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Le marché de la défense européen face au marché américain, une bataille perdue d’avance ?

En matière de marchés publics, le droit français recourt, la plupart du temps, à des procédures d’appels d’offres. Le marché de la défense en revanche, bénéficie de certaines spécificités et les diverses politiques nationales, européennes et américaines mises en place, sont bien différentes et révèlent les forces ou faiblesses de chacun des marchés.

France/ Europe : alliances et mésententes.

Des procédures de passations sont possibles, sans besoin de mise en concurrence des acteurs présents sur le marché. Au niveau européen, le domaine de la défense se voit aussi exempté du respect du droit de la concurrence. La commission européenne a adopté une politique qui tend à la création d’un « vrai marché européen des équipements de défense » qui permettrait à toutes les entreprises européennes d’opérer librement dans tous les Etats membres. Cette politique est fondée sur deux outils : une directive « marchés publics » et une communication interprétative. La directive du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés établit des règles communautaires pour l’acquisition d’armes, munitions et matériaux de guerre à des fins militaires. La communication interprétative quant à elle, clarifie les conditions d’utilisation de l’article 346 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’UE) qui permet aux Etats de ne pas appliquer les règles communautaires si cela est nécessaire à la protection de leurs intérêts essentiels de sécurité.

Ces diverses dérogations règlementaires permettent d’affirmer que le marché de la défense, avec des fournisseurs en situation de quasi-monopole, est soumis à un régime spécial. Celui-ci est très peu concurrentiel et la France a fait un choix politico-industriel, celui de l’indépendance de son armée et de son système de défense.

Malgré une industrie puissante et indépendante, la France ne peut pas nier la réalité de l’environnement concurrentiel international. De plus, les fournisseurs majeurs ont certes acquis une situation de quasi-monopole, mais les systèmes de sous-traitance évoluent dans un environnement ultra concurrentiel, et parfois présents à l’étranger. Certaines prestations sont donc délocalisées de force.

La France a, à travers le décret n°2011-1104 du 14 septembre 2011 transposé la directive de 2009 mentionnée ci-dessus, portant ainsi modification de certains articles du code des marchés publics. Cette transposition est le résultat d’une réflexion de la commission européenne sur le point de savoir comment contraindre les Etats de conclure des contrats selon des procédures bien établies, et d’éviter le plus possible les marchés de gré-à-gré et dans le secret en profitant de l’exemption de l’article 346 du TFUE (les Etats invoquaient beaucoup trop, au goût de la commission, cette exception des « intérêts essentiels de la sécurité »).

De plus et enfin, la France avait tout intérêt à ce que les autres Etats membres adoptent cette procédure de passation spécifique aux marchés de défense, puisqu’elle était la seule à la pratiquer. Pour autant, la question de la réciprocité sur un tel marché est encore en suspens. En effet, lors de l’élaboration de cette directive, la France avait fait part de son souhait de voir retenue la préférence communautaire. Or, une telle clause aurait impliqué d’acheter parfois un produit plus cher à un Etat membre et cet argument était inacceptable pour des Etats mal dotés en industrie de l’armement et surtout pour le Royaume qui y a vu de l’anti américanisme pur.

Les FMS américains, une concurrence quasi inébranlable.

Le américains dominent le marché de la défense de manière affirmée. L’efficacité industrielle du pays est due à un soutien sans précédent de l’administration et à la pratique parfois décriée du système de FMS (Foreign Military Sales). Les FMS sont des ventes d’Etat à Etat et dépendent donc du département de la défense. Ainsi, toute relation contractuelle est évitée et la garantie apportée au contrat provient du gouvernement lui-même. Ce type de contrats rencontre d’autant plus de succès, qu’ils procurent un soutien logistique de la part des armées américaines dans le suivi des ventes.

Tout ce processus constitue un élément à part entière de la politique de défense nationale. Il parvient ainsi à allier la politique militaire à la politique étrangère, avec un raisonnement d’efficience économique. Cette prééminence américaine tient justement dans son raisonnement global et l’alliance de tous les acteurs aux niveaux décisionnels, apparaît comme une recette probante. Les Etats-Unis sont donc parvenus à réaliser une politique d’export efficace en la matière, et imposer un protectionnisme du marché intérieur au travers d’une législation dense et difficile d’accès.

Le système français et européen d’un point de vue global, apparaît donc face au système américain comme plus décousu. Alors que les seconds ont concentré leurs forces sur un même niveau avec un travail collaboratif global, les pays européens sont embêtés par des contradictions : ils sont à la fois des pays exportateurs nationaux et des acteurs de la production d’armements en coopération.

Dès lors, si pour les concurrents américains, l’exportation semble ne constituer qu’une activité à la marge, les industriels français et européens doivent exporter pour survivre. Cette situation est certes imputable à l’évolution du marché et à l’apparition de concurrents très incisifs, mais il existe des handicaps « structurels » de la compétitivité des sociétés françaises. Ils sont divers : tailles insuffisantes des industries françaises ou européennes (les entreprises américaines ont un chiffre d’affaire 3 fois supérieur à celui d’EADS ou de Thalès par exemple) ; pas de réelles économies d’échelles ; autofinancement des dépenses en R&D ; coût social du travail ; règlementation ITAR américaine ; améliorer le Small Business Act français.

Un nécessaire travail de dialogue, avec les véritables problématiques devant être soulevées, est donc nécessaire afin de rendre l’industrie de l’armement française, et européenne, puissante et compétitive.

Margot Spiess