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Lutte contre la corruption : vers la création d’une institution répressive mondiale ?

Devenue l’apanage de nombreux États dans le monde, la lutte anti-corruption est un véritable argument de légitimation et de fiabilité de son action à l’échelle mondiale. Au travers d’objectifs de régulation des échanges monétaires et commerciaux mondiaux et de moralisation des pratiques d’affaires, l’instauration d’une entité répressive mondiale contre la corruption est une idée dont la reconnaissance s’évertue de croître.

Le lundi 28 novembre dernier, la table ronde à l’anti-corruption a réuni les ministres des Affaires étrangères respectifs des Pays-Bas, du Canada et de l’Equateur pour échanger sur les opportunités de création d’un tribunal international à l’anti-corruption. Les ministres Wopke Hoekstra, Mélanie Joly et Juan Carlos Holguín Maldonado, rassemblés à l’occasion de cet événement à La Haye, siège de nombreuses institutions internationales – telle que la Cour pénale internationale – ont conjointement soutenu la campagne de création d’une institution à la compétence internationale et spécialisée dans la répression des infractions de corruption. Inspirée du modèle juridique de la Cour pénale internationale (CPI), cette institution permettrait, a minima, la judiciarisation à l’échelle mondiale des infractions de corruption mentionnées dans la Convention des Nations unies contre la corruption adoptée le 31 octobre 2003. De la corruption d’agents publics nationaux au trafic d’influence, en passant par la corruption dans le secteur privé, la Convention liste dans son chapitre 3 l’ensemble des infractions universelles en la matière. 

Si le soutien donné à cette campagne n’est pas nouveau, l’adhésion progressive de certains États relance la question et entretient la possibilité de voir émerger une institution à la compétence internationale. Présidée par Mark Lawrence Wolf, fondateur de l’ONG Integrity Initiatives International et ancien juge principal de la Cour de district fédérale du Massachusetts, cette campagne de création d’une institution internationale date en réalité de 2014 et a pour objectif de lutter contre la « grande corruption » autrement nommée « kleptocratie ». Mark Wolf a soutenu pour la première fois l’instauration d’une Cour internationale pour la lutte anti-corruption au travers d’un article du Washington Post de la même année, rassemblant ainsi de nombreuses personnes politiques et des intellectuels tels que des membres ou anciens membres de gouvernement australien, canadien ou même français, et plusieurs lauréats de prix Nobel. 

 

Aujourd’hui, s’inspirer du modèle de la CPI permettrait selon Maja Groff, conseillère principale en charge des questions relatives aux traités internationaux de l’ONG susmentionnée, « d’examiner ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné et quelles pourraient être les prochaines étapes ». Pour le ministre des Affaires étrangères néerlandais, ce tribunal international serait un véritable « outil de consolidation de l’application des législations déjà existantes » en la matière. En revanche, si 189 États ont ratifié la Convention, la question de la mise en place d’une Cour internationale pour la lutte anti-corruption n’est pas partagée par l’ensemble des parties et rappelle les dissensions existantes. Absent de cette table ronde, les États-Unis se sont néanmoins exprimés à l’issue de celle-ci afin de rappeler la convergence de leurs intérêts envers les mesures de lutte contre les faits de corruption, menaçant « la gouvernance démocratique et la sécurité mondiale », avant d’ajouter que l’idée de Cour internationale n’était pas partagée. Un communiqué qui rappelle les réserves émises lors de la signature de la Convention des Nations unies contre la corruption, recevant elles-mêmes des observations de la part des hollandais

Finalement, la louable démarche de mise en place d’une institution à compétence exclusive et en mesure de consolider l’action étatique suscite des interrogations sur la nature et l’étendue des prérogatives qui pourraient lui être confiées. Les dissensions et la présence encore restreinte d’États en tant que parties prenantes sous-entendent d’autant plus le manque de consensus au sein de la communauté internationale.

 

Yanis Gras

 

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