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L’intelligence économique et la voie de l’internationalisation

Le Portail poursuit son partenariat avec la CCI Paris IDF en publiant ici l’article de Denis Deschamps, responsable du pôle Innovation / Intelligence Economique, qui s’interroge sur les voies que pourrait prendre l’IE pour s’internationaliser. Il adopte pour cela la problématique suivante : l’IE peut-elle avoir une ambition mondiale ?

Une nouvelle géographie dessinée par la révolution des données.

Avec le développement à très grande vitesse du numérique, notre monde a indubitablement changé. D’aucuns le considèrent ainsi désormais sous un mode reconfiguré au format « Game of Thrones » avec, au nord, le royaume mathématique et froid des serveurs, algorithmes et autres automates d’optimisation ; au sud, le pays ensoleillé des loisirs et activités émergentes grâce à l’accès aux nouveaux services « gratuits » ; et, entre les deux, un vaste territoire comprenant une Data en masse qui concerne notamment les individus, avec tout ce qui est produit à flux tendu / continu par l’Internet des objets (IoT).

Dans ce « nouveau monde augmenté », le Chief Data Officer (CDO) aurait alors, selon les dires des analystes experts du domaine,  la main sur la « carte de l’île au trésor » permettant de maintenir l’entreprise dans la compétition mondiale, grâce au pilotage automatisé de sa stratégie (la machine apprenante favorisant de fait une prise de décision optimale dans le champ des possibles des connaissances). En se fondant ainsi sur la connaissance élaborée par la machine, le CDO pourra, par exemple, recommander une application de la spécialisation de son entreprise à de nouveaux domaines (autrement dit, une forme de spécialisation intelligente…), plutôt que de miser sur une difficile, voire improbable (et toujours très coûteuse),  « innovation de rupture ».

Mais cela serait vraiment se méprendre que de considérer qu’avec le Big Data les choses ne peuvent que vite évoluer de façon aussi radicale, avec une machine intelligente se substituant alors totalement à l’homme informé. Nous sommes en effet encore loin de cet univers tiré de l’«  Heroïc Fantasy » et autres excellentes littératures qui dotent volontiers l’Intelligence Artificielle d’une véritable conscience autonome… Même si nous exploitons aujourd’hui l’information de manière plus beaucoup automatisée qu’auparavant, notre monde repeint aux couleurs de l’Internet risque de parcourir encore longtemps les chemins bien connus des spécialistes de l’intelligence économique et stratégique.

Ainsi, pour ce qui concerne l’internationalisation des entreprises, on continuera très certainement à suivre la voie de l’influence et également des autres méthodes éprouvées d’IE, auxquelles le Big Data donnera indubitablement un surcroît d’efficacité, en particulier pour les plus petites structures d’entreprises (PME/PMI et TPE) qui sont particulièrement sensibles aux freins majeurs constitués par : le risque pays (problème d’impayés), les formalités administratives (en France) et la réglementation (à l’étranger).

La voie de l’influence pour l’international.

Inutile de rappeler  le contexte de compétition trans-sectorielle mondiale dans laquelle les entreprises sont immergées, avec le développement de la mobilité globale et les exigences renforcées des partenariats technologiques et industriels, qui nécessitent des montages financiers souvent complexes.

Aussi, depuis l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen en 1987, nous sommes en Europe dans un véritable état de « guerre économique », qui suppose un effort nécessaire accru de chacun pour assurer son influence et, partant de là, sa crédibilité et des décisions qui lui sont favorables.

En effet, même si les politiques s’attachent encore à nous donner le change, tous les grands enjeux économiques se situent bien désormais au niveau européen (UE) qui, dans le cadre d’un marché ouvert, définit la stratégie d’ensemble bien plus que les Etats membres eux-mêmes.

Ainsi, par exemple, les études qui sont réalisées dans le cadre des programmes de recherche de l’UE aboutissent à des décisions communautaires importantes, sinon fondamentales, qui structurent durablement notre économie. C’est pourquoi l’expertise scientifique d’un Etat membre (ou d’un groupement d’intérêts) constitue un atout essentiel dans toute stratégie d’influence qui se voudra gagnante auprès d’instances européennes, qui sont –souvenons-nous en toujours- tout particulièrement soucieuses de fonder leurs décisions sur le consensus.

Pour ne citer qu’un autre exemple, l’élaboration des normes CEN / ISO se fait au travers d’un « forum » européen / mondial, qui nécessite qu’il n’y ait pas d’opposition manifeste (en d’autres termes, il faut un consensus quant aux règles du jeu fixées communément par les parties) pour que leur adoption soit possible. Or, tout ce qui, comme les normes, nous semble en France plutôt relever du « soft law » (ou « droit souple », comme l’écrit le Conseil d’Etat) est aujourd’hui complètement assimilé à du droit positif (autrement dit, du « droit dur », par référence sans doute aux sciences dures / molles ?) au niveau européen.

Aussi, pour pouvoir gagner en influence, augmenter son rayon d’action, il ne faut surtout pas négliger aujourd’hui le « soft power », qui permet de préparer les esprits à la coopération et donc de créer des conditions favorables à une intervention. Cette démarche de séduction « douce » se traduit notamment par des échanges dans le domaine de l’information, qui peuvent mener à une forme d’intelligence organisationnelle.

Il faut par ailleurs toujours veiller à bien se manifester au bon moment pour défendre sa position (de la manière la plus concrète possible, c’est-à-dire le plus souvent par analogie et en recourant autant que possible au « bon sens ») et, pour cela, intervenir au bon niveau, grâce au repérage des bonnes cibles (c’est-à-dire les interlocuteurs correspondant le plus exactement à l’objectif qu’on s’est fixé), et surtout sans s’attacher à toujours démontrer qu’on a nécessairement raison (ce qui constitue un travers français bien connu, mais néanmoins regrettable…).

L’internationalisation des entreprises passe par le renseignement économique, la veille et la sécurité économique.

Comme chacun sait, pour se développer, il faut surtout vendre. Aussi, pour trouver des voies d’expansion, le mieux d’abord est de sortir de sa « zone de confort ». Et pour cela, sans doute l’esprit « start-up » est-il plus favorable à cette « sortie du cadre » que d’autres structures d’entreprises, moins « agiles » par nature, ne sont en mesure de le réaliser ou même tout simplement de l’envisager.

Parce qu’elles ont des budgets très limités en ressources d’information, les PME/PMI et TPE doivent en effet se montrer beaucoup plus ambitieuses en matière de « maîtrise de l’incertitude » que les plus grosses entités (grands groupes ou grosses collectivités).

Or, au regard des défis importants auxquels elles sont confrontées, en particulier pour développer leur vision stratégique, ces entreprises de petite taille (mais également les autres) ne peuvent accéder aux nouveaux marchés géographiques, que grâce aux méthodes et outils de l’intelligence économique :

– Validation des informations concurrentielles et repérage des opportunités business, telles que : investigations (renseignement économique) sur la concurrence présente sur un marché, l’identité et fiabilité des partenaires commerciaux, la qualification des fournisseurs, les marques d’intérêt de contacts qualifiés…

A noter que des organismes internationaux comme l’ITC (Centre de commerce international), proposent aux entreprises un accès gratuit à des outils d’analyse de marché, qui permettent de connaître la performance à l’exportation, avec des indicateurs sur la demande à l’exportation et les marchés, en même temps qu’un répertoire d’entreprises importatrices et exportatrices (220 pays et territoires couverts pour 5 300 produits concernés)

http://www.trademap.org/Index.aspx

Aussi, au-delà de l’évaluation du potentiel d’un marché (avec la réalisation de cartographies d’acteurs, décisionnaires et concurrents), l’entreprise peut toujours envisager la mise en place d’un dispositif de surveillance adapté (portail de veille) permettant d’anticiper les évolutions de la concurrence et de cibler de nouvelles voies de développement…

– Sécurisation du projet de développement (par exemple, des partenariats stratégiques ou des affaires avec des donneurs d’ordres) par des mesures de protection adéquates (par exemple, grâce à la propriété industrielle / intellectuelle) et des actions d’influence.

A noter qu’il existe de ce point de vue des outils d’information qui permettent, par exemple, de sécuriser la démarche export en alertant  sur les obstacles au commerce dans certaines zones

http://www.tradeobstacles.org/mauritius

http://www.tradeobstacles.org/cotedivoire/Home.aspx

Tout le travail de préparation consistant à qualifier et sécuriser l’information en amont de la mission à l’international, permet ainsi aux entreprises exportatrices de présenter leur offre au bon moment et à la meilleure personne (c’est-à-dire le bon   contact avec une demande solvable).

Les apports du Big Data à la démarche d’internationalisation des PME/PMI

Encore trop peu de petites et moyennes entreprises considèrent l’information comme un levier indispensable pour l’accélération de leur croissance, y compris à l’export. Pourtant, le Big Data (c’est-à-dire la mise en œuvre d’algorithmes permettant le traitement d’un volume important de données, avec la mise en œuvre de technologies prédictives de modélisation) devrait très vraisemblablement renforcer la capacité stratégique des PME/PMI, en particulier pour s’implanter à l’international, s’agissant de :

– Contribuer à assurer leur positionnement sur le marché et également leur performance commerciale, à partir de l’expérience utilisateur (c’est-à-dire la compréhension et la prédiction des comportements des clients grâce aux données d’interaction), désormais personnalisable, et pouvant se traduire par l’élaboration de campagnes de « content marketing » et une individualisation des offres (objectif : augmenter la clientèle) et de tactiques commerciales adaptées (objectif : conserver / fidéliser le client) ;

– Analyser par ailleurs, grâce à une plus grande maîtrise de la donnée, les tendances de segments de population sur le produit (pour une connaissance fine des besoins), à partir des réseaux sociaux, et surveiller l’image de l’entreprise / contribuer à sa notoriété (e-réputation) pouvant rentabiliser dans la durée l’effort commercial mis en œuvre (intervention en direction des bons influenceurs / décideurs) ;

– Améliorer enfin la productivité de l’entreprise (augmentation du chiffre d’affaires et des marges), grâce à un surcroît de flexibilité et d’agilité au travail (recours à la mesure par l’Internet des objets – IoT).

Pour tout cela, le Big Data joue un rôle de facilitateur pour les PME/PMI (et, plus largement, pour toutes les entreprises) à qui il offre aujourd’hui :

– Un meilleur accès aux données sectorielles, géographiques et autres…, en particulier via le Crowdsourcing,

– La constitution simplifiée de bases de données opérationnelles qui peuvent être aisément stockées / partagées sur le Cloud,

– La possibilité de prise de contact direct (pour le réseautage / matchmaking), sans intermédiation ou « tiers de confiance », grâce au développement de la technologie Blockchain qui permet des transactions en Peer to Peer.

La présence à l’international est, rappelons-le, un levier indéniable pour l’innovation des entreprises. Celles qui sont déjà présentes à l’international sont ainsi beaucoup plus performantes (accroissement du CA, taux de croissance renforcé et conquête de nouveaux clients…) et bénéficient souvent d’une meilleure image (surcroît de notoriété, amélioration du recrutement) que celles qui n’y sont pas.

Grâce au Big Data, les PME/PMI disposent aujourd’hui de moyens en intelligence économique et stratégique rendus plus accessibles et qui s’ils sont mis en œuvre peuvent grandement favoriser leur développement export.

Denis DESCHAMPS

Responsable du pôle Innovation/Intelligence économique à la CCI Paris IDF