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Arabie Saoudite : nouvelles opportunités pour Dassault et la doctrine industrielle française

Dassault Aviation continue de fasciner les pays du Golfe, avec la demande récente de 54 Rafales par l’Arabie Saoudite. Pour l’industrie française de l’armement, l’enjeu est de taille ; il l’est aussi pour le gouvernement qui cherche à accroître sa zone d’influence dans la région. 

Huit années sans aucune commande pour l’Arabie Saoudite

Depuis 2007, la Force aérienne royale saoudienne se fournit majoritairement auprès de deux entreprises, Lockheed Martin aux États-Unis et le consortium européen Eurofighter GMBH, réunissant l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Les nombreuses commandes réalisées dans le passé n’ont pas permis à l’Arabie Saoudite de poursuivre la modernisation de sa flotte, entamée en 2015.

Pendant plusieurs années, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont exporté 72 Eurofighter vers l’Arabie Saoudite. Malgré cet important contrat, la chancelière allemande a décidé de geler la commande de 48 autres appareils en 2018, alors que la négociation menée par le Royaume-Uni avait déjà commencé. Deux motifs sont évoqués par Berlin : le non-respect des droits de l’homme dans la guerre que mène l’Arabie saoudite au Yémen et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Cette prise de position a été réitérée par le véto catégorique d’Olaf Scholz en juillet 2023, afin de conserver la stabilité de la coalition de gauche, en désaccord sur la question.

Pour ce qui est des États-Unis, malgré les 84 F-15 SA commandés par l’Arabie Saoudite en 2012, la vente de F-35 a été refusée par Biden en 2021. Le principal motif annoncé pointe leur non-appartenance à l’OTAN, mais d’autres facteurs sont à prendre en compte dans la décision américaine. L’arrivée de la diplomatie chinoise dans les pays du Golfe depuis le milieu des années 2000 en est un exemple, et les récents sommets du Conseil de coopération du Golfe, avec la Chine en invité d’honneur, crispe les États-Unis. On peut aussi observer l’établissement des futures transactions non plus en pétrodollars mais en pétroyuan, ou bien le choix de l’Arabie saoudite de suivre la Russie dans sa volonté de baisser sa production de barils de pétrole. Ainsi, l’Arabie saoudite pâtit de ses prises de position diplomatiques  depuis quelques années et doit réinventer ses partenariats militaires. Et en tête de liste, il y a la France et le Rafale F4.

En mai 2019, la ministre des Armées Florence Parly répondait à La Tribune. Alors que l’Arabie Saoudite recevait du matériel militaire français et était impliquée dans un conflit l’opposant au Yémen, la ministre insistait sur la nécessité de la « prise en compte de l’ensemble des intérêts de la France dans ces affaires, ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain, qui vont au-delà de l’horizon d’une législature ». Dans une région où les intérêts énergétiques français sont prégnants, ne pas donner suite à cette commande serait ainsi le signe d’un manque de vision stratégique multicritères. De plus, l’intégrité de la politique étrangère française et les retombées économiques liées à la production du chasseur seraient menacées. Le Rafale est en effet un acteur central de la « diplomatie par l’armement » exercée par la France.

Le Rafale, un appareil prisé au Moyen-Orient

Depuis les deux commandes faites par l’Égypte en 2015 et 2019 de 54 appareils au total, les commandes pour l’avionneur français se sont succédé dans la région : 37 appareils pour le Qatar et 80 pour les Émirats arabes unis (EAU) en six ans. À cela s’ajoute une  potentielle commande par l’Irak et une nouvelle tranche (de 24 appareils) pour le Qatar suite aux récentes discussions entre ces pays et l’avionneur.

Alors que le Rafale F3 est un appareil performant et compétitif, le standard F4 avance des performances encore améliorées : interopérabilité, système évolutif, combat collaboratif, intelligence artificielle. Par ailleurs, il bénéficie de l’expérience tirée du F3 qui est « combat proven ». Cela signifie qu’il a fait ses preuves dans le cadre d’opérations aériennes, et que les correctifs nécessaires ont été apportés. Cette fiabilité globale est un atout indéniable face à des avions plus onéreux et de génération supérieure comme le F-35, dont l’efficacité est largement remise en question.

L’Égypte, le Qatar et les EAU ont rejoint, depuis leur commande de l’appareil, le club Rafale. Créé officieusement en 2015, il réunit tous les acheteurs du chasseur. Si le royaume venait à rejoindre ce groupe, un large champ des possibles s’ouvrirait à lui. En effet, l’interopérabilité des différentes flottes aériennes permet entre autres une maintenance simplifiée lors d’engagements militaires, ainsi que la collaboration par le partage de données en temps réel sur les théâtres d’opérations.

Ces flottes étant dotées du même appareil, ces pays intéressent l’industriel Dassault et le ministère des Armées pour accueillir un site de R&D et consolider ainsi la doctrine de coopération militaire française.

L’annonce de cette intention de commande n’a pas manqué de faire réagir : un journaliste anonyme a tenté de déstabiliser l’Arabis Saoudite par une tentative de fake news. Elle indiquait que l’Allemagne souhaitait quitter le programme du chasseur de cinquième génération SCAF, pour rejoindre le programme GCAP britannique. Pour montrer sa bonne foi, le chancelier était supposé mettre ce véto et ainsi empêcher cette vente. La France et l’Allemagne ont alors traité l’information avec la plus grande prudence en évitant de s’exprimer à son sujet. Elle s’est révélée fausse malgré son grand bruit et pose une interrogation sur son but. Cependant, elle a permis d’affirmer à nouveau la volonté des deux pays d’avancer sur ce sujet et redonne des perspectives sur la finalité de l’intention de commandes saoudienne.

Le « club Rafale », outil de rayonnement français

Selon l’analyste militaire Fabrice Wolf, depuis les arrêts à répétition des programmes d’armement européens, la France s’est montrée plus ouverte à l’élargissement de ses partenariats industriels de défense.

L’implantation de filières industrielles dans les pays du Golfe serait ainsi un nouvel axe de développement pour la base industrielle et technologique de défense française (BITD) qui souhaiterait mener les pays de la région à co-développer le chasseur vers les futurs standards F5 et F6. On voit déjà une initiative similaire se dessiner en Inde pour la fabrication du chasseur français. Pour répondre efficacement aux très larges commandes dans la région, Dassault envisagerait l’implantation d’un site de production local. Cela, dans une logique de resserrer les liens diplomatiques et industriels entre les deux pays. La visite du premier ministre indien Narendra Modi le 14 juillet dernier, suivie par une  commande ferme de 26 Rafale marine, participe à cette « diplomatie par le Rafale ».

Quant aux Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, ils ont exprimé leur volonté de participer à des programmes d’armements ambitieux. Les EAU affirment vouloir rejoindre le programme sud-coréen de chasseur NG. Le pays s’est par ailleurs déjà lancé dans une logique de structuration industrielle avec le conglomérat technologique Edge initié en 2019 par Abu Dhabi. Il vise à constituer une future BITD souveraine avec les entreprises nationales naissantes. L’Arabie saoudite montre aussi de réelles ambitions avec le GCAP, malgré un refus récent exprimé par le Japon  pour rejoindre ce programme anglo-japonais.

La volonté des pays du Golfe d’amorcer la création d’une chaîne de valeur industrielle et militaire sur leurs sols est donc claire. Elle montre de réelles opportunités pour l’industriel français. Reste à savoir si cette commande, estimée par les observateurs à 15 milliards d’euros, exprime un véritable souhait ou seulement un moyen de pression auprès de Berlin et de Washington, qui ne manquent pas de répondre présent avec leurs chasseurs lorsque le Rafale est dans la compétition.

Malgré tout, certaines questions sur la capacité de Dassault à honorer ses contrats restent sans réponse à ce jour. Le carnet de commandes de l’avionneur atteint un record de 227 appareils pour la fin d’année, tandis que la chaîne de production de Mérignac plafonne à moins de 15 appareils par an : Eric Trappier annonce un prochain passage à la « cadence 3 » pour les livraisons au delà de 2027-2030.

Guillaume Pesme

Pour aller plus loin : 

  1. Dassault aviation miserait sur l’assemblage de Rafale exports en Inde pour s’adjuger le super contrat MRCA-2 ?
  2. Le Ministère des Armées veut co-développer le Rafale F5 avec le « Club Rafale » pour 2030
  3. La chasse saoudienne en mauvaise posture après les vétos allemands et japonais