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Quand le Japon joue à qui perd perd

Le Japon ébranle le fragile équilibre de la région, en remettant en question le pacifisme inscrit dans sa constitution et en intégrant un traité de libre-échange pacifique qui exclut la Chine, acteur pourtant incontournable. Washington reconnait organiser une politique de containment envers Pékin qui n’en restera pas là.

A l’issue de la seconde guerre mondiale, le Japon vaincu s’est laissé dicter une constitution militairement restrictive par les Etats-Unis d’Amérique. Le 27 avril 2015, de nouveaux axes de la coopération militaire ont été adoptés par le Japon. Ceux-ci incluent dorénavant la notion de « défense collective », l’autorisant à participer à d’éventuelles manœuvres militaires et à vendre des armes à des pays tiers.

Cette révolution reste très controversée au sein de la société japonaise, majoritairement opposée à l’abandon de l’esprit pacifiste de l’article 9 de la constitution.

Le Japon étant en étroite coopération économique et politique avec les Américains, ce changement majeur n’aurait pas pu voir le jour sans l’accord de Washington. Le premier ministre japonais Shinzo Abe est allé dès le lendemain de l’adoption de la loi de réarmement,  à la rencontre du président Obama et du Congrès américain. Ce changement intervient judicieusement avant la signature du Traité Trans Pacifique (TTP), ce traité étant l’équivalent du TTIP (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), pour 11 pays[1] du Pacifique en vue de libéraliser leur commerce avec les Etats-Unis.

Un accord commercial en demi-teinte

Les fortes oppositions à cet accord se sont exprimées au sein de la société japonaise, celle-ci y voyant une menace manifeste à l’héritage culturel, notamment dans le registre de l’agriculture. Ainsi, le gouvernement conservateur japonais a préféré dissoudre le parlement en 2014, soit deux ans avant l’échéance prévue. Remportant une écrasante majorité, le premier ministre Shinzo Abe avait dès lors les mains libres pour négocier le traité de libre échange, sans considération pour l’opposition populaire.


 

Les États-Unis, en négociant le TTP et le réarmement du Japon, ont pour but avoué de consolider des partenariats commerciaux et militaires, afin de contenir  l’influence de la Chine dans le Pacifique.

De son côté, le Japon pensant trouver ici une relance de son économie tournant au ralenti, en même temps qu’un renouveau militaire, perd en réalité sur les deux tableaux.

Étant moins concurrentiel sur de nombreux domaines en raison du coût de sa main d’œuvre et de la montée de la facture énergétique après l’incident de Fukushima, le Japon a dû intégrer de nombreux désavantages lors de la signature du traité de libre échange. Le TTP risque ainsi de remettre en cause le fragile équilibre socio-économique du Japon, en contraignant les entreprises à faire pression sur les salaires et tenter de favoriser une politique migratoire.

D’autre part, la concurrence de pays portés sur l’agriculture intensive, vouerait les traditions agricoles nippones à la disparition. Ainsi, en décembre 2014, plusieurs milliers d’agriculteurs ont manifesté à Tokyo pour s’opposer à la volonté du gouvernement de prendre part au TPP, qui initierait un dumping sur les produits bon marché importés, et étoufferait in fine le secteur agricole. L’archipel imposait jusqu’alors une barrière fiscale à plusieurs produits agricoles étrangers, quand Washington de son côté exigeait de Tokyo, une baisse des tarifs douaniers.

Le réarmement, signal fort dans une région sous tension.

Le Japon est au cœur de revendications territoriales multiples. Du fait de sa zone économique exclusive (ZEE), sa superficie est multipliée par douze, soit 4,5 millions de km², avec près de 7000 îles composant l’archipel. Cette ZEE est un avantage considérable pour une nation où la mer tient un si grand rôle, historique, culturel ou économique. Or, ces limites lui sont contestées par ses trois voisins principaux. D’abord au nord, par la Russie qui a annexé en 1945 les îles Kouriles du Sud. A l’ouest, la Corée revendique les îles Takeshima. Au sud de l’archipel, la Chine et Taïwan, revendiquent les îles Senkaku. Ce dernier litige reste le plus sensible pour deux raisons. D’une part, il y a là des ressources pétrolières off-shore. D’autre part, depuis Fukushima et la fermeture de la totalité des centrales nucléaires de l’archipel, la dépendance énergétique nippone s’élève à 92,5% de sa consommation. Or, l’approvisionnement en énergie fossile en provenance du Moyen-Orient, passe à proximité des Senkaku. Le Japon a ainsi fait décoller d’urgence des avions de chasse 464 fois au cours de 2014 pour intercepter des avions militaires chinois à proximité de l’espace aérien revendiqué. Le statu quo entre les divers acteurs pourrait donc être remis en question avec le réarmement du Japon qui pourrait être considéré comme un moyen d’affirmation de souveraineté.

Dans une région à l’équilibre géopolitique fragile, le réarmement du Japon – aussi modeste soit-il – pourrait bien raviver une course à l’armement et inquiéter de nombreux voisins à la mémoire longue et aux rancœurs parfois tenaces. En parallèle, l’intégration nippone au sein du TTP fait réagir la Chine qui envisage de créer son accord commercial régional baptisé Zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique (FTAAP). L’intégration du Japon dans le TTP pourrait également créer à court terme, au sein de la population japonaise une instabilité économique et sociale particulièrement malvenue, à la veille de l’organisation des Jeux Olympiques de 2020, symbole d’un renouveau national, une décennie après Fukushima, tout comme l’avaient été les Jeux Olympiques de 1964 à Tokyo, 20 ans après la défaite de l’Empire du soleil levant.


[1] Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam

 

Stéphane PRZYBYSZEWSKI