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Le complexe militaro-industriel sud-coréen : un atout diplomatique

Sous le coup de diverses menaces depuis les années 1950, la Corée du Sud a toujours cherché à améliorer ses forces armées. Soutenu par le grand frère américain, Séoul a créé une stratégie industrielle de défense redoutable qui entre également au service de la diplomatie du pays.

La création d’une base industrielle de défense compétitive 

Mis en lumière pour ses récents succès à l’export en Pologne, la Corée du Sud présente le paradoxe d’être un pays sur-militarisé sans montrer pour autant un bellicisme de façade. L’industrie de défense sud-coréenne voit réellement le jour dans les années 1970, avec la volonté du pouvoir politique de doter les armées d’équipements de facture nationale via l'Agence pour le Développement de la Défense. En effet, les besoins sont immenses : menacé d’invasion et de destruction en permanence par la Corée du Nord, le pays entretient une armée de plus de 600 000 soldats alimentée par 400 000 conscrits. Le tout est financé par un budget de la défense proche des 3 % du PIB. Dans les années 1990, Séoul met en place un vaste programme de soutien pour la recherche et le développement. Pour cela, un partenariat se crée avec les chaebols, les conglomérats sud-coréens comme Samsung, Daewoo ou Hanwha. Faisant face à une forte volonté politique, ceux-ci se restructurent afin de faire émerger des champions locaux comme KAI pour l’aéronautique, issu de la fusion de branches de Daewoo, Hyundai et Samsung. Si cette restructuration n’est pas encore terminée, on voit apparaître les premiers succès depuis le début des années 2000 : chars de combat K-2, avion de chasse léger FA-50, canon automoteur K-9 ou sous-marins Chang Bogo. 

 

Ces systèmes ne sont cependant pas produits en autonomie, les États-Unis apportant encore aujourd’hui les parties demandant de la haute technologie dans de nombreux programmes. Séoul fait également appel à Berlin, comme dans le cadre des sous-marins Chang Bogo. Cela lui permet toutefois d’atteindre son premier objectif : doter ses armées de 80 % de matériel de facture nationale, le tout avec des équipements technologiquement bons et à prix moyens. La Corée du Sud se situerait donc au niveau mondial comme un producteur de moyenne gamme si l’on cherche à s’équiper en produits occidentaux, à l’image d'Israël. Ces deux pays partagent en effet de nombreux points communs, comme la menace directe et explicite de pays frontaliers, une assise territoriale limitée et un fort support américain. Séoul perçoit cependant les limites de cette stratégie industrielle et diplomatique, avec l’interdiction d’exportation de FA-50 à l'Ouzbékistan à cause de l'extra-territorialité de la loi ITAR, l’avion sud-coréen ayant des pièces américaines. Toutefois, les chaebols sud-coréens ont réussi à placer leurs équipements dans de nombreuses armées du monde, souvent soutenues de près ou de loin par Washington. On peut ainsi parler des FA-50 philippins et irakiens, des K-9 polonais, finlandais et turcs ou encore des sous-marins Chang Bogo indonésiens, en réalité des Type 209 allemands construits sous licence. Avec l’intensification des tensions mondiales et régionales, Séoul prépare donc la prochaine génération d’équipements militaires et n’hésite pas à utiliser ceux-ci comme de vrais outils de rapprochement diplomatique. 

 

De nouveaux programmes d’armements pour de nouveaux liens diplomatiques

Afin de chercher à diversifier sa politique étrangère qui reste cependant dans les limites américaines, la Corée du Sud a établi un certain nombre de partenariats et de contrats d’exportation. Cela permet également au pays de rendre plus accessibles certaines recherches, voire de tirer un bénéfice sur certains matériels. En effet, le pays reste de taille moyenne et développer seul une gamme entière d’armement présente un coût très important. Le choix est alors de financer ces programmes soit par de l’exportation, soit par l’utilisation de technologies étrangères. La Corée du Sud fait les deux. Le projet de coopération phare étant le KF-21 Boramae, produit en partenariat avec l’Indonésie. Le pays-archipel est en effet un nain géopolitique en passe de devenir un géant, ayant la quatrième population mondiale et une position géostratégique clé en mer de Chine. Cela convient parfaitement à la Corée du Sud, qui cherche à développer ses alliances dans une région dominée par la Chine et le Japon, respectivement un pays hostile et l’ancienne puissance coloniale. L’Indonésie se présente donc comme un partenaire idéal pour cette coopération : un pays en pleine croissance, destiné à obtenir un poids diplomatique décisif dans la région ainsi qu’un fort besoin en armements. Jakarta est également un pays courtisé par Washington, ce qui permet à General Electrics de fournir les moteurs de l’avion sans avoir peur de subir des sanctions extraterritoriales. Cette situation est favorable aux États-Unis, qui ont ainsi la main sur une partie de l’aviation indonésienne, générant une dépendance d’un pays à fort potentiel. Concernant la partie sud-coréenne, cela permet à l’État péninsulaire de pouvoir doter son armée de l’Air de 120 avions de génération 4.5, c'est-à-dire à furtivité limitée, en faisant tourner son industrie nationale. À terme, cela favoriserait le désengagement de la dépendance technologique américaine en remontant la chaîne de valeur. 

 

L’industrie de défense sud-coréenne travaille également régulièrement avec la Turquie. Ces deux pays présentent en effet la même volonté de s’équiper en matériels de facture locale. La Corée du Sud reste cependant en avance sur de nombreux domaines, ceci pouvant s’expliquer à la fois par la différence de richesse entre les deux pays et la menace existentielle permanente que représente la Corée du Nord. Ankara et Séoul ont ainsi collaboré sur le char turc Altay, qui sera propulsé par un moteur de Doosan. La Turquie, qui a également acheté des canons automoteurs K9, souhaitait collaborer sur le KF-21 Boramae avant de se désengager pour lancer le TF-X, un programme concurrent. La Corée du Sud profite également de l’excellente santé de son industrie d’armement afin de tisser des liens plus étroits avec des pays plus lointains encore. La Pologne a ainsi accumulé les commandes depuis le début de la guerre en Ukraine, avec pas moins de 980 chars K2, 672 canons automoteurs K9, 288 lance-roquettes mobiles K239 de type HIMARS et 48 avions de chasse FA-50. Une visite du vice-Premier ministre polonais était prévue en Corée du Sud, Varsovie ayant ni plus ni moins acheté une armée entière à Séoul, qui en a par ailleurs profité pour conclure un contrat de construction d’une centrale nucléaire dans le pays. Impressionnant pour un pays dont le PIB ne dépassait pas les 300 milliards de dollars il y a 30 ans. En Europe, la Corée du Sud compte également comme bons clients l’Estonie, la Finlande et la Norvège. Oslo réfléchit aussi à se tourner vers Séoul pour remplacer ses chars Leopard 2A4 vieillissants. De tels volumes de production pourront certainement permettre aux industriels sud-coréens de faire des économies d'échelle et de casser les prix, ouvrant ainsi les marchés des pays asiatiques en voie de développement. Séoul pourrait ainsi armer toute la région, s’affichant comme fournisseur – presque – neutre pour les pays qui ne souhaitent pas prendre parti dans les tensions entre la Chine et les Américains. 

 

Le complexe militaro-industriel sud-coréen affiche donc une santé éclatante, ce que le pouvoir politique n'hésite pas à utiliser comme un véritable atout diplomatique. Cela permet en effet au pays de se rapprocher des pays de l’Indo-Pacifique, mais aussi de l’Europe, dont les marchés d’armement étaient jusque-là une chasse gardée américaine. On peut donc présager un futur ambitieux pour la Corée du Sud, bien décidée à s’afficher en tête de file des Nouveaux pays industrialisés. Cela laisse toutefois deux doutes : Séoul profitera-t-elle de sa nouvelle puissance pour rejoindre les rangs des pays demandant une révision de l'ordre international en leur faveur ? Quelle place pour l’industrie de défense française face à ce nouvel arrivant qui occupe son créneau des technologies occidentales abordables ? 

 

Martin Everard pour le club Asie de l’AEGE

 

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