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Crise du Boeing 737 Max : les ambitions de Pékin et de Comac

La crise qui s’abat sur Boeing et son aéronef 737 Max, depuis les accidents de Lion Air et Ethiopian, ainsi que le discrédit porté sur la FAA (Federal Aviation Administration, administration de l’aviation civile aux États-Unis) représentent une chance que pourrait saisir Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) pour bousculer le duopole Airbus/Boeing. C’est l’occasion pour la Chine d’imposer au monde les règles de sa propre administration de sécurité aérienne. D’ici 2025, elle représentera 30 % du marché mondial, et environ 80 % de la croissance du trafic aérien. Elle pourrait donc être en mesure de dicter ses conditions aux grands acteurs de l’aéronautique. À moyen terme, Pékin tentera d’introduire dans le duopole son biréacteur moyen-courrier, le C919, et pourrait chercher à aiguillonner la FAA et l’Aesa (Agence Européenne de la Sécurité Aérienne) pour le faire certifier.

Comac : concevoir et exporter un appareil compétitif

Le C919 est un appareil conçu pour transporter jusqu’à 168 passagers sur 5 500 kilomètres destiné à concurrencer la gamme des A320 d’Airbus et des 737 de Boeing. Comac vise 30 % du marché des monocouloirs à l’horizon 2040 et bénéficie pour cela du soutien du gouvernement chinois. Pékin devrait inciter les compagnies aériennes locales à acquérir le C919 : en effet, sur les 305 commandes fermes passées à ce jour, seules dix ne proviennent pas de compagnies chinoises. 

Bien que les aléas que rencontre le 737 Max semblent à première vue offrir de nouvelles opportunités au C919, la situation est en réalité plus complexe. Lancé en 2008, le programme montre encore de nombreuses limites. La livraison du premier avion de série était initialement prévue en 2016. Or, les vols d’essai ont débuté en 2017. Sur les six vols nécessaires pour l’obtention d’une certification internationale, seuls trois appareils ont effectué à ce jour ces phases de test. En octobre 2018, les deux premiers prototypes du C919 cumulaient 150 heures de vol (moins de 5 heures par mois chacun). À titre de comparaison, la campagne d'homologation de l'A350 avait requis 3 500 heures de vol.

Par ailleurs, Boeing et Airbus, plus expérimentés dans le déploiement de nouveaux modèles, peinent à les faire certifier en moins de cinq ans. En outre, Comac ne serait pas en mesure d’atteindre la cadence de production actuelle de l’A320 (soit soixante exemplaires par mois) avant 2030. Comac a déposé une demande auprès de l’Aesa pour le C919, et ne peut compter obtenir de certification avant 2022. Quant à l’avion régional ARJ21, Comac n’a pas réussi à remplir les conditions de certification imposées par les régulateurs américain et européen, désengageant son entrée sur les marchés à l’export. À ce jour, seule la République du Congo a autorisé l’appareil à survoler son territoire.

Pour autant, les ambitions de la Chine ne semblent pas freinées par les retards enregistrés dans le développement du C919 de Comac, et par les difficultés liées à la certification de ces deux programmes d’aéronefs, C919 comme ARJ21. L’aéronautique figure parmi les secteurs-clés identifiés par le plan Made in China 2025, programme industriel destiné à renforcer les capacités technologiques du pays. Le secteur aéronautique chinois fait partie intégrante de la stratégie ‘One belt one road’de Pékin, qui consiste à favoriser les exportations chinoises (en Afrique notamment) au détriment de ses concurrents occidentaux. Comac tente d’accroître ses parts de marché en Afrique, telle que l’illustre l’intention d’Africa World Airlines, compagnie ghanéenne appartenant au conglomérat chinois HNA d’acquérir deux exemplaires de l’ARJ21.

 

Accidents du 737 Max : l’initiative de la Chine en matière de sécurité aérienne

Pékin semble prendre la crise du 737 Max comme une opportunité pour devenir un acteur à part entière parmi les régulateurs. Le caractère incontournable de la FAA et de l'Aesa en matière de certification d’avions, reflète le leadership de Boeing et d’Airbus sur le marché de l’aéronautique civil et témoigne du manque de crédibilité qui fait encore défaut à leur homologue chinoise. Cependant, la rapidité avec laquelle la Civil Aviation Administration of China (CAAC), autorité de l’aviation civile en Chine, a interdit le vol des 737 Max sur son territoire à l’issu des deux accidents, précédant l’Aesa, illustre bien les ambitions de Pékin dans la régulation aéronautique mondiale. L’objectif est de déplacer le centre de gravité du domaine aérien, jusque-là dominé par la FAA, dont la Chine suivait traditionnellement les avis en termes de sécurité aérienne.

Néanmoins, la reconnaissance de la CAAC en matière de régulation, de certification des avions et de définition des normes de sécurité pourrait prendre du temps. Ces éléments relèvent de façon quasi-exclusive des standards américain et européen, et l’agence chinoise manque pour l’heure de crédibilité et de réputation dans ces domaines. Ces éléments sont incontournables dans le secteur aéronautique, tant pour les acteurs privés (Boeing, Airbus, Comac), que les acteurs publics (FAA, Aesa, CAAC).

Le cas du 737 Max en est un parfait exemple : même le leader mondial de l’aéronautique peine à convaincre compagnies aériennes, équipages et passagers de renouveler leur confiance au 737 Max. Une perte de crédibilité aussi globale porte atteinte à la réputation de Boeing face à ses actionnaires et ses clients. De même, la crise traversée par Boeing met en cause la FAA à qui l’on reproche son indulgence concernant la certification du 737 Max. En effet, afin d’accélérer le processus de certification et d’en réduire les coûts, la FAA a eu recours à la sous-traitance par des acteurs externes, et aurait directement délégué certaines étapes de la certification à Boeing (tels que les logiciels embarqués). Les accointances entre les avionneurs et les régulateurs sont ainsi étalées au grand jour.

Ainsi, Pékin cherche à obtenir un poids suffisant qui lui permettrait d’affirmer sa place parmi les acteurs dominants de la sécurité aérienne. Depuis mai 2018 par exemple, la CAAC et l’Aesa seraient proches d’un accord susceptible de faciliter le processus de certification et la vente d’avions sur leurs marchés respectifs. En facilitant la validation mutuelle de leurs certifications, l’accord devrait simplifier les autorisations de vol des appareils chinois dans le ciel européen ; il facilitera aussi les autorisations chinoises pour Airbus. L’accord de la CAAC avec l’Aesa intervient après un accord conclu, en 2017, entre la CAAC et la FAA.

Dorénavant, la Chine cherche à devenir un acteur de premier plan dans l’aéronautique, secteur largement dominé par l’Occident. Comac joue des coudes entre les géants de l’aviation pour obtenir des parts de marché hors de ses frontières, en s’aventurant au milieu d’une bataille que se livrent avionneurs, fournisseurs et motoristes. La concurrence acharnée entre Boeing et Airbus articule toutes les dynamiques du secteur (cadence de production, innovation, certification). La crise du 737 Max perturbe l’équilibre qui tenait le duopole en formation serrée, mais la porte n’est pour autant pas encore ouverte aux autres constructeurs pour qui concevoir un appareil compétitif dans les délais constitue un défi majeur.

La rivalité entre Boeing et Airbus s’est déjà propagée dans les recherches sur les avions hybrides avec les projets E-FanX pour Airbus et Za10 pour Boeing. La prochaine génération de moyen-courriers devra garantir 10 à 15 % d'économie de carburant supplémentaires. Ces hybride-électriques voleront entre 2028 et 2035, selon la demande. La certification du C919 est espérée pour 2022, mais ne sera probablement pas délivrée avant 2025.  D’ici là, Comac pourrait se retrouver avec un monocouloir déjà dépassé avant même d’avoir été lancé.