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L’Afrique subsaharienne en sursis : Pourquoi l’Inde restreint ses exportations de riz ?

Après le blé, le riz fait peser le risque d’une catastrophe alimentaire sans équivoque. Effet secondaire de la guerre en Ukraine, jeux politiques et conséquences climatiques : tout a poussé le gouvernement indien à soulager les prix sur le marché intérieur. 

Le riz est avant tout perçu comme un aliment de base au même titre que le blé. Il est un marqueur culturel fort. Au-delà des aspects socio-culturels, le riz joue un rôle géopolitique de premier plan. Quelques pays seulement produisent du riz, mais de nombreuses populations, notamment africaines, dépendent des importations de riz pour nourrir leurs populations. L’Asie concentre plus de 90 % de la production mondiale de riz. La Chine est le premier producteur mondial avec 195 millions de tonnes de paddy annuelles (riz non décortiqué), soit 24 %. L’Inde se classe en deuxième position avec 18,5 % de la production mondiale. Cela correspond à 145 Mt de paddy, soit 121 Mt de riz décortiqué. 

Ces dernières années, l’Inde a pris la place de premier exportateur net de riz (40 % des exportations mondiales). La consommation annuelle indienne étant de l’ordre de 105 Mt de riz, l’ancienne colonie britannique peut exporter un surplus de production de 22 Mt. Le volume total des exportations de riz s’élève à 45 Mt annuelle en moyenne. 18 Mt sont destinées à l’Afrique, dont 16 Mt à l’Afrique subsaharienne. En Afrique noire, le riz constitue le principal apport calorique. L’Afrique importe à peu près autant de riz qu’elle n’en produit. Les pays d’Afrique subsaharienne sont dans une position marquée de dépendance pour leur importation en riz. Certains pays, comme le Bénin, le Togo, la Guinée, le Burkina Faso importent à plus de 80 % du riz en provenance d’Inde. 

Un contexte d’instabilité mondial

La crise de la Covid avait entraîné une forte augmentation des prix des céréales (riz, blé …). La guerre en Ukraine a brisé les plafonds records qui avaient été atteints pendant l’épidémie. Au plus fort, le blé avait connu une augmentation de 130 %, le riz de 60 %. Cette dynamique spéculative avait été entretenue par l’incertitude quant aux approvisionnements de blé en provenance d’Ukraine et de Russie. Mécaniquement, le prix du riz avait augmenté comme s’il eût été un produit de substitution au blé. Cette instabilité géopolitique mondiale s’est traduite par une très forte augmentation des prix des denrées alimentaires en Afrique. À cette dynamique, s’est superposée l’inflation, car le franc CFA est indexé sur l’euro, provoquant une augmentation des prix de l’ordre de 9,4 % en Afrique subsaharienne, ralentissant fortement la croissance économique de la région.

L’Inde a aussi été très affectée par l’évolution des prix. L’instabilité mondiale l’a poussé à vouloir réguler les prix sur le marché intérieur. Pour parvenir à ses fins, l’Inde a fait le choix d’interdire les exportations de riz de non-basmati. Ainsi, en stoppant les exportations de riz non-basmati, l’Inde réintroduit 17,5 Mt de riz sur son marché intérieur. En réduisant ses exportations de 22 Mt à 4,5 Mt de riz, l’Inde réduit les flux mondiaux de riz de près de 40 %. L’annonce de l’Inde a entraîné une augmentation quasi automatique de 15 % à 25 % des prix du riz. Les pays très dépendants ont été particulièrement affectés par cette nouvelle.

Les motivations de l’Inde pour interdire les exportations

Cette décision, prise le 20 juillet 2023, fait suite à la suspension de l’accord céréalier en mer Noire par la Russie. L’Inde craint que la décision de la Russie ne fasse augmenter les prix du blé une nouvelle fois. Par un jeu de vases communicants, le prix du riz pourrait repartir à la hausse alors qu’il est déjà extrêmement élevé. D’ailleurs, l’Inde avait déjà réduit les exportations de blé en février 2022, avant de réautoriser les exportations avec des quotas corrélés à la production. Cette décision unilatérale avait soutenu la hausse des prix et avait fait peser un risque supplémentaire de famine dans les pays très dépendant des importations de blé indien.

Le pari du Gouvernement de Narendra Modi est de faire jouer la loi de l’offre et de la demande. En limitant les exportations, l’offre sur le marché intérieur devient supérieure à la demande. Si le riz est un produit suffisamment inélastique, les prix chuteront mécaniquement. Cette stratégie avait déjà été adoptée par l’Inde à la suite de la crise de Subprimes et en 2010-2011. Cette politique avait fonctionné, car elle avait calmé la hausse des prix sur le marché intérieur. Toutefois, l’Inde exportait nettement moins de riz. Les conséquences sur la scène internationale ne peuvent donc être les mêmes que celles d’aujourd’hui.

Par ailleurs, un phénomène climatique vient se superposer aux conséquences géo-économiques du prix du riz. Cette année, l’Asie du Sud-Est est très fortement frappée par le phénomène El-Nino. Il s’agit un événement climatique périodique caractérisé par le réchauffement anormal des eaux de surface de l’océan Pacifique tropical, ayant des répercussions mondiales sur les conditions météorologiques, les précipitations, et les systèmes océaniques et atmosphériques. Par conséquent, la variation des conditions climatiques annuelle pourrait affecter la production de riz. Une production en baisse sur un marché très tendu pourrait faire exploser les prix. L’inde a donc voulu se prémunir des conséquences que pourrait avoir cette externalité. 

Enfin, cette décision a été prise dans un contexte électoral. Les prochaines élections nationales indiennes auront lieu début 2024. Narendra Modi brigue un troisième mandat en tant que Premier ministre de l’Inde. Pour s’assurer du vote populaire à son avantage, il a tout intérêt à stabiliser les prix du riz au niveau le plus faible que possible. C’est une forme de clientélisme.  

Les conséquences géostratégiques d’une telle décision

Les conséquences pour les pays dépendants du riz indien pour nourrir leur population risquent d’être significatives. Dans la mesure où la décision a été annoncée il y a deux mois par le gouvernement indien, il est encore trop prématuré pour en tirer des conséquences. Néanmoins, à la suite de l’annonce du gouvernement indien, les prix sur les marchés internationaux ont bondi de 15 à 25 %. Le Togo, le Bénin et certains pays d’Asie du Sud sont très inquiets pour la suite. En effet, ces pays importaient majoritairement du riz basmati indien. Il va donc falloir qu’ils réorientent toutes leurs chaines d’approvisionnement pour faire face à la demande de la population. Les stocks de riz dans ces pays laissent un peu de marge de manœuvre, mais ils ne permettront pas à ces pays de passer la crise indemnes, d’autant qu’on ne sait pas combien de temps elle pourrait durer.

Le Moyen-Orient est moins concerné par ces mesures, car c’est la seule région du monde qui importait en très grande quantité du riz basmati d’inde (le riz basmati n’étant pas concerné par les restrictions à l’export). Ce choix politique de l’Inde s’inscrit peut-être dans une logique de maintenir de bonnes relations avec le Moyen-Orient. En effet, les Indiens sont extrêmement dépendants des importations d’énergie fossile pour maintenir leur croissance et assurer leur développement. La présence de riches diasporas indiennes dans les pays du Moyen-Orient pourrait aussi être un facteur explicatif de ce choix politique. 

Les pays d’Afrique sub-saharienne pourraient faire le choix de se tourner vers d’autres pays comme la Thaïlande, le Vietnam ou encore le Pakistan pour s’approvisionner en riz. Mais là encore, les choses ne sont pas si certaines que cela. Ces trois pays représentent 30 % des exportations mondiales de riz. De la même façon, si les prix s’envolent, ils pourraient être tentés de suivre l’exemple de l’inde et d’interdire les exportations de riz. Dans ce cas, la situation serait dramatique pour l’Afrique subsaharienne. 

Ainsi, l’Afrique subsaharienne fait face à une situation extrêmement délicate pour sa population. Elle doit rapidement trouver des solutions. Le Bénin a annoncé sa volonté d’augmenter drastiquement sa production de riz. D’autres pays devraient suivre le pas. Sinon, les pays d’Afrique subsaharienne peuvent toujours essayer de diversifier les approvisionnements en achetant davantage de blé, de maïs, d’orge ou de sorgho. Mais cela induirait un changement dans les comportements alimentaires. Dans tous les cas, la population subsaharienne va payer le prix fort de la politique alimentaire internationale. Cette situation risque d’augmenter les tensions dans la région et l’instabilité politique. La croissance s’en retrouvera affectée, et des milliers de personnes pourraient retomber dans la pauvreté. Les mois à venir montreront si l’Afrique subsaharienne a su faire preuve de résilience.

Etienne Lombardot

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