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Histoire de l’influence : Guerre d’influence dans la Florence renaissante, la mainmise économique des Médicis

Du 13e au 16e siècle, Florence constitue une référence centrale pour l’histoire politique du monde occidental. C’est le lieu d’une véritable réinvention de la politique, soit un débat public sur les choses de la cité appuyé sur des procédures permettant aux citoyens une participation politique institutionnalisée. Mais elle l’est aussi au sens des luttes et intrigues pour le pouvoir lorsqu’elles sont tranchées in fine sur la place publique, plutôt que confinées dans les coulisses, et qu’elles s’effectuent dans un champ largement autonome, en particulier à l’égard de la religion, et partiellement professionnalisé. Florence voit ainsi émerger une véritable classe politique, pratiquant cette activité à plein temps, et dominée par les grandes familles qui exercent un large contrôle, à travers leurs réseaux.

Un nouveau contexte politico-économique

La cité-État a rompu progressivement avec l’univers de pensée féodal, avec la théologie politique de l’empire et avec les formes institutionnelles et idéologiques de l’autorité qui en étaient le corollaire. Une communauté politique quasi fédérative basée initialement sur les corporations (les Arts) et d’autres groupes fondés sur un statut spécifique reconnu par la cité (les quartiers, l’organisation regroupant les partisans du guelfisme, etc.), typique des communes médiévales, cède progressivement la place, au cours des 14e et 15e siècles, à une République plus unitaire.

Les marchands, artisans et banquiers sont les couches sociales qui portent l’affirmation de la Commune, et celle-ci défend vigoureusement leurs intérêts. L’inventivité historique dont Florence fait preuve sur le plan politique trouve des appuis et des correspondants sur les plans artistiques et intellectuels en général, ainsi que dans l’économie et la finance. Les instruments conceptuels et les individus circulent entre des champs que nous considérons spontanément aujourd’hui comme plus étanches : Dante, Bruni, Machiavel ou Guicciardini sont des citoyens politiquement très actifs ; Michel Ange ou Brunelleschi supervisent les fortifications de la ville et contribuent à la lutte contre les princes qui menacent la ville.

 

Une guerre d’influence Florentine

S’il est indéniable que le contrôle politique qu’ont exercés les Médicis au 15e siècle sur la ville de Florence est concomitant à leur succès dans le secteur financier, leur pouvoir se caractérise véritablement par l’influence qu’ils ont cherchée à acquérir durant les longues années de leur règne.

Dès l’émergence de leur puissance au 15e siècle, les Médicis tentent d’occuper des positions gouvernementales influentes. Cette influence s’exerce à la fois sur des hommes puissants mais aussi et surtout sur le peuple, indispensable dans la lutte contre la noblesse et les banques concurrentes de l’époque.

Impulsée par le pouvoir financier de l’activité bancaire de la famille, cette influence atteint son paroxysme sous le règne de Cosme de Médicis (1389-1464). Prenant la tête de la famille à la mort de son père en 1429, Cosme rallie à lui le peuple et les grandes familles, plaçant ses fidèles aux commandes de ses filiales. Ces manœuvres lui permettent ainsi d'apparaître comme le seul homme capable de sortir Florence de la crise qu’elle traverse.

Comme ses ancêtres, Cosme saisit l’importance de se faire aimer du peuple. Il organise fêtes religieuses, carnavals, défilés de cirque, finance des hôpitaux, construit de splendides monuments. Il construit ainsi sa popularité et fait du peuple l’instrument de son pouvoir. Cette influence sur la population lui permet ainsi d’éliminer la concurrence tant dans les affaires que dans ses rivalités politiques.

Lorsque sa popularité atteint des sommets en 1433, la famille rivale et dominante de l’époque des Albizzi s’inquiète cependant. Rinaldo degli Albizzi, ayant eu la lucidité de nommer gonfalonier (homme en charge de la justice), un homme plein de cafardise à son égard, Bernardo Guadagni, dont il avait payé les dettes, décide de le faire arrêter et emprisonner en l’accusant de concussion. En présentant Cosme comme un homme qui veut « s’élever au-dessus de tous les autres et réduire le peuple à la servitude », Rinaldo del Albizzi réussit à le faire passer d’un statut d’homme providentiel à celui d’homme haï du peuple.

Ayant perdu les faveurs de la plèbe florentine, Cosme est exilé à Venise en octobre 1433, mais garde un lien étroit avec ses partisans. Ces derniers utilisent son départ pour mettre en place une manœuvre brillante et ainsi retourner la situation. En affirmant que Cosme quitte Florence pour installer le siège de sa banque et toutes les affaires qu’il dirige à Venise, ses partisans réussissent à faire considérer le départ de Cosme comme une véritable calamité, tant les gains générés par les Médicis étaient profitables à tout le peuple.

Un an plus tard, les mêmes assemblées qui l’ont banni réclament son retour. En 1434, Cosme est accueilli et acclamé par tout le peuple florentin.

La revanche contre Rinaldo Degli Albizzi s’organise alors avec une grande brutalité. De nombreux notables sont exilés ou exécutés, et nombre de Florentins subissent privations de droits, redressements fiscaux, humiliations publiques…

Durant trente années, les mêmes méthodes seront utilisées par Cosme pour tuer toutes ses rivalités. Ceci, en s’ingéniant à soigner sa popularité par des fêtes magnifiques, ses innombrables dons aux hôpitaux, aux institutions religieuses, aux filles pauvres, aux indigents etc. Comme le disait Machiavel dans ses Histoires florentines, « Il ne se trouva pas un citoyen de quelque importance auquel il n'eût prêté de grosses sommes d’argent. » (Nicolas Machiavel, Histoire de Florence, Henri Desbordes, Amsterdam, 1694.)

Par ce jeu d’interdépendance entre puissance économique et influence, Cosme a fait de la banque des Médicis la première fortune de Florence et est devenu « roi en tout sauf en nom » comme l’affirmait l’évêque de Sienne.

 

L’influence au-delà de la Cité : la conquête de la papauté 

Si les Médicis représentent une dynastie bancaire importante dans l’Europe chrétienne de l’époque, il ne faut pas non plus oublier qu’ils interviennent directement dans les affaires de l’Église. Au cours du XIVème siècle, ils soutiennent la papauté de Rome face à l’exil des papes à Avignon (de 1305 à 1378), puis ils condamneront le schisme de 1378, entre la chrétienté de Rome et celle d’Avignon.

Alors que le parti des papes d’Avignon, mené par la France et avec le soutien des Albizzi, exilé de Florence, tente pendant depuis de nombreuses années de montrer la prédominance de leur Église, en 1409, un Concile est organisé à Pise.

Ce concile, accueilli et hébergé par les grandes familles florentines, notamment la Maison de Médicis, élit un troisième pape, celui de Pise, Alexandre V. Toutefois, ce dernier décède l’année suivante. Un nouveau pape est élu, en 1410 : Jean XXIII.

Ce dernier, bien qu’ayant une réputation sulfureuse avant son élection, est soutenu activement par les Médicis et leur institution financière. Jean XXIII, de son vrai nom Baldassarre Cossa, est un napolitain né en 1360 qui, selon la rumeur, serait un ancien pirate.

Toutefois, malgré cette réputation plus que discutable pour un pape, Giovanni di Bicci, directeur de la Banque des Médicis, le soutient pendant ses cinq années pontificales, abandonnant totalement les deux autres schismes. 

Dans le même temps, Giovanni Médicis prend la tête d’un mouvement réclamant la mise en place d’un seul et unique pontife. Le Concile de Constance, en 1415 entérine cette vision, il dépose les deux antipapes pour élire le seul Martin V. Jean XXIII, déposé pour « simonie et indignité », s’enfuit avec le soutien de Giovanni di Bicci, puis est arrêté avant d’être relâché en 1418 et d’être réintégré dans le collège cardinalice pour servir ses bienfaiteurs

Cet investissement de la famille Médicis auprès de la papauté a des fruits durables. Durant la période Jean XXIII, elle prête généreusement au Saint-Siège, et s’installe durablement dans cette position et ouvre une succursale à Rome dépositaire des fonds de la chambre apostolique. Les intérêts servent à financer les dépenses du pontife. Leur influence ainsi gagnée se répercute à Florence où elle n’est plus contestée et en Europe. Point d’orgue de cette stratégie d’influence, Giovanni di Lorenzo de’ Medici devient le pape Léon X, le 11 mars 1513.

 

Quentin de Gryse, Titouan Le Ménès et Yves-Marie Rocher pour le club Influence de l'AEGE

 

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