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Les ports africains, source de convoitise de Pékin

Depuis le 11 mars 2020 et le début officiel de la pandémie de Covid-19, l’équivalent de 11,2 milliards de dollars a été investi sur le continent africain par la Chine, selon les chiffres du think-tank American Enterprise Institute (AIE). Si certains partenaires africains traditionnels sont moins concernés, d’autres regorgent de liquidités en provenance de Pékin, preuve de l’intérêt grandissant de Pékin notamment pour leurs infrastructures portuaires.

Des routes et des ports : placer les pions de la Chine sur la façade maritime est-africaine

La répartition des investissements chinois en Afrique témoigne des priorités stratégiques de Pékin sur le continent. Après la Tanzanie, qui a reçu 2,2 milliards de dollars en 2020, l’Égypte et la Zambie complètent le podium, avec respectivement 1,8 et 1,7 milliard de dollars. La croissance de ces investissements, malgré le contexte contraint de la pandémie de Covid-19, répond au projet de développement d’infrastructures pharaoniques des « nouvelles routes de la Soie », promu par Xi Jinping dès 2013. A ce titre, Pékin a prévu de mobiliser 8 000 milliards de dollars pour développer ces nouvelles routes maritimes, terrestres et aériennes.

Plusieurs ports africains font partie du « collier de perles » africain, comme Mombasa, au Kenya, Port-Soudan ou encore Djibouti et font donc l’objet d’investissements massifs de la part de bailleurs chinois. À Mombasa, par exemple, la banque publique chinoise d’import-export  (Exim Bank of China) a accordé un prêt au gouvernement kenyan pour la construction d’une ligne de chemin de fer entre la capitale Nairobi et le port de Mombasa, tandis qu’un autre projet de prêt, financé par la même institution, pour le déploiement d’une ligne ferroviaire entre Mombasa et Kigali est en cours de négociation. En développant les infrastructures utiles, la Chine cherche à fluidifier l'importation de ses produits au sein de ces pays, tout en renforçant sa mainmise sur les dettes des pays africains. En revanche, la Chine reste faiblement présente dans les pays d’Afrique de l’Ouest, la façade atlantique ne rentrant — pour le moment — que peu dans la stratégie d’influence de Pékin en Afrique. Exception faite pour le Ghana et la Côte d’Ivoire, au sein desquels la Chine lorgne sur la production de cacao.

Au Kenya, les projets d’infrastructure ferroviaire cachent, selon l’Institut d’études de sécurité (IES) africain, une stratégie de prédation sous-jacente destinée à prendre le contrôle du port. « Le gouvernement aurait offert le port en garantie du prêt octroyé par la Chine pour construire le chemin de fer Mombasa-Nairobi, nommé Standard Gauge Railway (SGR), en 2014 », explique Peter Fabricius, de l’IES, dans un article publié le 30 avril 2020. La stratégie chinoise repose sur ce que l’administration Trump a nommé la « diplomatie de l’endettement », qui permet aux Chinois de conditionner leurs prêts à des garanties reposant sur la cession d’infrastructures stratégiques. À plusieurs milliers de kilomètres des côtes africaines, le port de Hambantota, au Sri Lanka, a ainsi été cédé à China Merchants Port Holdings le 28 juillet 2017, alors même qu’il avait été financé à 85 % par la banque d’exportation et d’importation de Chine. Si les taux d’intérêts des prêts chinois ne sont pas plus élevés que ceux du reste du monde, les promesses de financement cachent souvent un ensemble de contreparties, inconnues du grand public et aux conséquences parfois délétères. « Les conditions de prêt consenties par la Chine regorgent de nombreuses clauses de confidentialité, qui vont jusqu’à influencer la diplomatie et la politique intérieure de l’État », note Carmen Reinhart, économiste en chef à la Banque mondiale. 

Le port de Doraleh, à Djibouti, est aussi l’une des priorités de Pékin. Après deux décennies d’investissements, la Chine détient 70 % de la dette djiboutienne, réduisant les marges de manœuvre politiques d’Ismaïl Omar Guelleh, le président du micro-État, qui cherche désormais à sortir quelque peu de la mainmise chinoise. L’ancien opérateur du port de Djibouti, DP World, a ainsi vu son contrat rompu unilatéralement par le gouvernement djiboutien au profit de la China Merchants Bank, actionnaire minoritaire du port. Et ce, malgré la décision d’un tribunal britannique qui avait donné raison à l’opérateur koweïtien, qui considère que DP World demeure de droit le principal actionnaire de Doraleh Container Terminal. Les investissements chinois n’entraînent pas non plus nécessairement d’externalités positives sur les marchés locaux de l’emploi, L’Empire du Milieu aimant se fournir en main d'œuvre au pays. À Djibouti, le chômage touche 45 % des habitants et environ 70 % des moins de 30 ans, soit un nombre de 200 000 personnes sans emploi, pour une population de 800 000 personnes. Pour Pékin, le port de Djibouti ne demeure qu’un pion pour conquérir et alimenter le géant éthiopien, sans accès maritime et qui dépend très majoritairement de Djibouti pour ses importations. La richesse naturelle du pays et ses nombreuses ressources (gaz, minéraux) attirent en effet la pieuvre chinoise, qui continue d’y investir massivement.

 

De nouvelles cibles pour Pékin

Après sa mainmise sur Djibouti et Mombasa, la stratégie chinoise s’adapte aussi au gré des alliances nouées avec les régimes en place. Si la Tanzanie est aujourd’hui plébiscitée par Pékin, qui y mène là encore une puissante diplomatie infrastructurelle, c’est aussi pour son positionnement stratégique sur la façade maritime est-africaine. En janvier 2021, les deux États ont ainsi conclu un accord de 1,3 milliard d’euros pour la construction d’une ligne ferroviaire entre le port de Dar-es-Salam — le sixième port africain en tonnage — et le Burundi, la République démocratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda. En tout, la valeur des infrastructures construites par la Chine en Tanzanie s’élève à une dizaine de milliards de dollars.

L’Égypte, second récipiendaire des investissements chinois en 2020, bénéficie aujourd’hui des faveurs de Pékin. Pour sa position stratégique sur les bords de la mer Rouge, sa domination sur le canal de Suez et, évidemment, sa façade méditerranéenne qui garantit à la Chine un accès aux marchés européens. Les relations sino-égyptiennes ont d’ailleurs été élevées au rang de « partenariat », soit le plus important dans la hiérarchie des relations bilatérales qu’entretient la Chine avec les pays étrangers. Outre la croissance continue des échanges commerciaux entre Pékin et Le Caire, des exercices militaires communs, des contrats de défense et la participation à un ensemble de forums internationaux concrétisent un rapprochement entre la deuxième puissance du monde et un acteur incontournable de la scène politique arabe.

Certains pays commencent parfois à modérer leur enthousiasme face à l’influence chinoise. En Zambie, la Chine est omniprésente et détient déjà un tiers de la dette souveraine du pays, ce qui limite fortement les marges de manœuvre du pays. En novembre 2018, des émeutes « anti-chinoises » ont d’ailleurs éclaté, notamment à Lusaka, la population dénonçant la mainmise de Pékin sur le pays, alors qu’un discours xénophobe anti-chinois gagne en résonnance au sein des discours de l’opposition. Mais, encore aujourd’hui, la Chine réussit à séduire par son discours tiers-mondiste et ses liens historiques avec les anciens pays colonisés. Surtout, Pékin peut compter sur le sentiment anti-occidental qui ronge les opinions africaines.

 

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