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[JdR] Batterie au Lithium : entre guerre énergétique et prise de conscience

Monsieur Rachid Yazami inventeur de l’anode, élément indispensable dans 90% des batteries actuellement sur le marché et titulaire du prix DRAPER en 2014 (équivalent du NOBEL de l’ingénierie), est intervenu à l’Ecole de guerre Economique le 24 février 2020 sur la thématique des batteries au lithium : « traité de paix face à la guerre énergétique ».

Les politiques publiques internationales s’accordent globalement sur les différents risques qu’impliquent les dégradations climatiques présentent et à venir. En Europe la plupart des mesures se concentrent sur des restrictions réglementaires et différentes taxes, mais aussi sur l’apparition de bonnes pratiques qui commencent à rentrer dans le quotidien de chacun, comme le tri-sélectif ou la conssomation d’énergie non polluante.

Les premiers travaux sur les batteries à énergie propre ont débuté dans les années 70, mais c’est à la suite de la découverte de Mr Yazami que la batterie au lithium actuelle voit le jour. Cette dernière se constitue de trois éléments, une anode (le pôle négatif), une cathode (le pôle positif) et un séparateur. La combinaison de ces trois éléments produit alors une réaction chimique et électrique permettant de créer de l’énergie. Celle-ci se produit des milliers de fois dans une seule batterie avec un rendement de 99,99%. Lorsqu’une batterie arrive à 80% de sa capacité initiale elle est considérée comme en fin de vie selon les différents programmes de vérification et de calibrage.

Les premiers travaux industriels de Sony pour pouvoir créer la première batterie à énergie propre stabledatent des années 80. Sa commercialisation à grande échelle débute à partir de 1991. Cette découverte fut une véritable révolution avec l’apparition de différents modes de consommations (ex : le téléphone portable) jusqu’aux industriels avec, par la suite la mise en place de différents brevets dans la constitution des batteries afin d’éviter de payer des royalties. Aujourd’hui, cette technologie est utilisée dans plus de 95% des batteries existantes. Elle fait l’objet d’une utilisation massive, acceptée par la société et mise en avant par les différents politiques poussant ainsi les industriels du secteur à se livrer à de véritables guerres commerciales allant de la récolte des matières premières, en passant par les process de fabrication mais aussi aux produits de consommations l’impliquant. 

 

Bataille commerciale

Les applications de la batterie sont multiples, bien que principalement concentrées sur l’automobile, l’électro-mobilité et le stockage de l’énergie (Energy storage systems ou ESS). Cependant elles ne cessent d’être innovantes dans les autres domaines. Certaines applications toucheront nécessairement, à l’ère du digital, des secteurs stratégiques à souligner. Ainsi, une smart city connaîtra sa propre production d’énergie qu’elle distribuera aux consommateurs en fonction de son utilisation après une vérification constante en temps réel, une possibilité qui doit nécessairement passer dans un premier temps par un cadre législatif aux vues de la sensibilité des données transmises. Cependant aujourd’hui, de ces trois grands segments du marché de l’énergie du lithium, l’un d’entre eux se démarque particulièrement notamment pour les industriels européens : celui du secteur automobile.

Les différentes estimations démontrent que d’ici 2025, 50% des véhicules proposés sur le marché fonctionneront sous batterie au lithium. En ce qui concerne leur production, les chiffres actuels donnent une estimation du marché dans 5 ans. En effet, la Chine en 2018 produisait 68,8% des batteries utilisées dans le monde avec les entreprises CATL et BYD notamment, l’arrivée et la montée en gamme d’autres acteurs repousseront, selon les estimations, ses parts de marchés à 61,8%. L’Europe, bien que concentrée pendant une longue période sur l’énergie fossile dans l’utilisation de ses productions de véhicules, commence à montrer des signes de changement. Même si un gap avec une industrie chinoise extrêmement compétente est déjà en place, des projets de production de batteries au lithium lui permettraient de se positionner à hauteur de 16,8% du marché, à l’horizon fin 2025. En comparaison, dans les pays du Sud, aucun projet ne permet actuellement de mettre en avant d’autres acteurs sur ce segment, même si le Maroc ambitionne une politique d’énergie propre notamment avec le plus grand parc d’énergie solaire équivalent à la taille de Paris actuellement en place et permettant l’apport énergétique 100% propres d’usines et autres infrastructures

Puisque le taux de croissance des batteries pour véhicules augmente de 46% par an à partir de 2019, le secteur est donc extrêmement porteur pour toutes les étapes sur la chaîne de valeur. Il faut cependant bien différencier les compagnies qui fabriquent des batteries de lithiums (l’offre) et les exploitants de batteries (la demande).

Le chiffre de production de batterie chinoise de 68,8% à l’échelle mondiale est à mettre en corrélation avec les actuels champions du marché automobile que sont l’Europe et les Etats-Unis. Si l’on prend en considération la future estimation à hauteur de 50% de la production automobile à énergie via batterie au lithium, le marché sera alors soumis à la puissance de l’offre chinoise, raison pour laquelle l’Europe souhaite étendre ses compétences en matière de production de batteries au lithium.

 

La place des producteurs

Les leçons du passé sont à retenir et permettent de comprendre que la place actuelle de chaque acteur du marché n’est pas immuable. En démontre l’entreprise Alcatel, autrefois géant du mobile, qui en très peu de temps s’est vue emportée dans la spirale de la guerre économique. Si l’industrie automobile a été traditionnellement dominée par les Européens et les Américains, les changements de paradigmes dans le stockage et la consommation énergétique à venir pourraient rebattre les cartes.

Le principal acteur occidental sur le segment de la voiture propre est Tesla, entreprise américaine surfant sur la vague de l’énergie propre mais pas seulement. En effet, à l’instar d’Apple, Elon Musk a su fédérer autour de sa marque un élan de considération à l’international, mêlant énergie nouvelles, technologies à haute valeur ajoutée et design moderne voir futuriste. 

En ce qui concerne la production asiatique, la Chine est le plus gros producteur d’automobiles à énergie propre assurant la moitié des ventes mondiales de véhicules électriques. La stratégie de la Chine est simple, produire en utilisant le savoir faire et les composantes locales. Cette mutualisation sous cloche de la production de la batterie à son application dans un véhicule électrique permet à la Chine de maîtriser totalement sa chaîne de valeur, et de rester très compétitive.

L’arrivée de Tesla sur le marché chinois a fait exploser ses ventes, lui faisant encore prendre une longueur d’avance vis-à-vis des autres acteurs occidentaux sur le marché mondial des véhicules électriques. Dès lors, Tesla interroge sur ses potentiels concurrents, capables de rivaliser et rattraper son avance. Quels peuvent être ses concurrents face à cette entreprise ayant déjà plusieurs avances énergétiques, de design, technologiques, ainsi qu’une expérience dans le développement de la manufacture de batteries et une image de la marque très positive ?

Pour les principaux rivaux on retrouve Jaguar, Porsche, Hyundai, Nissan, Volkswagen, Chevrolet, Audi (sportive), BMW (petite citadine), et Mercedes (berline). Chacun essayant de se démarquer sur des segments du secteur automobiles différent allant de la petite citadine (BMW), à la berline (Mercedes) ou encore de la sportive (Audi). Toutes ces marquent tentent aujourd’hui de créer différentes gammes mais ont du retard dans le domaine, ce qui multiplie les risques de lancement face à la maîtrise de Tesla. Récemment l’entreprise a communiqué sur la mise en production d’un véhicule pickup (cyber truck) et se voulant très résistant. Bien que la présentation au public n’ait pas eu l’effet escompté, elle n’a pas entaché l’image de la marque toujours plus innovante, qui reçut par la suite un nombre très important de demandes pour ce véhicule. La technique de production de batteries ne permet actuellement pas de commercialiser à très grande échelle les véhicules électriques étant donné leur coût. Cependant, les avancées de la Chine dans ce domaine, grâce aux évolutions estimées entre stockage, puissance, et longévité des batteries au lithium et à une maîtrise dans la chaîne de livraison des marchandises avec la nouvelle route de la soie.

Ce qui arrive aujourd’hui à Tesla en termes de leadership est comparable à ce qui est arrivé à Sony dans les années 90, qui, après avoir été extrêmement novateur sur la création de la batterie au lithium n’a pas réussi à garder son leadership au profit d’autres entreprises. 

 

« Energie propre » : entre prix du Kilowatt/heure et matières premières

La base de la bataille commerciale sur le marché des batteries au lithium réside avant tout dans le prix au kilowatt/heure que fourni une batterie au lithium par rapport à une autre. 

Les batteries se différencient en fonction du ratio puissance et linéarité. Un différentiel vérifiable à travers le diagramme de Ragone, avec pour principe : plus je vais vite, moins je vais loin. La puissance de la batterie va alors diminuer son l’utilisation dans le temps. Comparée aux autres batteries, la batterie au lithium domine très largement ses concurrentes, même si la batterie au plomb est toujours majoritairement utilisée dans les voitures à énergie fossile (peu couteuse et permet de fournir la puissance nécessaire pour démarrer). Cependant l’accessibilité à la batterie lithium n’a pas toujours été aussi facile. L’évolution du prix au kilowatt/heure à connu une évolution à la baisse passant de 5000$ par kilowatt/heure dans les années 1990 pour un simple walkman à des estimation de 100$/kWh d’ici 2025. Ces évolutions représentent néanmoins de gros problèmes de rentabilité pour les entreprises productrices de batterie se lançant aujourd’hui sur le marché. En effet avec un prix toujours plus bas, il est complexe de rester compétitif face à la concurrence. Les problèmes résident généralement dans plusieurs points : coût de production, recherche, machine et personnel. Le personnel de production est cependant à mettre entre parenthèse parce avec peu de personnel mais avec une forte valeur ajoutée (compétences en ingénierie), la majorité des usines sont constituée de machines.

Le prix définitif découle donc de plusieurs critères sur tous les segments de la chaîne de valeur en commençant par les matières premières. Dans l’extraction du nickel il y a généralement 10% à 15% de cobalt. Différentes entreprises affilées aux GAFAM en forte demandes mais aussi chinoises sont fournis en cobalt congolais. Le cobalt est l’élément le plus cher dans la fabrication d’une batterie au lithium. Un élément présent à 65 % en République Démocratique du Congo, le pays possédant la majeure partie des réserves mondiales. Récemment la RDC à commencé à réagir en classant le cobalt, dont elle est le premier producteur mondial, au rang des « substances minérales stratégiques », selon un décret. Cette décision fait suite aux condition d’exploitations du minerai et du très faible taux de retour financier pour le pays. Une plainte a alors été portée contre Apple, Google, Microsoft, Tesla et Dell pour exploitation des enfants notamment dans les mines de Cobalt en RDC par une ONG spécialisée dans la poursuite d’actions en justice contre des multinationales – déposée au nom de 14 plaignants, en parties civiles, portent principalement sur quatre chefs d’accusation

Alors que la production de batterie demande plusieurs matériaux rare et présents sur certaines zones du globe, aujourd’hui une question se pose alors : y-a-t-il suffisamment de matériaux pour répondre à la demande grandissante sur la planète ? La réponse semble positive. L’Amérique du Sud (notamment le Brésil, l’Argentine et le Chili) concentre à elle seule 80% des réserves mondiale de lithium sous forme liquide, présent entre 15 et 20 mètres de profondeur. La Chine et l’Australie en possèdent également en grande quantité.

 

Des innovations : évolutions technologiques et bonnes pratiques

Ces points viennent contrebalancer le caractère « propre » de cette énergie mais elle n’en reste pas moins révolutionnaire. Une partie de la solution pourrait-être à demi-dévoilée dans un communiqué récent annonçant des pourparlers entre l’américain TESLA et le chinois CATL (producteur de batteries) pour l’utilisation de batteries sans cobalt dans les voitures fabriquées en Chine. Une solution visant à réduire les coûts de productions sur un marché en plein essor et conserver l’image propre et avant-gardiste de la marque automobile.

Cependant, pour le reste des fabricants le cobalt reste la norme. Étant onéreux il est difficile de s’en passer. les producteurs jouent sur les proportions en nickel et en manganèse dans la production des batteries au lithium. L’anode n’a contrairement pas beaucoup changée depuis son invention dans les années 1980. Une technologie contenant du carbone (graphite), existant de façon naturelle mais aussi artificielle. Selon l’application de la batterie on constate que celles ci sont de plus en plus petites pour un meilleur rendement énergétique, et cette tendance semple d’accentuer. On estime aujourd’hui que 2 milliards de voitures pourront être aujourd’hui alimentées avec les réserves actuelles. Inévitablement la valeur du cobalt va donc exploser. 

Les batteries vont alors être développées à base de phosphate en fonction des besoins énergétiques, comme on peut l’observer avec Tesla et CATL. D’autres techniques vont apparaitre pour se fournir en matières premières, par exemple pour exploiter le lithium dans les océans ou encore pour le recyclage des batteries. Actuellement plusieurs problèmes remontent concernant les dangers d’incendies liés au recyclage des batteries au lithium démontrant que des améliorations sont encore à effectuer dans ce domaine. Enfin, la production de batterie au lithium a été dénoncé par Amnesty International de par la pollution qu’elle génère. La Chine est actuellement loin devant le reste du monde profitant de son manque de normes et d’opposition publique vis-à-vis du caractère polluant de cette production industrielle. 

 

Une Europe en retard : une volonté politique

En Europe, un projet d’alliance européenne des batteries voit le jour afin de faire face à la puissance des géants chinois et américains. Il n’est jamais trop tard pour se positionner. Le problème n’est pas technologique, ni ne concerne l’innovation. Les instituts de recherches européens font partie des meilleurs au monde, et le problème réside moins dans l’ingénierie que dans la volonté politique.

Pendant longtemps, la volonté s’est portée sur d’autres énergies connues et déjà novatrices, comme le nucléaire ou fiables, comme le charbon. Il n’y eu donc pas de volonté politique pour mettre en avant et financer la recherche dans le secteur.

Constatant son retard sur l’Asie, l’Europe essaie de réagir. Les initiatives se portent notamment sur la reprise des modèles chinois de développement et de création de brevets afin de récupérer les retards engrangés depuis lors, bien que les acteurs dominants commencent déjà à trouver de nouvelles compositions dans la production de la batterie au lithium actuel.

 

JOSEPH-EUGENE Jessie