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Les centrales nucléaires flottantes russes, nouveau défi ?

Le programme russe de centrale nucléaire flottante à pour projet de développer huit centrales nucléaires de ce type pour les régions les plus reculées de la Russie et ainsi les approvisionner en énergie. Ce programme développé par l’agence fédérale de l’énergie atomique s’inscrit dans la politique de sécurité énergétique de la Russie.

La structure d'une centrale nucléaire flottante (CNF) se compose de l'enceinte du réacteur, de l'enceinte du circuit primaire qui entoure directement le réacteur. Le schéma se présente comme suit :

Plusieurs régions en Russie ont déjà été sélectionnées pour accueillir des centrales nucléaires flottantes, certaines pour l'alimentation d'infrastructures minières, gazières ou pétrolières, d'autres pour alimenter en énergie des villes ou des régions reculées, d'autres encore pour alimenter des bases militaires ou des bases de lancement de missiles.

La péninsule de Kamchatka et plus précisément la ville de Vylyuchinsk accueilleront en 2012 la première CNF, l'Akademik Lomonossov. Ce n'est pas un hasard si ce site a été choisi, la CNF pourra alimenter la base militaire navale de Vylyuchinsk et pourra contribuer également à l'alimentation des nouveaux submersibles de classe Borei. Le Youri Dolgorouki devrait faire partie des deux premiers submersibles de cette classe à avoir pour port d'attache la base de Vylyuchinsk. Le rôle de la CNF les réalimentera, de même que la base, l'hôpital et les installations accueillant prés de 60 marins. En outre, la région apparait riche en matières premières et notamment en terres rares. Les régions de Yakutia ou la ville de Pevek sont davantage prévues pour une alimentation électrique. Dans les péninsules de kola et de Yamal, Gazprom prévoit d'utiliser ce type de centrales pour l'exploitation de plusieurs gisements. Pour  l'heure, Rosatom a investi près de 517 millions d'euros dans le projet mais une CNF devrait avoir un coût de 270 millions d'euros.  40% du coût devrait être attribué à des dépenses afférentes à la sécurité, tant à la sécurité de la coque, qu'a celle du réacteur et des technologies protégeant son accès. Ainsi technologie de reconnaissance faciale, d'empreinte digitale ou d'identification par l'iris seront utilisées pour sécuriser l'accès aux réacteurs. Après la fabrication de la première centrale, la fabrication en série devrait débuter et le coût serait alors selon certains médias russes de 135 à 170 millions d'euros.

Tout l'intérêt pour la Russie est donc de valoriser son expérience en matière de propulsion nucléaire, particulièrement en matière de propulsion nucléaire civil, la Russie étant le seul pays à avoir réellement utilisé sur le long terme des réacteurs nucléaires pour alimenter certains navires tel que sa flotte de brise glaces. La valorisation de cette expérience passe tout d'abord par le programme russe qui prévoit des débouchés tant dans le public que dans le privé, il apparait comme une véritable vitrine d'exportation. Plusieurs républiques fédérées russes ont signé des accords pour accueillir des centrales nucléaires flottantes de divers intensités. En 2007, la république de Sakha dans la région de Yahutia Republic a passé un accord pour la construction d'une CNF  de basse intensité utilisant des réacteurs de type ABV.
La Russie oriente sa technologie vers une diminution de l'importance des réacteurs et donc une diminution des risques relatifs à la proportion d'Uranium que contiendra le dit réacteur. Après Fukushyma, il est possible que les centrales nucléaires d'importance moindre soit mieux accueillies par la population que des installations qui pourraient engendrer des catastrophes d'importance majeure. La question est de savoir s'il vaut mieux avoir une multitude de petites centrales sur le globe ou des gros réacteurs localisés dans les endroits les plus peuplés. Ce sera probablement aux pays en voie de développement de décider et d'orienter le marché.

Une technologie ancienne synonyme de soutien à la filière russe
La technologie utilisée comme le projet ne sont pas nouveaux. Dès 1994, le vice-president de la Fédération de Russie, Oleg Soskovets a signé deux décrets posant les jalons du projet.; le décret n°OS-P7-23250 daté du 27 juillet 1994, "On the development of the technical and economic justification for the construction of FNPPs with reactor installations such as the KLT-40 in Pevek, ChukotskyAutonomous Area"  et le dècret n°OS-P7-23260 intitulé " On the organization of workfor the selection of a suitable site and the construction design for low-power nuclear plants in the form of floating energy units with reactor installations such as KLT-40C". Après les différentes crises, la Russie relance ce projet dans un contexte de forte demande énergétique des pays émergents. Relancé en 2006, il est piloté par l'agence fédérale de l'énergie atomique russe (Rosatom), accompagnée de Rosenergoatom le producteur russe d'électricité directement soumis à son autorité et Atomenergoprom, holding qui regroupe l'ensemble de l'industrie nucléaire russe. Celle-ci regroupant tant l'exploitant (Rosenergoatom), que le fabricant de combustile (TVEL) ou l'Agence d'Exportation d'Equipements Nucléaires (Atomstroyexport). Trois entreprises sont également impliquées dans la construction et l’assemblage des réacteurs et de la structure de l'enceinte de la centrale.
OKBM est en charge du développement des réacteurs, de la chaine industrielle et du suivi technique. Izhorskiye Zavody développe et construit les cuves des centrales et NMZ développe les composants et l'assemblage du réacteur. La construction de la première centrale nucléaire flottante a démarré en 2007 aux chantiers navals Sevmach, entreprise principale du Centre fédéral des constructions navales nucléaires située à Severodvinsk (région d'Arkhangelsk, nord-ouest de la Russie).  En 2008, le projet a été déplacé aux chantiers navals de Baltiysky Zavod à Saint-Pétersbourg, chantiers qui s'occupaient traditionnellement de la construction des brises glaces russes et des navires destinés à l'arctique.
Ce nouveau  projet est synonyme de reconversion industrielle pour les chantiers navals de Saint-Pétersbourg. Cela permet à l'Etat russe de sauvegarder les 6 500 emplois menacés par la diminution d'activité  des chantiers. Avec ce projet, la Russie dynamise non seulement les chantiers navals mais également le secteur des réacteurs nucléaires. L'entreprise OBKM Afrikantov sera chargée de la construction et de la production industrielle et en série des réacteurs KLT-40S similaire aux réacteurs utilisés pour la propulsion des brises glaces russes et capables de générer 35 MW. Deux réacteurs de ce type équiperont les centrales nucléaires flottantes. En 2010, la première centrale nucléaire l'Akademik Lomonossov quittait les chantiers navals de Saint-Pétersbourg, lieu de production des CNF pour ensuite faire une escale à Mourmansk et s'approvisionner en uranium enrichi. Elle pourra ensuite regagner le port de Vylyuchinsk et s'ancrer auprès des installations portuaires pour commencer l'approvisionnement énergétique du port et de la ville.

Une technologie synonyme de polyvalence
La construction de la structure est calquée sur le modèle des brises glaces russes avec une double coque pouvant résister selon Rosatom au crash d'un Boeing 747 et une résistance particulière pour les températures extrêmes.
Les propulseurs nucléaires sont la technologie clé des CNF, en effet, ils sont utilisés pour générer l'énergie sur le modèle des anciens propulseurs nucléaires de type KLT-40. Ce type de réacteur a été utilisé sur les 15 brises glaces russes et sur 460 sous-marins. Pour la création des CNF, la Russie à développé le réacteur KLT-40S, version civile des KLT-40, moins enrichi en Uranium et à vocation purement civile et commerciale. Néanmoins la technologie n'est pas nouvelle bien qu'elle soit présentée par l'Etat russe comme une innovation technologique.

Les deux KLT-40S construits par OKBM peuvent fournir chacun 35 MW ce qui fait un total de 75 MW, ils peuvent ainsi fournir une ville de 200 000 habitants   et pourrait dessaler environ 240 000 m3 d'eau. Ce qui fait la particularité technologique et la vraie force du projet russe est l'association de la technologie de désalinisation de l'eau et la production d'électricité. Les réacteurs de type KLT-40S sont composés de 6 systèmes de sécurité active et 4 systèmes de sécurité passive. Un système de sécurité est dit passif lorsqu'il n'a pas besoin de source d'énergie externe pour se déclencher. En associant la complémentarité des deux technologies, la sureté du réacteur s'en trouve accrue. La sécurité est également un élément mis en avant par Rosatom pour promouvoir son produit. En effet, les réacteurs de type KLT-40 sont utilisés depuis plusieurs dizaines d'années par la Russie et l'URSS auparavant pour alimenter en propulsion nucléaire, des sous-marins ou encore des brises glaces soumis à des conditions extrêmes. Par ailleurs, lors de l'accident du Koursk en 2003, le réacteur, un KLT-40 s'était mis en sureté de lui même, il était intact et aurait même pu être réutilisé selon les experts.

Les réacteurs de gamme KLT apparaissent issu d'une technologie éprouvée mais ils ne représentent que l'alimentation en électricité d'une ville de 200 000 habitants. Pour répondre à des besoins plus ou moins importants, les russes ont développé des technologies pour avoir une offre de CNF modulable selon la puissance.
Ils pourront ainsi proposer une CNF avec des réacteurs ABV-6M qui génèrent une puissance de 18MW, la CNF sera équipée de deux réacteurs de ce type et pourra dessaler environ 40 000 m3 d'eau. Autre atout important, du fait de la longueur de la CNF qui sera en l'occurrence réduite, ce type de centrale pourra remonter les fleuves pour alimenter des villes moyennes ou des entreprises en bord de fleuve. Cette gamme de réacteur sera proposée pour des besoins faibles en énergie.

Quant au successeur du réacteur KLT-40, il est déjà en projet. Le RITM-200 sera chargé de remplacer les KLT 40 et sera ainsi considéré comme la gamme de puissance moyenne sur barge flottante  capable d'alimenter des installations à hauteur de 40-55 MW. Un ou deux de ces réacteurs  pourront être placés par barge flottante selon les besoins du client. Le RITM-200 représente un système constituant une CNF de 100 MW. Elle représente la gamme de puissance intermédiaire des CNF. OKBM développe également le réacteur VBER-300 chargé d'alimenter les CNF de la gamme supérieure, celles ci devront fournir 300 MW et auront une durée de vie de 60 ans. Un seul réacteur peut donc fournir 325 MW.  Ce premier type de réacteur est développé dans le cadre d'un partenariat entre la société OKBM et la société Kazatomprom. Le projet a vocation à l'exportation et le premier réacteur sera construit à Aktau au kazakhstan. Deux prototypes ont été proposé et accepté par l'exploitation minière et chimique à Zheleznogorsk pour un coût de 2 milliards de dollars.

L'autre réacteur de puissance similaire en développement est le VK-300 BWR qui  a une capacité de 250 MW. Cette polyvalence est un atout dans une optique d'exportation, elle peut en effet avoir pour effet de globaliser l'influence énergétique russe.
Cette polyvalence est un atout dans une optique d'exportation, elle peut en effet avoir pour effet de globaliser l'influence énergétique russe.

Mathieu Dupressoir