Chute du régime syrien : signature de la défaite de la politique étrangère russe au Moyen-Orient ?

Depuis les années 2000, Vladimir Poutine aspire à faire de la Syrie un allié de choix dans le cadre de ses ambitions de conquête internationale. Si la relation était favorable au Kremlin sous le règne de Bachar el-Assad, la chute du dictateur constitue un tournant important pour Moscou, qui pourrait se retrouver en difficulté pour s’attirer les faveurs du nouveau pouvoir en place.

La relation russo-syrienne : une alliance de longue haleine aux bénéfices réciproques

Les liens unissant la Syrie à la Russie telle qu’elle existe aujourd’hui connaissent leurs premières ébauches en 1946, lorsque l’Union soviétique conclut un traité secret avec ceux qui deviendront les dirigeants syriens à la suite de la déclaration d’indépendance de l’État. L’alliance perdure et bénéficie aux deux puissances sur le plan militaire, la Syrie pouvant compter sur l’armement de la puissance communiste qui, quant à elle, établit une base militaire au sein du port de Tartous dans l’ambition de projeter sa puissance du bassin Méditerranéen à l’Afrique du Nord. Alors que les liens se distendent durant les années 1980, dès le début des années 2000, Vladimir Poutine entend renouer avec le régime syrien pour assouvir ses ambitions de conquête internationale. 

La coalition connaît son apogée en 2015, lorsque le maître du Kremlin appuie la répression menée par Bachar el-Assad durant la guerre civile qui déchire la Syrie. Cet engagement matérialise un tournant important de la politique étrangère russe puisqu’il constitue la première intervention militaire étrangère portée par Moscou depuis la chute du bloc de l’Est et la débâcle soviétique en Afghanistan. Depuis lors, la Russie n’a eu de cesse d’apporter son soutien militaire au régime baasiste, concourant ainsi au maintien au pouvoir de Bachar el-Assad. Cette intervention a d’ailleurs fait la fierté des partisans du régime de Vladimir Poutine, qui célébraient en 2020 les cinq ans d’une politique présentée comme une réussite pour la Russie.

Le contexte géopolitique actuel : le sceau fatal du règne de Bachar el-Assad sur la Syrie

Le contexte géopolitique actuel a ébranlé le soutien que portait jusqu’alors le Kremlin à Bachar el-Assad. Depuis l’avènement de ce qu’il a qualifié d’opération militaire spéciale, Vladimir Poutine tend à concentrer l’ensemble des capacités militaires russes vers l’Ukraine afin de reprendre la main sur l’ancien État soviétique. Le conflit, qui a marqué le retour de la guerre de haute intensité, a contraint le dirigeant russe à opérer des choix stratégiques seyant les ressources militaires moscovites. L’aide accordée au régime de Damas a ainsi faibli au gré des besoins recensés sur le front russo-ukrainien. 

Ajouté à cela, l’un des autres alliés du dirigeant syrien, l’Iran, a également été happé par d’autres évènements de sorte à délaisser son assistance au régime d’el-Assad. Téhéran s’est en effet recentré sur la préoccupation de sa propre protection face aux vives tensions inhérentes au conflit israélo-palestinien. Conscientes de ce contexte peu favorable au dirigeant syrien, les factions d’opposition au régime baasiste se sont rassemblées et sont parvenues à renverser le régime en l’espace d’une douzaine de jours, jusqu’à ce que la chute du régime ne soit rendue officielle, le 8 décembre 2024. Le groupe de rebelles à la tête de cette nouvelle coalition, Hayat Tahrir al-Cham (HTC), a ainsi mis un terme aux cinquante-quatre années de règne de la famille el-Assad, débutées en 1970 avec Hafez el-Assad avant que son fils ne reprenne les rênes en 2000.

La Russie face aux enjeux de préservation de ses intérêts en Syrie

L’essentiel des atouts stratégiques que représente la Syrie pour Moscou réside dans les deux bases militaires que le pouvoir russe a acquises. La première est la base navale de Tartous, construite en 1971 à la suite d’un accord entre l’URSS et le dirigeant syrien Hafaz el-Assad. Sa valeur réside dans le fait qu’il s’agit de la seule base navale détenue par le dirigeant russe hors de son territoire. Celle-ci est d’autant plus importante pour le ravitaillement et l’entretien des navires de la flotte russe que ceux-ci ne peuvent pas accoster au sein des bases situées en mer Noire en raison de la fermeture du détroit du Bosphore. La base de Tartous est donc essentielle à Moscou pour assurer une présence militaire russe en Méditerranée mais aussi garantir des infrastructures de ravitaillement et d’entretien fiables pour ses navires. Moscou a aussi investi la base aérienne de Hmeimim dès 2015 en vue de projeter sa puissance au cœur de la Syrie et, plus largement, vers l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique

Les enjeux actuels sont ainsi élevés pour l’ex-puissance soviétique qui pourrait perdre le bénéfice des accords conclus en 2017 avec l’ex dirigeant syrien et prévoyant le droit d’usage des deux bases militaires pour une durée de 49 ans. En perdant l’autorisation d’exploitation de ces bases, la Russie verrait sa capacité d’action restreinte et, surtout, serait privée d’un accès privilégié à la Méditerranée et au continent Africain, ce qui n’était plus le cas depuis des siècles. Les enjeux stratégiques de ce revirement revêtent également une dimension réputationnelle. La chute du régime syrien renvoie un message négatif aux alliés acquis et potentiels du Kremlin puisqu’elle présente la Russie comme un partenaire dépourvu de fiabilité, incapable de répondre de ses engagements en termes d’assistance. En Afrique notamment, la directrice du programme Afrique de l’Institut Egmont, Nina Wilen, explique  : « Les régimes africains qui ont misé sur la protection de Moscou ne vont pas être rassurés par ce qu’ils voient en Syrie». L’ampleur de cet enjeu dépasse ainsi les frontières de la Syrie puisqu’il pourrait mettre en péril les avancées géopolitiques effectuées sur le continent africain face aux puissances occidentales ces dernières années.

Les premiers pas d’un gouvernement syrien sur la réserve face au Kremlin 

Consciente des enjeux entourant cette transition de pouvoir en Syrie, la Russie entend déployer ses ressources diplomatiques dans le dessein d’établir un lien avec le nouveau régime, à la tête duquel se trouve l’ancien djihadiste Ahmad al-Chareh. Le choix d’établir une relation russo-syrienne revêt également des intérêts majeurs pour Damas. D’une part, en ruine, la Syrie pourrait tirer de précieux bénéfices d’une aide, économique ou militaire notamment, du Kremlin. Toutefois, Ahmad al-Chareh ambitionne de faire ses preuves auprès de la sphère occidentale comme atteste sa rencontre récente avec le président français  ainsi que ses prises de parole et l’esthétique occidental qu’il arbore. 

En outre, une partie de la population syrienne tend à se montrer davantage hostile que par le passé à l’encontre de la Russie, voyant en la présence russe une volonté de prendre le contrôle des ressources naturelles et constatant l’absence d’amélioration de la condition du pays en dépit de dizaines d’années d’une alliance pourtant présentée comme pérenne et fructueuse du côté de Moscou. Désireux d’obtenir le soutien de la communauté internationale comme de la population qu’il gouverne, Ahmad al-Chareh pourrait donc adopter une attitude timorée face aux discours de séduction russe. C’est en tout cas ce que laissent à penser les premiers échanges bilatéraux, les accords concernant les bases russes n’ayant, pour l’heure, pas été reconduits suite à l’échec des négociations entreprises. 

Sarah Goyette

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