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L’Europe de la Défense : la saga continue

La défense et ses enjeux à l’échelle européenne sont encore en tête de l’actualité ces derniers mois, et pour cause. L’Europe a dû faire face à des attaques terroristes et une crise humaine sans précédent qui a conduit à un afflux de migrants par la méditerranée.

Quelle orientation doit prendre l’Union européenne en matière de défense ? C’est la question soulevée au cours de la Conférence « L’Europe de la défense : mission impossible ? » du 12 octobre 2016 et à laquelle le Général Jean-Paul Palomeros a tenté d’apporter une réponse.

Les tribulations historiques de la défense à l’Européenne

Initiée par Jean Monnet et Robert Schumann, la Communauté Européenne avait pour dessein de contenir les résurgences nationalistes et de bâtir une « maison européenne » qui voulait prendre en compte les dimensions politique, militaire via la Communauté Européenne de Défense (CED) et économique par le biais d’un accord sur le Charbon et l’Acier. Une véritable armée européenne et des institutions supranationales devaient voir le jour. En 1954, l’adoption définitive du traité n’eut pas lieu, mais le projet avorté de la CED n’empêcha pas la constitution d’une Union de défense européenne composée d’Etats membres exclusivement européens dont le Royaume-Uni. Le Traité de Maastricht insuffla un nouveau souffle à ce projet en prenant pour deuxième « pilier » celui de la Politique Extérieure de Sécurité Commune. Cette PESC avait pour ambition de penser une politique de défense dépassant les seules frontières de l’UE. L’Europe de la défense après être sortie par la « petite porte » revenait donc sur le devant de la scène.

Le Traité de Lisbonne en 2009 introduit un nouvel élan en réformant et améliorant la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD).

Depuis, la création du poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité [1]permet une représentation de l’Union Européenne sur la scène internationale cohérente. Une structure diplomatique par le Service européen de l’action extérieure[2] lui donne un appui. La capacité opérationnelle de l’UE est maintenue par le traité[3] avec la possibilité de mener une action civile ou militaire dans le but « d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité́ internationale », conformément à la Charte ONUsienne. [4]
Une innovation est à noter à travers la possibilité pour les Etats satisfaisants à certains critères de pouvoir créer « une coopération structurée permanente »[5] dans le but de réaliser des missions sur autorisation du Conseil. Une exigence demeure néanmoins puisque la PESD reste soumise au cadre posé par l’OTAN.

« Une défense où chacun assume ses compétences »

Le Sommet de Bratislava qui avait pour ambition de donner un nouveau souffle à l’Europe de la Défense le 16 septembre dernier a été l’occasion pour Jean-Yves Le Drian et son homologue allemande Ursula von der Leyen de faire part de leur volonté de créer un quartier général conjoint et européen pour conduire des déploiements à l’étranger. Une mutualisation des compétences est aussi prévue.

Pour ne pas rester lettre morte, le Général Palomeros s’accorde à dire qu’une défense où chaque Etat assume ses compétences est souhaitable car tous les Etats membres ne peuvent prétendre à un PIB aussi important que celui de la France, et par conséquent, de moyens équivalents. Néanmoins, certains détiennent des ressources et des spécialisations pointues intéressantes. Quelques centres d’excellence ont été ouverts avec pour vocation une circulation des connaissances inter-armées. L’Estonie qui a développé, pour diverses raisons, la sécurité numérique suite à une attaque massive, apporte beaucoup à l’OTAN dans ce domaine. Certains pays de l’Est, comme la République Tchèque ont entretenu des compétences en matière de lutte contre les menaces chimiques ou bactériologiques.

L’implication des industries et l’éveil d’une conscience européenne

Les industries sont d’une importance capitale pour faire converger les valeurs. Elles doivent être un levier pour participer à la fois aux investissements dans la défense et aux bénéfices retirés. Contrairement aux homologues américains et russes ; il n’y a pas d’expression de volonté commune dans ce secteur en Europe. Plus grave, le Général juge scandaleux l’annulation par la Pologne d’une commande de cinquante hélicoptères passée à l’européen Airbus Helicopters suite à un appel d’offre, annulée au profit des Black Hawk américains. Ce manque de cohérence est dangereux d’un point de vue stratégique.

Jean-Paul Guichard, professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis souligne l’importance stratégique de la défense dans la « guerre économique » actuelle. L’Europe est « faible et divisée »[6]. A titre d’exemple, les interventions militaires n’ont pas été le théâtre d’un consensus entre les EM de l’UE, au contraire. On se souviendra de l’intervention des américains en Irak soutenue par le Grande Bretagne alors que la France et l’Allemagne s’y opposaient ou encore l’intervention en solo au Mali de la France, soutenue cette fois par les Etats-Unis.

L’Europe a tous les outils d’une puissance, elle est capable de gérer des crises dans la durée et de projeter ses hommes. A ce titre, l’opération Atalante mise en place en 2008 dans le cadre de la stratégie européenne de sécurité dans le Golfe d’Aden et dans l’océan Indien compte sur la participation de seize pays européens[7] et montre cette capacité qu’a l’Union, lorsqu’elle le souhaite, à créer une véritable armée européenne maritime.

Entre 2005 et 2010, le budget de la Défense avait baissé de 10%. Or, depuis 2014, dans le cadre de l’OTAN, les chefs d’Etats et de gouvernements se sont engagés à un « objectif de 2% du PIB et 20% des budgets d’investissements dans la Défense ». D’après le Général Palomeros ces chiffres sont encourageants car il est primordial de poser des priorités et d’inscrire une politique d’investissement dans la durée.

Par ailleurs, dans ce projet de Défense, l’Europe se doit de compter sur les différents accords de puissances qui lient certains Etats membres entre eux et parfois bilatéralement. Il faut en tirer parti et les prendre en compte dans la défense européenne. C’est le cas du Conseil Franco-Allemand de Sécurité crée en 1988 qui a mis en place une brigade conjointe allemande et française ou des Traités de Londres signés entre la France et le Royaume-Uni qui, M.Palomeros l’espèrent, demeureront malgré le Brexit.

Par-dessus tout, et il convient de retenir que « L’éveil à une conscience européenne, voire à un patriotisme européen chez nos concitoyens est un préalable indispensable ». [8]

Nul doute que l’Europe manque cruellement d’unité et de vision commune. Pour le général Palomeros, il est nécessaire d’associer politique, défense et économie ainsi que la convergence des valeurs européennes. Les crises d’aujourd’hui sont complexes, globales mais l’UE est capable de développer des partenariats, d’avoir des actions politiques, diplomatiques, économiques. En terme militaire, il manque encore à l’UE l’aptitude à partager l’information pour mieux préparer et anticiper. Pour éviter un doublon avec l’OTAN, il faudrait un centre de gestion de crise global qui soit le cœur de l’information, qui intègrerait les problèmes de cyber espace avec une capacité opérationnelle immédiate.

Le Brexit doit être le point de départ d’une réflexion pour refonder les aspirations de l’union européenne. Le Général Palomeros veut y croire : l’esprit des pères fondateurs est à faire re-surgir.

Emma Thévenau


[2] Article 27 du TUE.

[3] Article 42 du TUE.

[4] Charte de l’ONU. http://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/index.html

[5] Article 42§6 et article 46 TUE.

[6] Vers une relance de la politique de sécurité et de défense commune ? P.183

[7] Allemagne, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Portugal

[8] Vers une relance de la politique de sécurité et de défense commune ? Préface de Jean-Paul Perruche, 2014.