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L’Italie abandonne la Chine et ses nouvelles Routes de la Soie

En 2019, l’Italie était le seul pays occidental majeur à signer le mémorandum des Nouvelles Routes de la Soie. Aujourd’hui, le gouvernement de Rome semble prêt à se désengager subtilement de cet accord, devenant ainsi le premier pays à s’éloigner de l’initiative chinoise. Retour sur un dossier sensible.

Un accord structurant les relations entre les deux pays

Le relation particulière qui unit l’Italie et la Chine ne date pas de l’accord de 2019 mais remonte à bien plus longtemps. C’est l’une des raisons qui expliquent que le pouvoir italien ait envisagé de faire partie des Nouvelles Routes de la Soie dès ses balbutiements en 2015. 

Ce programme faramineux porté par la Chine vise à la connecter à l’Asie, à l’Europe, mais aussi à l’Afrique, à travers d’importants investissements dans des infrastructures et organisations stratégiques. Si les aspects commerciaux et financiers – dont l’accès aux marchés européens – sont au cœur de la stratégie de Pékin, celle-ci couvre de nombreux domaines allant de l’approfondissement des relations diplomatiques à l’accroissement des liens culturels et touristiques entre les deux pays. En 2021, la Chine se positionne comme le troisième partenaire de l’Italie en ce qui concerne les importations, et le pays de la Botte est celui qui accueille le plus de touristes chinois parmi les États européens. L’accord de 2019 a été l’occasion d’asseoir et d’approfondir les relations sino-italiennes, au grand dam des pays occidentaux. 

Une stratégie occidentale de « réduction des risques »

La probable révocation du mémorandum à l’échéance de 2024 marque, dès lors, un tournant majeur et un recentrage des échanges italiens avec ses partenaires historiques, européens et américains, mais également vers le Maghreb où l’Italie entend développer d’importantes infrastructures gazières. Dans un contexte de risque de pénuries de gaz en Europe, le projet GALSI (Gazoduc Algérie – Sardaigne – Italie) – suspendu depuis 2014, pourrait être de nouveau envisagé par les différentes parties prenantes.

Le recul italien s’explique par l’amorce d’une nouvelle vision des relations économiques et diplomatiques entre l’Union européenne et la Chine, sous l’influence des États-Unis, en employant le terme de « de-risking » (réduction des risques). Issue du milieu financier, cette expression correspond à l’arrêt d’une relation commerciale entre deux acteurs afin de limiter les risques de dépendance, en l’occurrence, ici, celle des économies occidentales à l’Empire du Milieu. Cette dépendance s’est particulièrement révélée lors de la pandémie de Covid-19 en matière d’approvisionnement en médicaments vitaux. Face à ce réveil occidental, les autorités chinoises ont récemment fait part de leurs préoccupations concernant les défis sans précédent posés par le « de-risking », rappelant la nécessité de maintenir les économies interconnectées et la chaîne d’approvisionnement mondiale.

« Golden Power » et surveillance des investissements chinois

Dans ce contexte général de défiance envers les investissements chinois en Europe, les États membres se dotent d’outils juridiques contraignants, visant à sécuriser les technologies, industries et savoirs-faire stratégiques de leurs pays. Un exemple de ces outils est à l’œuvre dans le cas de Pirelli, le géant italien du pneumatique, qui équipe notamment toutes les écuries de Formule 1. 

En 2015, le groupe chinois ChemChina prend une participation dans l’actionnariat de ce fleuron de l’industrie automobile italienne. Depuis, l’influence grandissante de cet encombrant actionnaire a suscité l’inquiétude de Marco Trochetti, PDG historique de Pirelli, à mesure que ces nouveaux investisseurs prenaient une place prépondérante dans les instances décisionnaires de l’entreprise. Mais ces préoccupations remontent aujourd’hui jusqu’au gouvernement de Rome qui songe à dégainer son « golden power », mécanisme semblable à celui du contrôle des investissements étrangers en France. Ce mécanisme permet de prévenir une prise de contrôle total au Conseil d’Administration dont le nouveau pacte d’actionnaire, fin juillet 2023, a permis d’asseoir la domination du groupe contrôlé par Pékin.

L’enjeu réside dans la nécessité de maintenir sous contrôle italien la prise des décisions stratégiques et, en particulier, la pérennité de l’ancrage local de la firme dont le siège social est à Milan.

Ce « golden power » vise, initialement, seulement les entreprises (publiques ou privées) qui opèrent dans des secteurs d’importance stratégique : défense, sécurité nationale, transports, énergie, communications… Il est ainsi apprécié de manière très extensive par le pouvoir italien pour contrer les prédations étrangères – notamment celle chinoise – via les investissements directs étrangers (IDE).

Par ailleurs, certains projets d’envergures portés par des investisseurs chinois ont éveillé des doutes. La justice italienne a avorté le projet de méga-usine du constructeur chinois Silk-FAW en Emilie Romagne, témoignant des ambiguïtés qui peuvent exister dans l’action de certains investisseurs chinois.

La posture délicate de l’Italie

Tout en instaurant des distances avec l’accord sino-italien de 2019, l’Italie chercherait à maintenir les liens commerciaux avec la Chine, notamment par la voie diplomatique. Le cadre de l’accord a permis des investissements massifs (plus de 2,8 milliards de dollars), par le biais d’entreprises d’État chinoises, en particulier dans des hubs indispensables au commerce italien tels que les ports de Gênes et Trieste. Pékin a aussi consenti à des investissements dans d’autres entreprises structurantes, comme Fiat Chrysler

Aujourd’hui, la Chine occupe toujours le troisième rang en ce qui concerne les importations sur le territoire italien. En outre, les exportations de l’Italie vers la Chine en 2022 sont estimées à 16,5 milliards d’euros, ce qui en fait le premier partenaire asiatique de Rome. Ces chiffres reflètent le rapport de dépendance qui s’est instauré entre les deux partenaires et expliquent la difficulté à remettre en cause les accords passés. 

La remise à niveau de grandes infrastructures, notamment dans le domaine des transports ferroviaires et maritimes, a été l’un des thèmes centraux de la campagne menée par le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni en 2022. Il est fort probable que l’accord global initial avec la Chine soit ainsi supplanté par des accords commerciaux bilatéraux, plus ponctuels, qui permettraient à la coalition de droite au pouvoir de tenir ses engagements.

L’après Giorgia Meloni pose également la question de la stratégie future et du positionnement géopolitique de l’Italie. En dépit des dissensions qui traversent la coalition actuelle et de l’instabilité chronique des gouvernements à Rome, il faut noter que l’atlantisme traditionnel de l’Italie devrait l’éloigner toujours un peu plus de l’influence chinoise. 

Dettes et effondrement financier des pays bénéficiaires 

Le coup d’arrêt marqué par le revirement italien n’est pas la seule embûche qui jalonne les Nouvelles Routes de la Soie. Le durcissement des stratégies commerciales occidentales se conjugue, en effet, à des difficultés de financement des infrastructures dans les pays concernés. Sur les quelque 800 milliards de dollars de financement consentis par Pékin depuis 2013, le montant des prêts renégociés chaque année ne cesse de croître et certains gouvernements bénéficiaires sont au bord de l’insolvabilité. Des projets en Afrique subsaharienne sont ainsi compromis par le défaut de paiement de pays, comme la Tanzanie ou la Zambie.

La diplomatie du piège de la dette permet à la Chine d’affermir progressivement son implantation dans les pays les plus impliqués dans les nouvelles Routes de la Doie, notamment en Asie centrale et en Afrique. Profitant de la situation délicate des économies de ces pays, elle a récupéré, çà et là, des concessions de plusieurs dizaines d’années sur les infrastructures qu’elle a elle-même contribué à financer. Afin d’éviter la dérive d’endettement, le FMI est toutefois intervenu pour réduire le volume des prêts consentis par les banques d’État chinoises (75 milliards de dollars en 2016 contre seulement 4 milliards en 2019), sans pour autant constituer une véritable solution au problème se profilant. 

Julie Schreiber


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