Avec le plan de transition, le gouvernement gabonais entend doter son pays d’une économie prospère et durable, socialement inclusive. Désengorger la circulation à Libreville avec un tramway constitue un projet phare. Alors que la Chine s’est déjà positionnée, la diplomatie économique française a des atouts majeurs à jouer dans une région du monde où la France a perdu en puissance politique et économique, depuis plus d’une décennie.
Alors que l’Afrique connaît une urbanisation fulgurante, les enjeux de mobilité urbaine deviennent critiques. Dans de nombreuses capitales africaines, le besoin de systèmes de transport collectif modernes n’est plus une option mais une urgence. Ces projets structurants attirent naturellement des puissances économiques, notamment asiatiques, mais aussi la France, qui a su imposer son savoir-faire à Dakar et Abidjan. Aujourd’hui, c’est au tour du Gabon de lancer son projet de transport collectif pour la capitale Libreville.
Mais une question cruciale se pose : la France saura-t-elle se positionner, ou laissera-t-elle le champ libre à la Chine, de plus en plus active dans les grands projets africains ? L’histoire récente du TER de Dakar et du Métro d’Abidjan démontre que la diplomatie économique française a su s’imposer. Le Gabon représente aujourd’hui une nouvelle opportunité, mais aussi un test déterminant.
Les succès français : Dakar et Abidjan, deux cas d’école
En Afrique, la mobilité urbaine devient un champ de bataille géoéconomique. Alors que la Chine avance ses pions via ses offres clés en main et ses financements rapides, la France conserve des cartes importantes, l’enjeu consiste à les abattre au bon moment. Deux exemples – Dakar et Abidjan – montrent que la France arrive à gagner des contrats pour des projets structurants quand elle agit vite, de manière coordonnée et en s’alignant avec les priorités locales.
Le TER de Dakar, une victoire stratégique
À Dakar, capitale sénégalaise en pleine congestion, un projet de Train Express Régional (TER) a été conçu pour relier le centre-ville à l’aéroport international Blaise Diagne. Dès le départ, des entreprises coréennes s’étaient positionnées. Mais la France, à travers une mobilisation collective et diplomatique, a su reprendre l’initiative.
Le financement du TER, d’un coût total de 1,3 milliard d’euros, a été structuré avec l’appui de l’AFD, du Trésor français et d’un pool bancaire. Sur le plan technique, SYSTRA, Thales, Eiffage et Engie ont pris la main. Le résultat : une infrastructure moderne, emblématique, qui renforce la coopération bilatérale France-Sénégal. Pour finir, le Sénégal a confié l’exploitation de son TER à la SNCF, pour une durée initiale de trois ans. Le partenariat franco-sénégalais aura couvert la globalité du projet, compliquant ainsi l’action des concurrents chinois ou autres.
Le métro d’Abidjan : un cas d’école
En Côte d’Ivoire, le projet de métro d’Abidjan a lui aussi suscité l’intérêt chinois. Là encore, la France a su réagir rapidement. Grâce à une diplomatie offensive et un montage financier solide, elle a sécurisé le projet. La ligne 1 du métro, d’environ 37 km, est aujourd’hui portée par un consortium français regroupant Alstom, Bouygues, Keolis et RATP Dev. Le financement, d’une somme de 1,4 milliard d’euros, s’appuie sur des prêts concessionnels garantis par l’État français. Ces deux exemples montrent que la France sait faire la différence quand elle agit vite et ensemble.
Libreville : une capitale en mutation mais sans transport collectif structuré
Situé au cœur de l’Afrique centrale, le Gabon est un pays riche en ressources naturelles, politiquement stable, avec un fort potentiel de développement durable. Libreville, sa capitale, abrite plus de 50 % de la population nationale sur un territoire urbain densément peuplé, en croissance continue. Le pays possède l’un des taux d’urbanisation les plus élevés d’Afrique, plus de 80 %.
Pourtant, malgré ce dynamisme, la ville est confrontée à un défi majeur : l’absence d’un véritable système de transport collectif structuré. Les déplacements reposent principalement sur une offre informelle, désorganisée, majoritairement assurée par des taxis, minibus, bus de la Sogatra ou Trans-Urb sans horaires ni itinéraires fixes, souvent vétustes et non régulés, entraînant une congestion chronique, des pertes économiques quotidiennes pour les usagers et les employeurs, une forte insécurité routière et une accessibilité inégale aux services essentiels.
Libreville souffre depuis plusieurs décennies d’un réseau de transport informel, anarchique et polluant. Taxis partagés, minibus vieillissants, congestion chronique : les conditions de déplacement y sont devenues un frein au développement économique. Pourtant, des signes positifs apparaissent : le début des travaux du Boulevard de la Transition, la construction de la nouvelle cité administrative, la mise en chantier des routes de contournement et le projet d’autoroute Igoumié–Andem, actuellement en préparation.
Ces projets montrent la volonté de transformation urbaine du pays. Le tramway de Libreville s’inscrit dans cette dynamique. Le coût estimé de cette infrastructure n’est pas connu. Mais le gouvernement a prévu une contribution de l’ordre de 400 millions de dollars, le projet est vu comme prioritaire par les nouvelles autorités. Il permettrait de désengorger la capitale, de réduire les émissions nocives, de structurer les flux économiques et sociaux.
Le risque chinois : rapidité sans conditions… mais à quel prix ?
L’intérêt de la Chine pour la capitale gabonaise
Depuis plusieurs années, les entreprises chinoises s’implantent massivement dans les infrastructures africaines. Leur force réside dans des financements rapides, peu conditionnés, assortis de constructions clés en main. En revanche, le modèle présente des limites : un faible transfert de compétences, une opacité des contrats et une dette croissante pour les pays hôtes.
La Chine a manifesté un intérêt pour Libreville. Un retard de positionnement de la France, contrairement à ce qui a été observé à Dakar ou Abidjan, pourrait ouvrir la voie à une influence accrue de Pékin. Dans ce scénario, le projet d’urbanisation de Libreville s’inscrirait potentiellement dans la diplomatie chinoise des Nouvelles Routes de la soie, au détriment d’un partenariat plus équilibré.
Au-delà de la compétition économique, c’est la question du rayonnement et de l’influence qui se pose : la gestion du projet par la Chine implique de voir cette zone stratégique de l’Afrique tomber davantage dans la sphère d’influence chinoise. Or, la France dispose d’atouts au travers de l’AFD, de la Banque européenne d’Investissement ou encore du Trésor français. Ces leviers lui permettent de garantir un partenariat gagnant-gagnant ainsi que des standards environnementaux, sociaux et techniques européens beaucoup moins contraignants que ceux de la Chine.
Les atouts français au Gabon face à la Chine
Mais derrière ce projet ambitieux se cache un enjeu géopolitique et géoéconomique : la Chine est déjà prête à investir. Quant à la France, partenaire historique du Gabon, elle dispose de tous les atouts : ingénierie, financement, savoir-faire. La France a la capacité de proposer une offre globale grâce à ses champions industriels comme Systra, Egis, Keolis, RATP Dev dans le cadre d’un montage Partenariat Public-Privé (PPP) incluant un transfert de compétences vers le Gabon, l’utilisateur final.
Par ailleurs, Paris sait proposer une solution de financement en accompagnement à sa proposition de solution technologique via la mobilisation d’instruments de financement mixte tels que l’AFD, Proparco, la direction générale du Trésor. Le modèle français offre des bénéfices que ne propose pas le modèle chinois : qualité, durabilité et transparence. La capacité à bien communiquer autour de ce type d’initiative apparaît comme l’un des facteurs pouvant contribuer à son succès. Une victoire sur ce projet pourrait illustrer un approfondissement de la coopération stratégique entre la France et le Gabon, autour de leviers de développement tels que l’éducation, les transports et le numérique.
L’opportunité de renforcer une coopération franco-gabonaise équilibrée et bénéfique pour les deux parties
Les nouvelles autorités gabonaises ont affiché leur volonté de rupture avec certaines pratiques anciennes. Elles misent sur la transparence, la modernisation, l’intégration régionale. Le développement durable et économique fait partie des six principes prônés par le Chef de l’État gabonais, Brice Clotaire Oligui Nguema, comme l’indique le « Plan national de développement pour la transition 2024-2026 ».
Le tramway de Libreville est un projet emblématique, potentiellement transformateur pour la qualité de vie des habitants. Les difficultés de circulation dans la capitale gabonaise compliquent au quotidien le travail et l’activité économique, constituant un frein à l’essor du pays tout entier. La pollution génère des problèmes de santé tels que l’asthme, les maladies respiratoires, qui fragilisent et impactent l’existence de nombreux habitants tout en créant des coûts sociaux et des dépenses de santé.
Le tramway de Libreville est aussi un projet potentiellement transformateur pour l’image du Gabon. Le gouvernement gabonais promeut une transition basée sur un développement social inclusif, un développement économique et durable, des valeurs que la France partage et pour lesquelles elle peut proposer des solutions concrètes.
Le projet d’infrastructure de Libreville : une opportunité pour la France de reprendre pied en Afrique
La France a subi des pertes économiques majeures en Afrique au cours des vingt dernières années, réduisant de près de moitié ses parts dans un marché, qui, lui a quadruplé. Valoriser le savoir-faire financier, technologique et sociétal des entreprises françaises s’inscrit dans une logique de diplomatie économique où intérêts économiques privés et intérêts politiques étatiques se rejoignent. Face à l’agressivité chinoise mais également au pragmatisme allemand, la France dispose d’un atout décisif en Afrique, la formation de ses cadres et son agilité à résoudre les crises, comme l’évoque le MEDEF. L’éducation et les diplômes français sont reconnus dans les pays africains francophones, au sens propre du terme. Au-delà des méthodes et techniques, ceci implique une imprégnation de valeurs communes. Dans le monde de l’entreprise, la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) en est la traduction concrète. La France défend des standards environnementaux, sociaux, sécuritaires et de transparence des marchés publics. Ces standards répondent aux attentes de l’actuel gouvernement gabonais.
La France dispose là d’un atout majeur pour remporter un projet qui lui permettrait d’infléchir une tendance politique de sortie de l’Afrique francophone. Pour ne prendre que le Gabon, Libreville a décidé de s’associer au Commonwealth anglo-saxon pour pallier les défauts de la francophonie. De la même manière, la France a été chassée dernièrement du Tchad et le Sénégal, pays avec lesquels Paris entretenait des liens étroits depuis l’indépendance.
Libreville pourrait bien constituer une nouvelle étape dans le renforcement d’une coopération réussie entre la France et l’Afrique. Une fenêtre d’opportunité provisoire existe. La France a montré à Dakar et à Abidjan qu’elle savait réagir. Libreville pourrait être son troisième succès africain dans le transport urbain structurant. Pour s’imposer face à la Chine, la rapidité d’action sera déterminante du côté de Paris. Face à Pékin, Paris dispose de tous les atouts pour faire valoir son influence, en contribuant au développement d’infrastructures de mobilité à Libreville, permettant ainsi aux habitants d’exercer pleinement leur droit à une ville accessible et fonctionnelle, tout en consolidant son partenariat avec le Gabon.
En accompagnant Libreville dans cette transformation, la France investit de façon plus large dans la stabilité, la visibilité et la durabilité de son partenariat en Afrique.
Jean-Aimé Nziengui et Isabelle Delaunay
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