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Chine et Pakistan, meilleurs amis de circonstance ?

Les textes officiels, déclarations, allocutions le proclament, la Chine et le Pakistan sont unis par une amitié « profonde », « plus douce que le miel », « indissolubles », « résistante à l’épreuve du temps ». Toutefois, derrière cette idylle géopolitique, se cachent des intérêts de taille.

Une alliance improbable

Selon Matthieu Duchâtel, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) et chercheur associé à Asia Centre, « l’amitié à toute épreuve » (all weather friendship) entre la Chine et le Pakistan est « née d’un intérêt commun à contenir la puissance indienne ». Pour Pékin, le fait d’entretenir la rivalité indo-pakistanaise visait à axer une partie importante de l’armée indienne au Cachemire et à empêcher l’émergence d’une hégémonie en Asie du Sud. Pour Islamabad, la priorité portait sur l’accès aux technologies et à l’armement chinois, et sur le soutien diplomatique en temps de crise avec l’Inde. Cette rapide analyse résume en quelques phrases les liens qui unissent la Chine et le Pakistan, deux puissances appartenant pourtant à des environnements historiques et culturels différents que des enjeux stratégiques ont rapprochés. L’amitié sino-pakistanaise a été initiée en 1950, lorsque le Pakistan a pris position contre Taiwan en déclarant reconnaître la République de Chine comme la seule et unique. Ensuite, le lien est réaffirmé lors de la guerre de 1962 qui oppose la Chine et l’Inde. Le Pakistan fournit à cette occasion un soutien industriel à la Chine, scellant le début d’une amitié. Plusieurs axes sont à considérer dans l’étude de l’amitié continue de ces deux pays.

Rapprochement sino-pakistanais : positionnement stratégique

L’amitié entre la Chine et le Pakistan s’est construite autour de problématiques stratégiques communes, telles que leur mutuelle envie de limiter l’expansion de la puissance indienne, avec qui tous deux partagent des frontières. Pour la Chine, l’alliance avec le Pakistan est importante car en « parrainant » la puissance pakistanaise, la Chine cherche à empêcher l’apparition d’une hégémonie indienne en Asie du Sud-Est. Dans la même perspective, la possibilité de pouvoir agir du territoire pakistanais, notamment d’utiliser les accès maritimes pakistanais, permet à la Chine de mettre en place une stratégie d’encerclement naval de l’Inde. Il s’agit de la stratégie dite du « collier de perles ». Toujours dans cette vision stratégique du rapport sino-pakistanais, la Chine a tout intérêt à renforcer cette entente, car elle a été et est toujours en compétition sur ce territoire avec les Etats-Unis qui cherchent à y exercer une influence. En développant ses liens privilégiés avec le Pakistan, Pékin limite l’influence américaine dans ses cercles voisins.

Dans cette amitié, qui s’est créée au fur et à mesure des circonstances, le Pakistan y trouve aussi certains intérêts stratégiques. Comme pour la Chine, l’enjeu de la limitation de la puissance indienne compte énormément. Les relations entre le Pakistan et l’Inde ont été très houleuses et sont encore aujourd’hui tendues, de ce fait le Pakistan comprend son entente avec la Chine comme un outil diplomatique de poids à utiliser en temps de crise avec l’Inde. Par ailleurs, à travers son partenariat avec la Chine, le Pakistan est aidé dans son développement industriel ce qui l’aide dans sa volonté de s’établir comme une puissance régionale. Pékin assure à Islamabad un accès aux technologies et à l’armement chinois.

Des enjeux économiques à la clé

Les deux pays ont créé un important partenariat commercial. A ce titre, environ 10 000 ressortissants chinois sont installés au Pakistan. La Chine participe au développement industriel du Pakistan, et tout particulièrement à son armement (par exemple, Pékin a vendu en novembre 2009 trente-six chasseurs multi rôles J-10, le fleuron de l’industrie aéronautique chinoise, au Pakistan). Selon les observateurs, la politique chinoise est d’ériger le Pakistan comme la vitrine de la puissance industrielle et militaire de Pékin. Dans cette logique, l’année 2010 a vu la ratification d’accords nucléaires entre les deux alliés qui prévoit de la coopération sur le sujet du nucléaire civil, pour équiper le Pakistan de nouvelles installations nucléaires civiles. Cet accord, s’il était déjà à l’agenda des deux partenaires, s’est posé en réaction à un accord similaire conclu entre les Etats-Unis et l’Inde. La perspective stratégique apparaît donc fermement ancrée dans les rapports sino-pakistanais, même dans leurs liens économiques.

Le corridor énergétique sino-pakistanais.

Le point d’orgue de l’entente Chine-Pakistan est le projet du « corridor énergétique ». Ce projet, en discussion depuis 2006, vise la création d’un corridor énergétique et commercial, reliant la ville chinoise de Kashgar au port pakistanais de Gwadar. Cette idée comporte de nombreux enjeux et a suscité beaucoup de remous dans la région. Avec le corridor, la Chine voit la possibilité de s’ouvrir une nouvelle trajectoire pour l’acheminement de ses approvisionnements énergétiques en provenance du Moyen-Orient, trajectoire qui contournerait le détroit de Malacca. L’espace du détroit de Malacca est devenu, pour la Chine, trop dangereux depuis que les Etats-Unis ont renforcé leur présence en Asie. La construction de ce couloir de circulation peut également être comprise sous l’angle stratégique puisque une grande présence chinoise à Gwadar permettrait une expansion des opérations navales de l’Armée Populaire de Libération en haute mer. Pour le Pakistan, ce projet représente une opportunité de développement de son territoire et de ses activités, participant à asseoir le pays comme une puissance régionale importante.

Ce projet de corridor pourrait donc voir le jour, mais seulement à la condition d’un apaisement de la situation au Pakistan. « À partir de 2004, les ressortissants chinois ont subi au Pakistan des assassinats ciblés, des enlèvements et des attaques à la bombe alors que dans le même temps leur nombre doublait, pour atteindre 10 000 au début de 2010 », note M. Duchâtel. Le paysage pakistanais est un environnement instable, troublé par le jeu de nombreuses factions terroristes, notamment au Balouchistan, province que devrait traverser le corridor. Pékin attend donc d’Islamabad une certaine main mise sur la situation, afin que l’amitié sino-pakistanaise résiste à l’épreuve du temps comme à l’épreuve des balles.

Enfin il est à noter, dans cette réflexion sur le partenariat sino-pakistanais, que cette relation est assez déséquilibrée, comme le font remarquer de nombreux observateurs : «si la relation avec la Chine est particulièrement prisée au Pakistan, elle n’en demeure pas moins intrinsèquement inégale, la dépendance étant surtout pakistanaise» (Majumdar, in Singh, 2007). Il est donc à supposer que c’est parce que beaucoup d’enjeux se jouent pour la Chine dans cette zone là qu’elle développe autant d’intérêt pour le Pakistan, et dans cette logique, il apparaît que ce sont donc bien les circonstances qui rapprochent la Chine et le Pakistan. L’approfondissement de leurs liens au cours des dernières décennies répond clairement à des logiques bien déterminées, qu’elles soient commerciales ou stratégiques, nuançant l’idée d’« amitié » à proprement parler. La Chine et le Pakistan se sont découvert des convergences d’intérêts que leur « amitié » permet de défendre.

Anne-Laure Dall’Orso