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La professionnalisation de la gestion de la sûreté des humanitaires en zone d’intervention

Les associations humanitaires sont devenues des acteurs incontournables des différents conflits majeurs à travers le monde. Souvent en première ligne, les organisations humanitaires peuvent compter sur un important réseau informationnel leur permettant d’agir dans leurs différentes zones d’interventions en maximisant leur sécurité. C’est au tournant des années 90 que la dimension sécurité/sûreté s’est professionnalisée dans le milieu humanitaire à la suite de pertes humaines significatives et à la multiplication de conflits en pays à risque.

La professionnalisation de la dimension sécuritaire dans le milieu humanitaire s’accentue depuis plus une vingtaine d’années. 

Au sein des associations humanitaires, le poste de référent sécurité a pris une place importante dans la mitigation des risques pour le personnel humanitaire. Ce dernier est devenu une pierre angulaire du dispositif de sécurité. Il est chargé de développer des « welcome guides », des procédures de sécurité, de tenir à jour des bases de données, de mettre en place des « packs sécurité » destinés à la formation des humanitaires et d’analyser la situation sécuritaire par la mise en place d’une veille. C’est à la fin des années 90, sous l’impulsion de bailleurs de fonds occidentaux, que les associations humanitaires se sont considérablement améliorés dans le domaine sécuritaire avec le développement de départements « sûreté et sécurité » au sein des ONG.

 

En l’espace d’une vingtaine d’années, la sécurisation lors de déploiements de personnel humanitaire dans des opérations en pays à risque s’est considérablement améliorée grâce à la mise en place d’un écosystème sécuritaire. L’établissement de départements dédiés à la sécurité au siège des ONG et sur le terrain, la constitution de réseaux de professionnels, à l’instar de l’International NGO Safety and Security Association (INSSA) aux États-Unis, ou le European Interagency Security Forum (EISF) en Europe, ou le recours à des sociétés de sécurité privée dont Control Risk Group en Grande-Bretagne ou Amarante en France, ont contribué à professionnaliser la question sécuritaire en milieu humanitaire. Certaines ONG font généralement appel à ces cabinets d’experts en sûreté internationale avant de se déployer dans une zone risquée afin d’en dresser un bilan sécuritaire. De ce bilan sécuritaire découle une offre de prestations visant à assurer la sécurité physique du personnel sur place. 

S’il est vrai que toutes les ONG n’y ont pas recours du fait du coût de ces prestations, l’analyse sécuritaire ainsi que la formation des humanitaires avant leur déploiement sur zone est un préalable à toute mission. Toutefois, malgré la professionnalisation de la question sécuritaire en milieu humanitaire, le risque reste présent : « Au cours des dix-quinze dernières années, l’environnement opérationnel des ONG est devenu de plus en plus dangereux. Les incidents sérieux – assassinats, enlèvements ou attaques à l’origine de blessures graves – sont en augmentation, de même que les agressions d’origine politique contre les travailleurs humanitaires » selon les membres de l’association InterAction

 

Le concept de la sécurité et de la sûreté dans l’action humanitaire 

Une fois au sein de l’environnement opérationnel, les ONG usent de trois piliers afin de garantir leur sécurité et pérenniser leur présence sur leurs zones d’interventions. Ces trois piliers se résument par l’acronyme APD pour « Acceptation », « Protection » et « Dissuasion ». L’acceptation résulte du besoin de l’association humanitaire de ne pas être considérée comme une menace par la population locale, ou le dépositaire du pouvoir dans la zone d’opération de l’ONG. En effet, il s’agit en réalité de jouer sur les intérêts communs entre l’ONG, les bénéficiaires de l’action de l’ONG et les autorités locales (officielles ou non), afin que l’ONG ne soit pas considérée comme une cible. L’action de l’ONG participant en effet à une amélioration de la condition de vie de la population locale, mais aussi indirectement à une amélioration de l’image des autorités locales puisqu’elles autorisent la présence de l’ONG. 

Néanmoins, dans certains cas la situation sécuritaire est tellement dégradée qu’il est impossible de jouer sur l’acceptance pour assurer la sécurité du personnel humanitaire. L’association Action contre la Faim a rencontré de grandes difficultés à agir en République Centrafricaine en 2013 alors que l’association intervenait sans distinction auprès des Séléka et des anti-Balaka. 

Dans ce cas, le deuxième et le troisième pilier sont d’une importance majeure. Le pilier concerné par la protection consiste à protéger les bénéficiaires d’une ONG ainsi que les humanitaires contre toutes formes d’hostilité à leur encontre. Il s’agit de les protéger par des moyens de communication, de sensibilisation ou de gardiennage (armés ou non en fonction de la politique de l’ONG). À Haïti par exemple, la criminalité organisée, les agressions ainsi que le ciblage quasi systématique des humanitaires poussent les ONG à user de ce deuxième pilier afin de garantir la sécurité du personnel humanitaire lors de leur intervention. Cela se matérialise par un renforcement des dispositifs sécuritaires lors des déplacements (via des véhicules banalisés ou la présence d’enveloppe contenant du liquide en cas de braquage) et par un renforcement de la sécurité du siège de l’ONG dans le pays en question (via l’installation de barbelés ou encore l’emploi de gardiens armées). 

La dissuasion, quant à elle, est un moyen visant à faire pression sur les acteurs environnants hostiles à la présence de l’ONG. En fonction des situations, cela va de l’utilisation de sociétés de protection privée afin de répondre à une menace, au chantage exercé sur les dépositaires du pouvoir dans la zone d’opération de l’ONG. Concernant ce dernier cas, il s’agit de jouer sur une cessation de l’activité de l’ONG qui pourrait porter un préjudice aux détenteurs du pouvoir, puisque l’action de l’association humanitaire est perçue favorablement par la population. 

 

L’importance de l’analyse des parties prenantes comme un préalable sécuritaire au déploiement d’humanitaire.

Avec la professionnalisation de la dimension sécurité/sûreté, l’analyse des parties prenantes dans le champ d’action des ONG est primordiale pour garantir la sécurité du personnel. Une analyse du contexte politique et sécuritaire permettant d’avoir une vue d’ensemble sur un conflit et d’agir en conséquence de cause est primordiale. Il s’agit de connaître les différents acteurs prenant part à un conflit afin d’identifier les acteurs clés, les revendications et les besoins des bénéficiaires de part et d’autre de la zone de conflit, dans le but de favoriser, notamment lors de négociations avec les différents acteurs, l’accès aux zones sinistrées. C’est le cas au Yémen par exemple où les ONG agissent au profit de l’ensemble des victimes de la guerre sans aucune distinction permettant ainsi l’accès aux différentes zones tenues par les différents belligérants tout en s’assurant une sécurité « relative ». À ce titre, il n’est pas étonnant de constater que le président du Comité international de la Croix-Rouge puisse à la fois se rendre à Aden, zone pro-gouvernementale et à Sana’a, fief de la rébellion houthis. 

De manière générale, les associations humanitaires sont généralement très bien informées des tenants et des aboutissants sur leur zone intervention. Une condition sine qua non au bon déroulement de leur mission. Les sources d’informations des ONG sont nombreuses et essentiellement en sources ouvertes. Cela allant d’informations émises par les journalistes (via la télévision, Internet ou les réseaux sociaux), par les Think Tanks, les organismes des Nations unies, les autorités locales ainsi que diverses sources humaines issues d’acteurs non-étatiques (les observations humanitaires en sont un exemple). C’est essentiellement grâce à l’HUMINT, pour « Human Intelligence » ou renseignement humain, que les ONG obtiennent des informations brutes permettant entre autres de pérenniser leur action dans des zones de conflits critiques (Syrie, Yémen, RDC …) et d’assurer la sécurité de leur personnel. 

 

Le profiling comme enjeux de sécurité et d’acceptation 

L’importance du profiling est cruciale pour toute ONG souhaitant mener une mission dans une zone à haut risque. Le choix des humanitaires envoyés sur le terrain constitue un enjeu de sûreté déterminant pour la pérennité de la mission. Dans le cas du Yémen, les Houthis, ayant menés la rébellion dans le pays, sont proches de la République islamique d’Iran et des tenants d’une ligne politique radicale, inscrivant ainsi la rébellion dans un contexte politique régionale. Faisant du Yémen et de la rébellion, un acteur de « l’axe de la résistance » contre l’impérialisme américain et le « sionisme international », comme l’illustre leur devise : « Dieu est le plus grand, Mort à l’Amérique, Mort à Israël, Maudits soient les juifs, Victoire à l’islam »

Ainsi, le choix des individus envoyés sur place n’est donc pas anodin et, par conséquent, les humanitaires de nationalité américaine, israélienne, faisant parti de la coalition saoudienne voire de confession juive sont susceptibles d’encourir un risque plus important s’ils sont amenés à être engagés sur la zone rebelle tenue par les Houthis. C’est pourquoi, le choix d’un coordinateur local et d’expatriés extérieurs au conflit est une condition à prendre en compte pour réduire le risque de kidnappings ou d’assassinats. Cela permet également une meilleure acceptation de l’ONG à l’égard de la population locale. Cette acceptation conduit parfois à l’établissement d’une relation de confiance qui peut se concrétiser par des échanges d’informations pouvant être utile en zone de guerre. 

 

Le coordinateur terrain et le référent sécurité au cœur de la veille et de la captation d’information en lien avec la sécurisation des humanitaires.

Autrefois, la question sécuritaire était partagée entre les logisticiens et les coordinateurs terrains. Aujourd’hui, cette fonction est réalisée par le référent sécurité qui, une fois les humanitaires déployés, réalise une veille sécuritaire et se base sur la captation d’informations réalisée sur place par le coordinateur terrain afin d’analyser les menaces auxquelles sont exposées le personnel humanitaire. Une fois en action, les ONG se doivent de rester vigilantes quant à l’évolution de la situation sécuritaire sur zone. La veille sécuritaire devient un élément clé pour agir contre d’éventuelles malveillances sur le terrain d’intervention. Elle a pour but d’analyser tous les signes annonciateurs d’une dégradation sécuritaire dans la région pouvant porter atteinte aux personnels engagés sur le terrain. 

Le coordinateur terrain en lien avec le référent sécurité, généralement basé au quartier général d’une ONG, œuvrent activement dans la recherche d’informations susceptibles de mettre en danger les individus déployés sur la zone d’opération. Cette recherche d’informations est alimentée par de nombreuses sources allant du renseignement humain à la veille classique. La combinaison de ces deux sources d’informations permet une meilleure analyse et compréhension du risque sécuritaire offrant une meilleure réactivité en cas d’évolution de la menace pouvant aller jusqu’à l’activation d’un plan de contingence. Ce plan, devant permettre au personnel humanitaire de quitter la zone d’intervention lorsque la situation l’y oblige, est mis à jour régulièrement et indique les différentes étapes d’une évacuation partielle ou totale du pays par une ONG.  

    

Aziz DJAMIL pour le Club Sûreté