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Ukraine : les États-Unis cherchent-ils à précipiter la guerre ?

À l’heure où la tension monte en Ukraine, une prise de recul est nécessaire pour comprendre pourquoi l’éclatement d’un conflit en Europe de l’Est paraît imminent. Loin du narratif dominant dans les médias occidentaux d’une Russie agressive, certains éléments laissent entrevoir une toute autre réalité.

La situation économique des États-Unis

Une analyse de la situation domestique aux États-Unis est nécessaire pour comprendre les motifs américains sous-jacents.

Depuis plusieurs décennies, la politique monétaire accommodante (Quantitative Easing) a amené la dette nationale des USA à 28 400 milliards de dollars en 2021 dont 13 950 milliards de dollars de dette privée dépassant le record des 12 680 milliards de 2008. La fuite en avant vers toujours plus de crédit et l’inflation galopante d’une part, ainsi que le nécessaire relèvement des taux pour y remédier d’autre part, font peser un risque considérable de défaut de paiement sur Washington dans les prochains mois. Cette crise financière engendrerait un arrêt brutal de l’économie, faisant prendre aux USA un recul supplémentaire face à la puissance chinoise qu’ils ne peuvent se permettre. Par ailleurs la Chine, 2ème plus grand créancier étranger des États-Unis qui détient pour 1 100 milliards de dette américaine, peut agir sur ce levier dans la guerre économique qui oppose les deux superpuissances. S’ajoute à cela la crise du COVID, et l'impact économique et social subséquent, potentiel terreau de nombreuses contestations.

Or, comme l’Histoire l’a souvent démontré, les axes de la politique extérieure américaine sont la déclinaison des besoins en matière de politique intérieure. Les intérêts politiques, économiques et militaires étant confondus, les conflits extérieurs ont souvent été l’opportunité de servir les intérêts du complexe militaro-industriel très puissant aux États-Unis, tout en servant leur dessein politique et hégémonique. Ainsi, un nouveau conflit permettrait d’établir un consensus autour de la menace extérieure, tout en détournant l’attention des contestations domestiques et en durcissant le contrôle politique sur son territoire.

 

La menace chinoise

Ces problématiques intérieures entrent évidemment en tension avec la menace extérieure que fait peser la Chine, qui reste le “seul concurrent potentiellement capable de combiner pouvoirs économique, diplomatique, militaire et technologique pour constituer un défi prolongé” et “le plus important test géopolitique” pour Washington, selon le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.

Face à la domination chinoise en Asie du sud-est et en Mer de Chine, à son expansion économique au travers des routes de la soie, et à sa mainmise sur les ressources de l’Afrique, les USA, dans une logique de containment, répliquent en renforçant leur présence militaire et économique dans des régions stratégiques. Premièrement, en Asie, avec des déploiements de la flotte américaine en Mer de Chine et Pacifique sud où ils démontrent un soutien appuyé à Taiwan, au nez et à la barbe des Chinois. Mais aussi, via des liens économiques forts avec l’allié traditionnel de la région, le Japon. Les présidents chinois et russe soutiennent d’ailleurs la thèse d’une volonté des États-Unis de déstabilisation régionale, comme l’illustre la soudaine révolte populaire au Kazakhstan, économie la plus performante d’Asie centrale et clé de voûte des routes de la soie qui entretenait jusque là de bonnes relations avec la Russie, la Chine et les USA.

Ensuite, dans une logique d’encerclement énergétique, on peut s’interroger sur le rôle des États-Unis au Moyen-Orient, au travers de leur allié israélien. En effet, le tournant historique du dialogue qui s’est opéré entre l’État hébreu et ses voisins arabes sous la houlette des Américains, assure un renforcement du contrôle de ces derniers dans la région du monde la plus grande productrice de pétrole, source d’énergie vitale pour le concurrent chinois. Dans cette logique, mettre en danger la Chine sur un de ses autres fronts, nommément celui eurasiatique avec la Russie et les pays de la Communauté des États Indépendants (CIS), serait un atout significatif. Au vu du renforcement de l’alliance énergétique entre Moscou et Pékin avec la signature d’un contrat gazier sur 30 ans dont les ventes se feront en euros,  une déstabilisation de la Russie achèverait l’encerclement énergétique de la Chine, la mettant en position de difficulté économique.

 

La solution de guerre par proxy en Ukraine

Il devient alors impossible de ne pas analyser les événements qui se déroulent à la frontière russo-ukrainienne sous un tout autre prisme.

D’un point de vue économique, un conflit en Ukraine serait bénéfique pour les États-Unis, en ce qu’il rendrait légitimité et raison d’être à l’OTAN (dominée par les intérêts américains), organisation il y a peu en état de « mort cérébrale ». Le marché européen de la défense s’ouvrirait alors encore plus aux USA, déjà principal fournisseur de l'armée européenne comme le démontre le choix d'équipement en coûteux chasseurs F 35 par la plupart des pays européens tel l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas – au détriment du Rafale de Dassault, de l’Eurofighter d’Airbus ou du Gripen de Saab.

On note à cet égard qu'un rapprochement entre la Russie et l’Europe ferait de cet immense continent, un bloc encore plus puissant que celui de la Chine. Cela fait écho d’une menace majeure qui pourrait mettre à mal l’impérialisme américain. Ainsi, la tactique serait de monter le premier contre le second afin d’affaiblir les deux. Une Russie isolée et une Europe sous la protection de l’OTAN est le credo de la politique étrangère européenne des États-Unis. L’OTAN s’est notamment considérablement étendue vers l’Est en s’appuyant sur l’élargissement de l’Union Européenne, cette dernière ayant favorisé le ralliement des nouveaux entrants à l'alliance militaire (sans oublier la France que de Gaulle avait fait quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966 et qui l’a réintégré seulement en 2007). Cela est d’autant plus évident dans les pays Baltes et d’Europe de l’Est, où les Américains promeuvent l’indépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe pour limiter l’influence de Moscou et y sécuriser des débouchés pour leurs exportations de GNL.

Par le même biais, les Occidentaux poussent ainsi la Russie réticente dans les bras de la Chine, qui ont d’ores et déjà scellé une alliance, la veille des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Une escalade en Ukraine déclencherait potentiellement un soutien aux Russes de la part de Xi Jinping, sûrement désireux de ne pas voir la frontière occidentale des ces derniers tomber sous influence américaine, ce qui demanderait un effort militaire et économique chinois conséquent. Un conflit servirait donc des intérêts domestiques américains (surtout sur le plan économique) mais permettrait également d’affaiblir les concurrents de Washington. Quelques sources paraissent donner un aperçu de cette autre réalité. Un article du quotidien Il Manifesto (traduit ici) ainsi qu’une enquête d’un article du Time témoignent de la présence d’Erik Prince en Ukraine. Fondateur de Blackwater – une société militaire privée maintenant renommée Academy qui a fourni des mercenaires à la CIA, au Pentagone et au Département d’État américain – il serait en train de monter une armée privée en Ukraine au travers de sa compagnie Lancaster 6. À cela s'ajoutent les investissements militaires des USA en Ukraine à hauteur de 2,5 milliards de dollars depuis 2014, qui dénotent d’intérêts économiques américains clairs.

Cependant, l'analyse médiatique dominante semble, pour l’heure, faire systématiquement passer les préparatifs russes en tentatives d’invasion de l’Ukraine, alors que des menaces connues, comme le régiment Azov (milice indépendantiste ukrainienne soutenue par les occidentaux en 2014 et composée de néo-nazis), fournissent aux Russes la justification d’un soutien militaire aux populations russophones du Donbass. À cet égard, la recherche de partenaires stratégiques dans la région pousse le bloc anglo-saxon à favoriser parfois la montée en puissance de mouvements extrémistes, contribuant ainsi à l'escalade. De plus, les USA provoquent et poussent le narratif d’une Russie qui cherche à déclencher la guerre. Confronté à ses allégations selon lesquelles la Russie utiliserait un faux prétexte pour envahir l’Ukraine, le porte-parole du Département d’État américain ne donne pourtant pas d’explications claires. Le président ukrainien lui-même qualifie ces prédictions d’"apocalyptiques" et appelle à une désescalade. Le site Bloomberg a également mis en ligne par erreur pendant 30 minutes un article titré “La Russie envahit l’Ukraine”.
 

En changeant d’angle, on s'aperçoit donc qu’un conflit ukrainien semble inéluctable. Sur fond de tensions internationales entre la Chine et les États-Unis, dont la puissance économique ralentit, la solution d’une guerre par proxy en Europe se profile à l’horizon. Ce ne serait pas la première fois que les États-Unis provoquent un conflit loin de leur territoire national pour servir leurs intérêts. L’escalade médiatique actuelle est symptomatique de l’imminence d’un élément déclencheur. Diviser et affaiblir ses concurrents, aussi bien russe et chinois qu’européen s’inscrit dans la logique de maintenir l’impérialisme américain.

 

L’Ukraine deviendra-t-elle un nouvel Irak ? La globalisation ne risque-t-elle pas de faire basculer ce conflit régional dans un embrasement mondial ?

 

Ambre Barria
 

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