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Le Partenariat régional économique global : une rupture dans l’histoire du commerce mondial ?

Le 15 novembre dernier a été signé le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership – RCEP), réunissant les 10 pays de l’ASEAN ainsi que la Chine, le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Cet accord met en exergue la perte d’influence des États-Unis dans la région au profit de celle de la Chine, qui, sous couvert de promotion du multilatéralisme, semble en réalité déterminée à imposer ses normes en matière commerciale à ses voisins.

Le RCEP, un événement économique majeur à la réussite incertain

Initié par l’Indonésie en 2012 dans le cadre de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), cet accord de libre-échange visait initialement à contrebalancer le poids du Partenariat Transpacifique. Un projet lancé par les États-Unis en 2008 et abandonné par ces derniers en 2017 à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Après huit ans de négociations, l’annonce de la signature du RCEP a suscité une onde de choc au sein de la communauté internationale. Malgré le retrait de l’Inde des négociations en novembre 2019, il regroupe 2 200 000 000 d’habitants et représente 30% du PIB mondial, ce qui en fait l’accord de libre-échange le plus important au monde. 

Le RCEP représente en effet un événement majeur dans l’histoire du commerce mondial en ce qu’il intervient dans un contexte de fracture de l’ordre international et de montée du protectionnisme dans le domaine commercial. Outre la fixation de règles en matière d’investissements, de propriété intellectuelle et de règlement des différends, l’accord vise aussi à supprimer les droits de douane sur 90% des biens échangés au cours des 20 prochaines années et à harmoniser les règles d’origine, ce qui renforcera considérablement l’intégration asiatique. 

Néanmoins, le traité présente plusieurs particularités qui sont autant de défis à relever pour être à la hauteur de ses ambitions. En effet, il s’agit du premier accord commercial multilatéral réunissant autant d’États à l’échelle asiatique, parmi lesquels figurent des économies développées et des pays en développement, voire pauvres, tels que la Birmanie ou le Laos. De même, le RCEP devra faire face aux rivalités économiques existantes entre la Chine, le Japon et la Corée du sud en particulier, trois puissances dont les intérêts sont souvent divergents. Enfin, certains analystes estiment que le Partenariat asiatique manque d’ambition, d’une part parce qu’il ne serait que la somme de l’ensemble des accords bilatéraux conclus entre les différents pays de la région d’Asie-Pacifique. D’autre part en raison de l’absence ou de l’insuffisance de régulation dans certains domaines stratégiques tels que l’agriculture, les échanges de services et le numérique. 

Un recul des États-Unis dans la région Indo-Pacifique au profit de l’influence chinoise

Les États-Unis semblent de plus en plus isolés sur la scène internationale. De multiples éléments ont contribué à la progression de l’influence chinoise au niveau régional et international. La politique de repli illustrée par leur retrait du Partenariat Transpacifique en 2017, les batailles commerciales poursuivies par Washington à l’encontre de l’Union européenne et de la Chine ainsi que le recours à une communication d’influence offensive à l’encontre de Pékin sont en réalité des éléments ayant contribué à la progression de l’influence chinoise au niveau régional et international. 

En effet, dans la guerre commerciale qui oppose les États-Unis à la Chine, la signature du RCEP apparaît comme une victoire pour cette dernière. La présence de pays traditionnellement alliés de Washington et hostiles à Pékin, tels que l’Australie, la Corée du sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande est un signe fort de l’accroissement de l’influence chinoise à l’échelle régionale. Dans son émission du 19 décembre 2020 sur RT France, Alain Juillet soulignait à juste titre que la présence de ces États au sein de l’accord « signe le découplage entre leurs intérêts économiques nationaux et leurs alliances stratégiques ».

Ainsi, face à la stratégie des États-Unis de s’engager davantage dans la région dans le domaine militaire (fourniture du système antimissile THAAD à la Corée du Sud, déploiement de forces armées en mer de Chine méridionale, etc.), l’objectif de Pékin est d’équilibrer le rapport de force en favorisant un environnement régional stable en matière commerciale. C’est à ce titre que le premier ministre chinois Li Keqiang a qualifié l’accord de « victoire du multilatéralisme et du libre-échange […], de rayon de soleil et d’espoir dans un ciel plombé ». En s’inscrivant ainsi promoteur du multilatéralisme, l’Empire du Milieu cherche en réalité à s’imposer comme le nouveau noyau dur de l’économie internationale et ainsi affaiblir les États-Unis et l’Europe dans ce domaine. 

Cette stratégie reposant sur l’économie comme principal vecteur d’influence est une constante depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013. Du projet Obor au système de prêts accordés aux pays en développement jusqu’au récent RCEP, la politique extérieure de la Chine s’appuie principalement sur la création de situations favorables à ses intérêts économiques et stratégiques. À travers ces projets d’infrastructures et de partenariats commerciaux, Pékin veut accroître son influence à l’échelle internationale. Cela se traduit notamment par sa capacité grandissante à imposer ses normes en matière commerciale en raison de son poids économique. 

Le renforcement du rôle de la Chine dans l’élaboration des normes : le triomphe du modèle chinois ?

Alors qu’il y a à peine vingt ans, la Chine faisait son entrée au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à la condition de mettre en œuvre les réformes nécessaires à sa transformation en économie de marché, elle semble aujourd’hui avoir inversé les rapports de force. Loin de vouloir se conformer aux exigences des pays occidentaux et de l’OMC, elle cherche au contraire à modifier les règles de l’ordre international principalement édictées par les États-Unis, afin de les redéfinir à son avantage.

À ce titre, le fort déséquilibre économique existant entre les différents pays membres du RCEP va sans aucun doute jouer en faveur de Pékin, en raison de son poids considérable dans l’économie régionale. Les échanges commerciaux entre l’ASEAN et la Chine ont considérablement augmenté ces dernières années, pour atteindre 591 milliards de dollars en 2018, faisant ainsi de l’ASEAN le deuxième partenaire commercial de Pékin. Le commerce avec la République Populaire de Chine constitue un facteur essentiel de la croissance économique de la plupart des États membres du RCEP. L’intégration croissante des économies océano-asiatiques au sein d’un espace de libre-échange accroît par la même leur dépendance à l’égard du géant chinois, en particulier celle des États les plus pauvres. 

À ce titre, il semble réaliste de penser que la Chine usera de son statut de plus grande économie de la région pour exercer une influence sur les normes qui y sont établies. Comme les États-Unis avant elle, qui se sont longtemps servis des instances régionales ou internationales pour imposer leurs normes, la Chine pourrait profiter du RCEP pour exporter ses normes à l’échelle régionale et ainsi servir ses intérêts économiques et stratégiques.

Ainsi, à travers le RCEP, la Chine projette sa puissance normative à l’échelle océano-asiatique, avec de potentielles répercussions globales. Ira-t-elle, dans un futur plus ou moins proche, jusqu’à reproduire le modèle des États-Unis en sanctionnant les pays qui ne se conformeront pas aux règles édictées par elle ? 

 

Juliette Biau, Club Droit et IE AEGE

 

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