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Guerre informationnelle autour du Conseil de défense

Le Conseil de défense fait l’objet actuellement d’une véritable guerre de l’information en raison du brouillard qui entoure cette instance de décision. Ses détracteurs demandent sa suppression mais celle-ci est encadrée par des textes de loi, le fonctionnement des institutions n’est pas remis en cause et les membres ne sont pas exemptés de rendre des comptes. Au-delà des postures politiques, la critique du Conseil de défense sert de prétexte à une dénonciation des institutions de la Cinquième République.

Une instance au coeur des institutions

S’inspirant du Committee of Imperial Defence créé en 1902 au Royaume-Uni, de nombreux hommes politiques et militaires français de toutes tendances regrettent l’absence d’organe faisant la synthèse politico-stratégique en matière de défense. Suite à la crise de Fachoda en 1898, le débat s’intensifie aboutissant à un Conseil supérieur de la défense nationale, institué en 1906 après la crise marocaine de 1905-1906. Il est composé du président de la République, du président du Conseil, des ministres des Affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine, des Finances, des Colonies et des chefs d’état-major

La Constitution de la Cinquième République de 1958 reprend cette instance héritée de la Troisième République. Toutefois, sa filiation remonte plus aux institutions de la France Libre. En effet, par décret du 16 décembre 1943, le général De Gaulle institue un Comité de la libération nationale. La collégialité de cet organe ne satisfait pas l’homme du 18 juin. Le texte de la Quatrième République de 1946 prévoit un Comité de défense nationale présidé par le président de la République. Durant la période s’étalant de 1943 à 1958, il a été convoqué une dizaine de fois par an avec pour ordre de jour les questions internationales. 

L’article 15 de notre Constitution, évoque explicitement le Conseil de défense  : “Le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale”. Par un décret de 1964, le “Comité” devient “Conseil”.  Le Conseil de défense a pour domaine de compétence la défense nationale et plus particulièrement la définition des orientations de la politique militaire sous tous ses aspects c’est-à-dire de l’allocation des crédits budgétaires aux finalités opérationnelles. Son fonctionnement est régi par l’ordonnance du 7 janvier 1959 mais elle a été réformée en 2004 et 2009. La réforme de 2009 fixe son cadre actuel ainsi que sa dénomination. Depuis le décret du 24 décembre 2009, il est nommé Conseil de défense et de sécurité nationale. Ce même décret élargit ses champs de compétence, ce qui a permis au président Emmanuel Macron d’instituer un conseil sanitaire pour juguler l’épidémie du coronavirus. Désormais, “Le conseil de défense et de sécurité nationale définit les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Il en fixe les priorités”. Il n’est plus un organe spécialisé en matière de défense mais devient un organe de gestion de crise général puisque le concept de “sécurité nationale”peut être interprété de façon très large.  

Le fonctionnement du Conseil de défense et de sécurité nationale

Rattaché directement à la présidence de la République et assisté par le Secrétariat général de défense et de sécurité nationale dépendant du Premier ministre, c’est un organe collégial qui se réunit de façon plénière, restreinte ou spécialisée. Quand il se réunit de façon plénière, les membres de droit de cette instance sont : le président de la République, le Premier ministre, les ministres des Armées, de l’Intérieur, de l’Economie, du Budget et des Affaires étrangères. 

En formation restreinte, l’ordre du jour détermine les personnes convoquées. Enfin, la formation spécialisée a pour mission d’aborder un sujet précis. Actuellement, ce format est consacré au conseil national du renseignement, des armements nucléaires, de défense écologique et de défense sanitaire. Toute personnalité compétente est admise à participer aux réunions en fonction de l’actualité. Ainsi, en raison de la crise sanitaire, le ministre de la Santé et le directeur général de la Santé participent aux réunions hebdomadaires du conseil de défense sanitaire. Cet organe présente quelques autres caractéristiques. 

Les discussions sont classées secret-défense pour une durée de cinquante ans. Avant d’assister à une réunion, les membres doivent remettre leur téléphone portable. Ils ne peuvent pas amener leur bloc-notes. Un bloc-note leur est remis et les pages sont barrées par un “secret-défense” en lettres capitales rouges. 

Un organe au centre des critiques

Jusqu’aux années 2010, le Conseil de défense se réunissait rarement, deux à trois fois par an. Tout change avec la multiplication des attentats à partir de 2015 et la crise sanitaire. Ainsi, dix Conseils de défense ont été réunis en 2015, trente-deux en 2016, quarante-deux en 2017 et l’année 2020 a vu ses convocations multipliées : soixante

Toutefois, la multiplication de ces réunions a débouché sur une guerre informationnelle contre cette instance qui était avant la crise sanitaire largement méconnue des Français. Toutes les tendances représentées au Parlement s’attaquent frontalement à cet organisme de gestion de crise. Ainsi, le président du groupe de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon dans un tweet a attaqué frontalement le Conseil de défense en ces termes : “La France est aujourd’hui dirigée par un comité secret : le Conseil de défense. Il ne rend de compte à personne et n’informe d’aucune décision prise. Le gouvernement, en exécutant les décisions du Conseil de défense, est lui-même placé hors de toutes responsabilités !”. A l’autre bout de l’échiquier politique, l’ancien ministre de la Santé et actuel président du Conseil régional des Hauts-de-France Xavier Bertrand s’est montré hostile au recours de cette instance pour gérer la crise sanitaire : “Le Haut conseil de défense, c’est ce qui est en train de remplacer le Conseil des ministres, en ce moment, c’est ça ?”. Les critiques fusent surtout à gauche. En effet, depuis l’instauration de la Cinquième République en 1958, une grande partie de la gauche n’a pas accepté l’élargissement des pouvoirs du président de la République et le passage à un régime politique allant vers davantage de présidentialisation. La tradition de la gauche française est plutôt portée vers un régime parlementaire où le pouvoir législatif à la primauté sur le pouvoir exécutif. 

Au regard des critiques énoncées à l’encontre du Conseil de défense, on retient : le manque de transparence, les participants ne rendent pas de compte, le court-circuitage de l’Assemblée nationale et du Sénat et la concentration excessive des pouvoirs. Au vu de ces critiques, il convient de les nuancer. 

Tout d’abord, la critique qui revient le plus souvent est le manque de transparence. Certes le Conseil de défense ne communique pas sur son ordre du jour et les comptes-rendus ne sont pas publiés. Or, les différents journaux se font l’écho de ce qui se dit à l’occasion de Conseil de défense au travers de fuites et souvent celles-ci sont organisées par le pouvoir exécutif. Les membres des différents cabinets ministériels racontent ce qui se passe dans cette instance. Ainsi, divers médias ont dévoilé au grand public les “colères présidentielles” concernant la gestion de la crise sanitaire alors que ce qui se dit en Conseil de défense doit rester secret. Par conséquent, la confidentialité des échanges est de plus en plus attaquée. 

Les oppositions politiques suggèrent que la convocation du Conseil de défense est un moyen de protéger juridiquement. La gestion de la crise sanitaire a donné lieu à des centaines de plaintes à l’encontre des responsables politiques auprès de la Cour de justice de la République, seule instance juridique compétente pour juger les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Certes les réunions sont classées “secret défense” mais la Cour de Justice de la République au travers de la commission d’instruction peut demander la levée du secret défense si le bon déroulement de l’enquête en dépend. Ainsi, en octobre 2020, suite à l’ouverture d’une information judiciaire par la Cour de justice de la République, des perquisitions ont eu lieu aux domiciles et aux bureaux des responsables de la conduite de la crise sanitaire. A l’occasion de ces perquisition, les enquêteurs étaient accompagnés d’un représentant de la commission du secret défense, seule personne habilitée à examiner des documents classés secret défense. 

S’agissant de la marginalisation du Conseil des ministres et du Parlement, il convient de rappeler que le Conseil de défense ne dispose en aucun cas du pouvoir normatif. Le Conseil des ministres garde la main sur la traduction juridique des décisions prises en Conseil de défense. Certes, en raison de l’épidémie, le Parlement s’est réuni en format restreint mais il a été consulté lors de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire. C’est à cette occasion que les députés et sénateurs exercent leur fonction de contrôle de l’exécutif. Les parlementaires ont pu exprimer leur acquiescement ou leur opposition. La Cinquième République reposant sur le fait majoritaire et le renforcement des pouvoirs de l’exécutif au détriment du pouvoir législatif a depuis ses origines amoindri le contrôle parlementaire. Ainsi, la crise sanitaire illustre certes de façon démesurée cette tendance mais elle existe en temps normal et toutes les majorités depuis 1958 y ont eu recours. 

 

Pierre-Louis JULIEN, Club Relations publiques de l’AEGE

 

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