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Rapprochement Naval Group – Fincantieri : pour le meilleur, ou pour le pire ?

À l’occasion d’un déplacement en Italie le 1er février dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et Florence Parly, ministre des Armées, ont acté le lancement de négociations pour mettre en œuvre le rapprochement de Naval Group, industriel français spécialisé dans le secteur de défense navale, avec le groupe Fincantieri, industriel italien spécialisé dans l’industrie de croisière.

Naval Group est actuellement détenu à 62% par l’État français via l’Agence des participations de l’État et à 35% par le groupe Thalès. Fincantieri est détenu par l’État italien. Ce rapprochement s’articule autour de l’ambition de « renforcer les bases industrielles de technologie et de défense navale en France et en Italie ». À cet égard, trois axes de discussion sont envisagés :

  • La « conception et la réalisation conjointes de bâtiments de surface, dont le bâtiment de soutien et de ravitaillement devrait être un premier exemple » ;
  • La « mutualisation de leurs efforts de recherche et développement » ;
  • La « synergie et le partage de meilleures pratiques en matière d’achats, de services et de méthodes industrielles ».   

Les contours de ce rapprochement, qu’ils soient industriels ou juridiques, sont à l’étude. Deux rapports, le premier issu des discussions entre les industriels, le second tiré des négociations entre les gouvernements italiens et français, seront rendus en juin 2018.

 

L’objectif affiché est rationnel : atteindre une « taille critique » et développer de nouveaux grands programmes européens pour faire face à la concurrence extérieure.

 

Mais si les termes n’en sont pas encore clairement déterminés, d’aucuns redoutent déjà une absorption du groupe français par l’italien en renvoyant au cas d’Alstom, dont les syndicats ont opéré une levée de boucliers suite au rapprochement avec l’Allemand Siemens.

 

Le gouvernement français saura-t-il dominer la négociation et préserver les intérêts stratégiques liés à un fleuron français de l’industrie navale ? Selon l’essayiste Eric Verhaeghe, la tentation française de contourner les lois de la concurrence par des stratégies d’alliance ne peut se faire qu’au détriment d’une France en position d’infériorité dans les négociations car demandeuse. Celui-ci, fondateur d’un cabinet spécialisé en innovation sociale, place le débat au mauvais niveau en se faisant le défenseur des logiques classiques de la concurrence. La partie italienne est en effet tout aussi demandeuse que la partie française et le projet de rassembler les forces face à la concurrence extra-européenne n’est pas insensé.

 

Insensées, ses craintes de voir l’État italien prendre la main sur le groupe français auraient pu ne pas l’être. Fincantieri a en effet manifesté depuis le départ son souhait d'avoir le contrôle sur le futur ensemble. Mais M. Verhaeghe opère – sciemment ou non – une confusion entre la question du rapprochement en cours entre Naval Group et Fincantieri et celle de la montée de ce dernier au capital des chantiers STX France en septembre 2017.

 

Or, sur ce dernier dossier, le gouvernement français a réussi à négocier un rachat de 50% du capital de Naval Group par Fincantieri contre les 51% minimum demandés initialement par l’Italien. Alors que la précédente majorité avait accepté une montée de Fincantieri au capital des chantiers à hauteur de 66%, le Président Emmanuel Macron est revenu sur ce projet en nationalisant temporairement STX France, filiale du Coréen STX, avant d’en proposer 50% aux Italiens. La France se préservait ainsi d’un rachat par un groupe asiatique tout en évitant l’incident diplomatique avec l’Italie du fait de la récusation de l’accord initial.

Le contrôle opérationnel de la société française par Fincantieri grâce au prêt d’1% de capital supplémentaire à l’Italien pour 12 ans devient certes effectif en vertu de l’accord. Mais ce prêt sera renégociable régulièrement pour garantir le respect des engagements italiens – avenir des salariés français, garanties contre le transfert de technologies vers la filiale chinoise de Fincantieri, etc. Les Italiens devront même revendre leurs 50% à la France en cas de vraies difficultés ou de violation grave des termes de l’accord initial. La partie française aura en outre un droit de véto sur la nomination du président du conseil d’administration.

Pour en revenir aux conditions du rapprochement Naval GroupFincantieri, la vraie question sera celle de la capacité de l’État français à assurer la présence de garanties préservant ses intérêts stratégiques dans l’accord initial ainsi que leur respect à l’avenir. Le scénario de la fusion entre le Français Technip et l’Américain FMC qui, bien que présentée comme « un mariage entre égaux », s’est soldée peu à peu par un grignotage du comité exécutif par des directeurs issus de FMC et de nombreuses démissions françaises, ne doit pas se reproduire. Peut-on attendre du gouvernement la garantie d’éviter cet écueil ? Saura-t-il par ailleurs empêcher que Thalès, en manque de liquidités suite au rachat de Gemalto, ne revende ses parts dans Naval Group à l’Italien ?

Aristide Lucet, Alexis Maloux