euros d’achats par an. La révélation de failles systémiques dans les procédures de contrôle pourrait l’affecter sur quatre points majeurs :

• Sur la confiance entre alliés, dans un contexte de réarmement accéléré lié à la guerre en Ukraine.

• Sur les politiques européennes d’autonomie stratégique, l’affaire interférant avec les initiatives de commandes conjointes (EDIRPA, EDIP) mettant en lumière la dépendance vis-à-vis de fournisseurs extra-européens.

• Sur les équilibres transatlantiques, les gouvernements devant arbitrer entre la préservation de la cohésion alliée et les pressions d’opinion pour des sanctions exemplaires.

• Sur les dynamiques politiques internes, les accusations d’opacité alimentant les critiques souverainistes et les appels à « réeuropéaniser » les capacités clés (munitions, systèmes navals, guidage) 

Les conséquences opérationnelles sont immédiates : retards logistiques, marchés d’urgence à coûts potentiellement plus élevés, réaffectations de stocks entre alliés et renégociations forcées de contrats critiques.

Implications stratégiques pour les États européens

Pour les capitales européennes, l’enjeu est double : reprendre le contrôle politique sur l’usage de la NSPA et accélérer la diversification des fournisseurs sur les segments où Elbit était critique. Les gouvernements doivent également gérer l’impact réputationnel en expliquant que la suspension protège l’intégrité des achats, sans remettre en cause le soutien à l’Ukraine. L’implication des parlements et des commissions de défense est essentielle pour éviter une instrumentalisation du scandale contre l’Alliance

Lisa GUILCHER

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