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L’influence de la politique agricole commune sur la souveraineté alimentaire française (Partie 1/3 : Présentation de la PAC)

En permettant à l’Europe d’être une puissance agricole, la PAC a démontré son intérêt. Elle a connu des mutations qui ont été imposées tant de l’extérieur (combat des Etats-Unis contre le protectionnisme européen) que de l’intérieur (surproduction, rabais britannique, environnement, quotas laitiers). Malgré son succès, elle est fortement critiquée en raison d’un cadre contraignant en raison de la surabondance de normes, les multiples contrôles d’où des appels à sa simplification. De nombreuses pistes sont envisagées et certaines sont actuellement testées dans certains États européens.

De la “Forteresse Europe” à la libéralisation

Tout d’abord, il convient de relater la situation qui a amené à la création de la PAC en 1962, à savoir que l’Europe faisait face à des prix mondiaux des céréales élevés, à une succession de pénuries, à une volatilité des prix et à de faibles capacités de production. Ainsi, cette année-là,  les six Etats de la Communauté Économique Européenne (CEE) ont mis en place la PAC (Politique Agricole Commune). La compétence agricole de chaque Etat membre est de fait attribuée à la CEE. Concrètement, elle garantit des prix et ceux-ci sont supérieurs aux prix mondiaux. Les quantités invendues sont rachetées, stockées, exportées vers des marchés tiers ou détruites. Des tarifs douaniers sont appliqués aux produits agricoles importés. Si un producteur vend sa production à un prix mondial hors CEE, il reçoit un complément qui efface cette différence. Par conséquent, la Communauté européenne est protectionniste en matière agricole, ce qui lui vaut les foudres de nombreux pays à commencer des Eta ts-Unis.

Entre les années 1960 et 1970, la PAC connaît une indéniable réussite comme nous l'ont rappelé Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, Christine Avelin, directrice générale de France AgriMer,  et Alain Moulinier, conseiller général de l’alimentation, de l’agriculture et les espaces ruraux. En effet, elle a permis d’accroître la production, de satisfaire les besoins alimentaires des populations, d’inciter les agriculteurs à s’organiser et d’introduire plus de mécanisation, de génétique et de moyens techniques. 

Par la suite, la PAC entre dans une zone de turbulences qui aura pour effet de dessiner son contour actuel. Dans les années 1970, la PAC fait face à une  crise avec une production laitière qui dépasse la consommation et l’octroi de rabais au Royaume-Uni (remboursement d’une partie de la contribution britannique). Parallèlement, les pays tiers critiquent fortement la PAC en accusant la CEE de pratiquer une concurrence déloyale. Le premier tournant a lieu en 1986 avec les négociations commerciales dites Uruguay Round. La  CEE y a décidé un abaissement des prix garantis et de la protection douanière  suite aux attaques des Etats-Unis (opposés au protectionnisme agricole européen). Comme l’a souligné Christiane Lambert, nous avons désormais un découplage entre les volumes produits et les subventions. Le véritable tournant a lieu dans les années 1990 avec la libéralisation de la PAC où le protectionnisme en matière agricole prend fin avec un rapprochement des prix européens et des prix mondiaux.

L’Agenda 2000 introduit la question du développement rural et ajoute en 2003 des critères environnementaux et de bien-être animal. Les aides ne sont plus accordées en fonction du type et de la quantité de production mais en fonction de la surface de l’exploitation ou du nombre de têtes de bétail. Le Bilan de santé de 2008 marque encore un tournant avec la suppression des quotas laitiers pour 2015, ce qui déclenche un profond malaise parmi les agriculteurs français et autorise les Etats à avoir une marge de manœuvre en termes agricoles, ce qui pour certains marque le début de la renationalisation de la PAC. Les PAC 2013 et 2023 accentuent la prise en compte des défis environnementaux. Enfin, comme nous l’a rappelé Benoît Maréchal, l’actuelle réforme prévoit que les aides soient accordées non plus en fonction de la surface cultivée mais en fonction du nombre de salariés sur l’exploitation.

Les différentes étapes d’élaboration de la PAC

Nos échanges avec Christiane Lambert, Christine Avelin et Alain Moulinier, nous ont permis de comprendre les détails du fonctionnement de la PAC. Ainsi, ils nous ont expliqué que la PAC repose sur des programmations d’une durée de six ans. Cela donne lieu à d’intenses débats entre les délégations de chaque Etat membre. Étant la politique la plus intégrée, elle est élaborée selon la “décision à trois” c’est-à-dire que trois institutions européennes entrent en jeu dans son élaboration, à savoir le Conseil des ministres, la Commission européenne et le Parlement européen. Ensuite, elle est déclinée par les Etats membres. 

En rentrant dans les détails, on s’aperçoit que la PAC a une architecture assez comparable à l’Union européenne telle qu’elle était organisée du Traité de Maastricht au Traité de Lisbonne c’est-à-dire en piliers. 

La PAC repose sur deux piliers. Le premier pilier correspond au dispositif de soutien à l’agriculture. Il a deux objectifs, le soutien du revenu des agriculteurs européens et une production agricole compétitive et permettant de nourrir la population. Ce pilier est entièrement financé par l’UE mais les Etats peuvent co-financer des dispositifs. Ces aides étatiques sont strictement encadrées afin de garantir l’unité du marché européen. Concrètement, cela évite que les États plus riches financent plus leur agriculture que les États moins développés. Le deuxième pilier renvoie au FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) qui est un fonds structurel permettant de moderniser, d’investir dans le but d’augmenter les standards de production. 

La comparaison avec l’Union européenne est là encore pertinente puisque de 1992 à 2009, les deux premiers piliers de l’UE étaient forts différents puisque l’un était intégré et l’autre intergouvernemental d’où un déséquilibre entre ces deux piliers. 

On retrouve ce déséquilibre dans la PAC comme nous l’a confirmé Christine Avelin puisque les aides surfaciques relevant du premier pilier sont majoritaires (76,8% du budget de la PAC pour 2021-2027) tandis que les aides du deuxième pilier représentent 23,2% du budget de la PAC pour 2021-2027. En termes budgétaire, la PAC est le premier budget de l’UE, il représente 48% même s’il baisse. La France reçoit 9 milliards d’aides chaque année même si elle est contributrice nette c’est-à-dire qu’elle contribue plus qu’elle ne reçoit.

Un dispositif protecteur mais contraignant

Au travers de nos entrevues, nous avons pu identifier trois avantages de la PAC, à savoir la sécurisation, la régulation et l’incitation. Elle sécurise les agriculteurs car les aides sont indépendantes des marchés agricoles. Comme l’offre et la demande sont mouvantes, cela peut avoir de graves conséquences sur le revenu des agriculteurs. Régulation car il existe des mécanismes en cas de surproduction, ce sont les quotas qui se sont appliqués notamment dans le secteur laitier. Incitation car le versement d’aides encourage la mise en place de nouvelles pratiques agricoles.

S’agissant des inconvénients, on retient l’existence de nombreuses contraintes sanitaires, environnementales mais aussi un mécanisme de subventions reposant sur l’octroi d’aides en fonction de la surface exploitée, lequel a conduit à une diminution du nombre d’exploitations et à une spécialisation poussée à outrance. Elle a eu une conséquence agronomique majeure et a dû être corrigée par une utilisation intensive d’engrais et de pesticides.

Toutefois, Alain Moulinier et Benoît Maréchal relativisent ces contraintes car pour eux il est légitime que l’UE les imposent au regard des subventions accordées. L’UE doit contrôler l’utilisation de cet argent via le dispositif d’apurement qui permet à la Commission européenne de récupérer les fonds indûment perçus par les agriculteurs. 

Des pistes pour allier simplicité et efficacité

Nos différents interlocuteurs nous ont tous fait savoir qu’il existe plusieurs pistes pour simplifier la PAC à savoir : la technologie, le droit, restreindre le nombre de labels et le recours à des cabinets. 

La révolution technologique est, comme l’a souligné Christiane Lambert, un des leviers allant vers plus de simplification. La numérisation des exploitations agricoles, en ayant davantage recours au géopositionnement satellitaire et aux drones, permettra de dématérialiser les déclarations PAC.  Des pays comme la Grèce et le Danemark vont dans cette voie. Cela constituera un gagne-temps déclaratif et de contrôle . Par ailleurs, Alain Moulinier nous a indiqué que la Commission européenne a l'intention d’aller dans ce sens. 

La présidente de la FNSEA, quant à elle, nous a clairement fait comprendre qu’une réforme du droit de la concurrence doit être envisagée. En effet, pour peser davantage dans les négociations avec les acteurs de l’agroalimentaire, il est préférable que les agriculteurs se regroupent et s’organisent. Mais, la Commission européenne considère que c’est une entente au regard du droit de la concurrence et que le but des regroupements d'agriculteurs est de maintenir des prix élevés.  

De plus, comme nous l’a indiqué Thierry Bergier, la simplification peut aussi concerner le nombre de labels et de certifications. Il estime que la multiplicité des labels et des certifications dans le domaine environnemental engendre de la confusion chez les agriculteurs et les consommateurs. 

Au niveau français, le recours à des cabinets permettra d’apaiser les relations avec l’administration car ceux-ci peuvent certifier que les agriculteurs respectent les bonnes pratiques. 

En définitive, conclut Alain Moulinier, la simplification voulue par les autorités n’est pas toujours ressentie comme de la simplification. En effet, la modification d’un formulaire ayant pour objectif de simplifier la vie des agriculteurs est considérée par ceux-ci comme une nouvelle complexité car il faut se réapproprier le nouveau formulaire.

 

Pierre-Louis Julien pour le Club Relations Publiques de l'AEGE

 

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