Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Quand la Corée du Sud donne des leçons à l’Afrique (entre autres…)

On connaissait le rêve de l’American Way of Life, son modèle politique et social que tout le monde enviait. Depuis 2004, plus discrètement cependant, un nouveau modèle a fait son entrée dans la scène internationale et s’implante dans les pays en voie de développement… le modèle sud-coréen.

En 2004, la Corée du Sud a développé une plateforme intitulée « Knowledge Sharing Program » sur laquelle le pays propose des solutions d’aide au développement basé sur les leçons de sa propre expérience. Cela paraît à première vue incroyable, tant la Corée du Sud est peu connue pour de tels engagement, et que son histoire de développement est généralement peu connue. Cependant, la plateforme du KSP révèle que des programmes d’aide sont en cours dans de nombreuses zones dans le monde.

Le projet est présenté de la manière suivante :

 “Korea has transformed itself from an aid-recipient country to a donor country by achieving unprecedented economic growth within the past half century. From a war-torn country to the economic miracle of today, Korea has become the envy of most developing countries in its unprecedented economic growth. Drawing from its own experience of learning from advanced countries, Korea recognizes “knowledge sharing” as an effective and innovative tool for economic development.”

La principale zone dans laquelle la Corée du Sud met en place sa volonté de partager son expérience de développement est la zone Latine Américaine. Puis, le KSP est également en développement en Asie du Sud Est, en Afrique sub-saharienne ainsi qu’en Europe centrale, en Asie, Moyen-Orient et Afrique du Nord. Le scope couvert par l’initiative coréenne est impressionnant, d’autant plus qu’elle est peu connue du grand public. En effet, en termes de plateformes de développement, les initiatives occidentales sont les plus connues et celles les plus représentées.

Les piliers centraux de l’approche coréenne dans le KSP sont l’aide « Sud-Sud », l’idée que les pays en voie de développement se soutiennent dans ce parcours qui présente des similitudes, ainsi que l’élaboration de solutions sur mesures et le partage de l’information.

Mais quelle est la pertinence de l’expérience sud-coréenne ? Que contiennent les recommandations coréennes ? Et quelles leçons plus générales en tirer ?

D’un pays récepteur d’aides à un pays donneur : l’histoire de la Corée

Le premier argument avancé par la Corée pour expliquer le développement de cette initiative d’aide au développement est le suivant : « Korea has transformed itself from an aid-recipient country to a donor country by achieving unprecedented economic growth within the past half century ».

La pertinence de cette imposition coréenne dans la problématique de l’aide au développement vient de son histoire nationale particulière. La Corée du Sud a connu en son sein même la même problématique que les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Europe qu’elle chaperonne actuellement, à savoir la question du développement économique après une histoire chargée par les invasions et les conflits qui l’avait laissée exsangue. Ce cas de figure, si familier dans l’Afrique contemporaine, a été celui de la Corée du Sud.

En 1998, cet état asiatique a connu un rétablissement spectaculaire de sa position, devenant par la suite en 2010 la 15ème puissance mondiale avec une croissance économique soutenue (+6,1% du PNB) et un important excédent se sa balance de paiements. La Corée du Sud revenait de loin puisqu’en 1960 elle avait un PIB comparable à celui des pays les moins développés d’Afrique et d’Asie.

Cette situation d’appauvrissement faisait suite à plusieurs périodes douloureuses dans l’histoire de la Corée du Sud.  Alourdie par un le pesant héritage de l’occupation japonaise puis par la guerre de Corée qui a entraîné la séparation en deux du territoire, la Corée du Sud a vu ses capacités être dévastée, devant entièrement reconstruire son économie.

Ainsi, c’est partant de cette expérience qu’elle s’instaure comme guide pour les pays du monde qui connaissant ces mêmes situations.

L’apprentissage, clé de la réussite coréenne

Selon la plateforme qui révèle le cœur du projet d’aide aux pays en voie de développement, KSP, la force de la Corée du Sud dans son travail de reconstruction a été sa capacité à apprendre des pays avancés : « Drawing from its own experience of learning from advanced countries ». Puisque c’est ainsi que sa transformation s’est faite, la Corée du Sud veut reproduire le modèle.

En effet, deux éléments clés dans son développement fulgurant ont été d’une part la stabilisation des relations avec son ancien oppresseur, le Japon. Le rapprochement Japon-Corée du Sud marque le début d’un essor économique. Puis, tandis que sa voisine du Nord s’affirme en opposition totale avec la puissance états-unienne, la Corée du Sud bénéficie d’un grand support de ce côté, particulièrement sur les plans financiers et de transfert des technologies. C’est notamment grâce à cet apprentissage technologique auprès des Etats-Unis que la Corée du Sud parvient à rayonnement mondialement à travers ses grands groupes tels que Samsung, LG, Hyundai, SK.

Au cœur de ses programmes d’aides figure donc la leçon de suivre le modèle des pays les plus développés. Par ailleurs, un autre point clé du programme d’aide sud-coréen est la création de liens étroits entre le gouvernement et le milieu des affaires. C’est en partie ainsi que la Corée du Sud avait instigué son développement.

Cependant, si l’aide proposée aux pays en développement est largement inspirée par l’expérience coréenne, le KSP garde en principe de base de travailler à l’élaboration de solutions élaborées sur mesures aux pays en besoin. Le cadre de réflexion a donc pour ambition de rester assez flexible afin de pouvoir convenir aux contextes politiques, sociaux et économiques différents. Enfin, l’objectif final visé est celui de parvenir à un état d’indépendance pour le pays en voie de développement. Il est à parier que la nature souple cette approche est la raison de son succès, que c’est pour cela que le KSP a été développé dans autant de régions du nombre.

En effet, les programmes d’aides au développement, mis au point par les grandes puissances occidentales ou les grandes institutions internationales sont souvent critiqués pour leur manque de flexibilité et une éventuelle impossibilité à être appliqués dans des contextes différents. On se souviendra à ce sujet, du livre marquant écrit par l’économiste zambienne, Dambisa Moyo, Dead Aid, qui critiquait le système occidental d’aides pour l’Afrique. Selon sa théorie, ces aides n’étaient pas établies selon un système qui permettait la prise progressive d’indépendance en vue d’une émancipation.

L’intelligence économique, au cœur de la démarche sud-coréenne ?

La Corée du Sud a donc la légitimité de s’investir dans le domaine de l’aide au développement étant elle-même passée par cette étape. Mais maintenant se pose la question de ce qu’elle peut y gagner.

Il s’avère que cette démarche de Iearning s’inscrit dans une véritable perspective d’intelligence économique. En effet, cette démarche se révèle un incroyable outil de « soft power », permettant à la Corée du Sud d’impacter diverses régions du monde. Comme décrit sur le site du KSP, l’aide proposée se veut comme le développement d’une amitié entre les partenaires, posant les bases d’une prospérité mutuelle. Si le gain pour les pays aidés est immédiatement visible, un développement économique correspondant à leurs situations, pour la Corée du Sud il y a également des gains en jeu, dont une influence grandissante dans le monde.

L’intelligence économique s’insère dans ce projet puisque c’est à travers le data, l’information, que la Corée du Sud installe son influence. Le KSP permet une discrète implantation internationale de la Corée du Sud, un véritable enjeu géoéconomique.

La Corée du Sud semble alors avoir été précurseur en intelligence économique sans le savoir puisque nous nous situons actuellement dans une époque marquée par le boom du knowledge sharing. On ne rappellera pas ici l’importance du data, du knowledge. Des articles à ce propos ont récemment été publiés sur le site du Portail de l’Intelligence Economique. Par ailleurs, ce phénomène se révèle également à travers la recrudescence actuelle du développement d’outils de partage des connaissances, allant du simple Cloud au développement de plateformes interactives ou du phénomène de Deep Learning.

Leçons pour les pays en développement… mais aussi pour la France ?

Deux questions pour aller plus loin :

L’exemple coréen peut-il inspirer une redéfinition de l’implication française en matière d’aide au développement, notamment en Afrique ? Le changement suggéré est celui d’un système d’aide élaboré sur mesure pour convenir aux différents contextes des pays en voie de développement. Si les schémas sont souvent les mêmes, il n’en reste pas moins que chaque situation est unique et que bien souvent, les aides ne sont pas pensées en fonction des besoins spécifiques mais calquées sur un modèle général.

Par ailleurs, à l’instar de la Corée du Sud qui tire des leçons de son développement afin d’éclairer d’autres pays dans la même situation, gagnant au passage une aura internationale non négligeable, la France pourrait elle aussi inspirer d’autres pays de cette manière ?

Anne Laure Dall’Orso