L’intelligence économique est un outil essentiel dans la détection des infractions financières, et notamment de blanchiment d’argent. Mais jusqu’où peut-elle aller ? Peut-elle s’affranchir du secret bancaire au nom de la sécurité juridique et de la loi pénale ?
Le renseignement financier : un levier essentiel de la lutte contre le blanchiment d’argent
L’intelligence économique, le renseignement d’affaires, le renseignement concurrentiel ou encore le renseignement financier jouent un rôle primordial dans la lutte contre le blanchiment d’argent (ci-après « LBC »). Cette affirmation se manifeste principalement à travers les cellules de renseignement financier (ci-après « CRF »). En effet, l’intelligence économique ne se réduit pas à une simple activité de veille mais va bien au-delà. Au service de la LBC, elle sert à transformer l’information financière en renseignement exploitable pour détecter les schémas de blanchiment de capitaux.
Le Groupe d’action financière (ci-après « GAFI »), pilier de la LBC et seul acteur international émetteur de normes anti-blanchiment, a rapidement compris l’importance du renseignement financier. A cet égard, en s’appuyant sur la Convention de Palerme, il a recommandé à tous les Etats d’instaurer en leur sein des CRF. Ces dernières ont pour objectif de recevoir, analyser et communiquer aux autorités pertinentes des informations financières liées à des soupçons d’activités criminelles. Dès lors, ces structures de renseignement financier permettent d’analyser les flux suspects et d’échanger des informations financières avec des autorités nationales et internationales aux fins d’enquêtes.
Il existe aujourd’hui 177 CRF à travers le monde. Les Etats membres de l’Union européenne sont même obligés d’en mettre une en place. Or, il est à noter que ces cellules « sont les dépositaires et les gardiens d’informations très sensibles ». Concrètement, la CRF est chargée de collecter les déclarations de soupçons et autres informations utiles auprès de banques ou d’autres institutions financières, puis de les traiter afin d’identifier les opérations illicites et éventuellement déclencher des poursuites. Les CRF sont un organe tampon entre les institutions financières et les autorités judiciaires.
Mais cette position d’intermédiaire privilégié entre le secteur privé et les autorités publiques soulève une question majeure : jusqu’où peut aller le renseignement financier dans sa quête de transparence ? La CRF doit, en effet, accéder à des données ou informations sensibles généralement protégées par le secret bancaire. Or, ce dernier constitue un fondement majeur de la confiance entre les institutions financières et leurs clients. Dès lors, les CRF se heurtent à une tension systématique entre collecte de l’information et respect de la confidentialité. Cette question n’est pas anodine lorsqu’on sait que la quasi-totalité des États du monde sont dotés d’une CRF, rendant universelle cette problématique d’équilibre entre détection de l’infraction et protection du secret bancaire.
Vers une disparition du secret bancaire ?
Le secret bancaire est en recul progressif depuis plusieurs années, phénomène qui se manifeste par deux éléments majeurs. D’une part, la crise financière mondiale de 2008 a amené une « vague de transparence », qui se justifie par la perte de confiance dans le système financier international. D’autre part, le GAFI prévoit dans ses recommandations 9 et 29 que le secret bancaire ne doit pas entacher son action. Ainsi, dans un contexte de mondialisation croissante et de criminalité transnationale, le poids du secret bancaire est en diminution. La jurisprudence européenne et française va également dans ce sens, cette dernière consacrant un droit d’accès direct à certaines informations bancaires.
L’exemple français est parlant. La CRF française connue sous le nom de TRACFIN dispose de larges pouvoirs. TRACFIN est directement rattachée au ministère de l’Economie et peut demander, sans autorisation judiciaire préalable, des informations aux établissements financiers et autres assujettis. Dès lors, le cas français démontre à quel point l’obligation de déclaration de soupçon prime sur le devoir de confidentialité des banquiers. Il existe donc un réel problème de protection des données financières.
La recherche d’un équilibre entre l’efficacité du renseignement et le respect des données financières est devenue un enjeu primordial. Le secret bancaire n’a certes pas totalement disparu mais il a fondamentalement changé. Il est devenu relatif et subordonné, entre autres, à la LBC. L’évolution de ce dernier dépassera-t-elle le seul cadre des infractions financières ? Quelle place restera-t-il demain pour la vie privée financière ?
Lucile PETIT, pour le club Droit de l’AEGE
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