Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Regain du nucléaire civil : hold up chinois sur la demande mondiale d’uranium

L’engouement mondial pour l’énergie nucléaire propulse le prix de l’uranium, dont l’offre est victime des tensions géopolitiques. Une flambée des prix qui risque d’alourdir tout particulièrement la facture de la transition énergétique de nombreux pays en développement ayant misé sur le nucléaire.

En raison d’une forte demande sur les marchés, le prix de l’uranium a franchi le 25 novembre un premier palier non atteint depuis 15 ans de  80,75 dollars la livre (453 grammes). Le 20 janvier 2024, c’est un pic historique de 106 dollars qui est franchi. 

L’uranium issu de mines représente 90% de l’uranium à destination du nucléaire civil dans le monde. Le reste des approvisionnements provient de sources secondaires, principalement issues d’uranium militaire recyclé. 

 

Après Fukushima : une chute du cours de l’uranium 

En 2007, dans un contexte de renouveau nucléaire dans le monde, corrélé à l’épuisement des stocks accumulés jusqu’aux années 1980, entraînent des craintes d’une éventuelle pénurie. Le cours de l’uranium atteint un prix historique record, à 140 dollars la livre (contre 40 dollars début 2006). Il se stabilise ensuite autour des 50 dollars. 

En 2011, il s’effondre à 25 dollars après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Cet accident nucléaire majeur représente un tournant dans les politiques énergétiques menées par les pays. Immédiatement après l’accident, l’Allemagne décide d’accélérer son processus de sortie du nucléaire, la Belgique et la Suisse engagent également un processus similaire. Cette tendance est suivie par de nombreux États à l’échelle mondiale, l’industrie nucléaire perd ainsi de son intérêt. Ce phénomène est accentué par la  phase de massification des énergies renouvelables, et fait que le gaz demeure une énergie disponible et à faible coût.  

 

Regain du nucléaire en Europe et dans le monde 

Tout d’abord, en Europe, la guerre russo-ukrainienne déclenchée en 2014 (et son tournant du février 2022 lors de l’invasion d’une partie territoire par la Russie), ont entraîné une augmentation des prix de l’énergie, notamment du gaz. En parallèle, l’objectif de neutralité carbone 2050 imposé par l’Union européenne à ses membres, condamne l’utilisation des énergies fossiles dans le mix énergétique. L’énergie disponible dans l’Union européenne est encore dominée par les énergies fossiles à hauteur de 70 % (pétrole (34 %), gaz (23 %), charbon (11 %)). Ces deux facteurs associés participent ainsi à un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire sur le Vieux continent, qui s’intègre désormais dans la feuille de route de nombreux pays.

À l’échelle mondiale, l’énergie nucléaire séduit de nouveau et devient incontournable. Lors de la COP 28 (du 30 novembre au 12 décembre 2023), 24 pays ainsi que 120 entreprises se sont engagés dans un objectif de triplement de l’énergie nucléaire d’ici 2050. Parmi les pays signataires, on compte des pays qui ne sont pas encore nucléarisés tels que le Maroc ou le Ghana. Dans ce contexte, la World Nuclear Association prévoit une hausse de la demande d’uranium de 28 % d’ici 2030 (65 000 à 83 000 tonnes), ainsi qu’un possible doublement de celle-ci entre 2030 et 2040 (140 000 tonnes). 

À ce jour, de nombreux projets nucléaires fleurissent dans le monde, en particulier dans des pays en développement. C’est le cas de l’Égypte qui devrait inaugurer son premier réacteur en 2026. Plusieurs pays africains étudient également des projets de centrales nucléaires, en plus de l’Inde ou la Turquie. Si l’uranium ne constitue que 5 % du prix final de l’électricité nucléaire, ce minerai aujourd’hui épargné par les mesures coercitives pourrait voir sa vulnérabilité politique augmenter drastiquement.

 

Chine, offensive internationale sur le marché de l’uranium

La Chine, discrète, se positionne désormais comme un acteur incontournable de la demande mondiale d’uranium. Elle est aujourd’hui la troisième puissance en termes de demande derrière les États-Unis et la France, et représente 12% de la demande mondiale d’uranium. Ses besoins sont estimés à plus de 11 000 tonnes en 2023, et devraient atteindre les 40 000 tonnes d’ici 2040

La part du nucléaire en Chine s’élève aujourd’hui à 3%, l’objectif étant d’atteindre 10% en 2030. D’ici une décennie, la Chine devrait ainsi gérer le plus grand parc nucléaire du monde (devant les États-Unis et la France). Lors de la COP 28 en décembre dernier, le pays s’est engagé à atteindre la neutralité carbone en 2060, et souhaite construire « six à dix réacteurs par an ». En parallèle, Pékin poursuit une politique d’exploration, d’exploitation minière et d’enrichissement afin de devenir, à terme,  autosuffisant dans la plupart des aspects du cycle du combustible. 

À l’heure actuelle, la Chine posséderait plus de 2,8 millions de tonnes d’uranium dans son sol. Sa politique consiste donc à tendre vers un tiers de son approvisionnement grâce aux ressources locales. Pour le reste, l’Empire du Milieu poursuit son offensive dans les pays de sa sphère d’influence, par le biais de sa politique des Nouvelles Routes de la Soie. L’Afrique est notamment ciblée, afin de satisfaire ses besoins croissants. Deux pays sont particulièrement intéressants : le Niger (6% des réserves mondiales d’uranium), où, par l’intermédiaire de la China National Nuclear Corporation (CNNC), la Chine s’est positionnée dès 2007. Bien que la production d’uranium ait commencé en 2012, elle se solde par un échec et s’arrête en 2015. Elle profite de la remise en question de la présence française et à l’arrêt des activités d’Orano dans le pays pour se faire une place sur ce marché. A ce titre, la Chine y a investi 480 millions de dollars pour l’exploration et l’exploitation de l’uranium. Le deuxième pays intéressant est la Namibie (9%), la Chine a commencé à investir dès 2012. Le secteur de l’uranium est désormais principalement détenu et contrôlé par des entreprises chinoises. En 2020, 80% des exportations d’uranium namibien étaient à destination chinoise. 

Au-delà de l’Afrique et des fournisseurs traditionnels de la Chine tels que le Kazakhstan, où sont effectués de nombreux investissements, Pékin cherche de nouveaux partenariats dans des pays à la fois demandeurs d’une exploration de leurs sols afin d’en extraire l’uranium, mais aussi d’énergie nucléaire. Ainsi, l’Arabie Saoudite a signé en 2017 un accord avec la China National Nuclear Corporation afin de développer des activités d’exploration d’uranium. L’Arabie Saoudite étudie désormais la proposition de Pékin en vue de la construction d’une centrale nucléaire.

 

 Audrey Colin

Pour aller plus loin :