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Don’t worry, be API : comment assurer la souveraineté française et européenne dans le domaine pharmaceutique

Si la crise sanitaire a révélé les limites réelles sur la fabrication d’éléments critiques (masques, respirateurs, certains produits pharmaceutiques), elle a aussi laissé libre cours à des généralités qui ne reflètent pas la complexité de la réalité, tout en permettant une prise de conscience accrue sur les problématiques de souveraineté. In fine, elle était l’opportunité de lancer plusieurs initiatives pour limiter les risques.

Cet article s'inscrit dans une série réalisée par le Portail de l'Intelligence Économique en préparation du 15e Gala de l'intelligence économique, organisé à l'occasion des 25 ans de l'EGE et des 10 ans du Portail de l'IE, sur le thème "Servir la France".

 

Le discours généralement entendu dans le domaine pharmaceutique concerne le poids très élevé des principes actifs pharmaceutiques issus de Chine ou de l’Inde (environ 80 % du total). Si ce chiffre est valide pour l’ensemble des pays occidentaux, il ne l’était pas complètement pour la France, puisque Sanofi (antérieurement Sanofi Aventis) était un des rares grands groupes pharmaceutiques mondiaux à fabriquer encore en interne une bonne partie des principes actifs nécessaires à la fabrication de ses médicaments. 

En complément, n’oublions pas que la France compte un nombre important de sites industriels (80) gérés par des sous-traitants, regroupés dans une association professionnelle, CDMO France. CDMO signifie Contract Development & Manufacturing Organisations et les 22 membres de CDMO France, qui n’ont certes pas la notoriété de Pfizer, GSK, Novartis, Sanofi ou Astra Zeneca, représentent un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros et emploient 16 000 collaborateurs. Ces sociétés (dont Cenexi, Galien, Haupt Pharma, Recipharm et Thepenier) assurent la production des principes actifs et le conditionnement des produits finis, de même que d’autres types de services (formulation, contrôle qualité, affaires règlementaires, etc). 

Deux initiatives en cours vont par ailleurs dans le sens du renforcement et de la maîtrise additionnels des capacités de production de principes actifs et viennent compléter d’autres actions lancées antérieurement.

D’abord, Sanofi a communiqué sur la création d’une filiale dénommée Euroapi, introduite en en bourse le 6 mai dernier ; cette société regroupera 6 des 11 usines du groupe spécialisé sur les principes actifs, en l’occurrence celles ne travaillant pas exclusivement pour ses besoins propres, et comptera plus de 3 000 salariés, pour un chiffre d’affaires prévisionnel de 1 milliard d’euros. Euroapi, qui disposera ainsi d’un portefeuille de 200 principes actifs vendus dans 80 pays à une multitude de laboratoires, deviendra un des challengers de Lonza (société suisse leader historique du domaine). L’occasion également de développer l’activité auprès de laboratoires qui n’envisageaient guère jusqu’à présent de confier la production de principes actifs à un représentant des Big Pharma avec lequel la concurrence est forcément féroce. 

Bien évidemment, les pouvoirs publics voient la chose d’un bon œil, y compris via une participation au capital. Pour Euroapi, l’État français envisage d’acquérir 12 % du capital (Sanofi en conservant de son côté 30 %), via French Tech Souveraineté, un fonds géré par BPI France et initialement créé pour soutenir les start-up en difficulté, ce qui change de fait de focus.

En complément, le rapprochement annoncé entre Novasep et PharmaZell sous la houlette du fonds Bridgepoint va permettre la création d’un nouvel acteur européen de la sous-traitance qui a pour objectif un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros.  Si Novasep a connu plusieurs années difficiles, les recentrages successifs (cession de la filiale belge à Thermo Fischer comme des équipements de laboratoire à Stedim Biotech) ont permis le désendettement comme le lancement de nouveaux investissements sur les sites de Chasse sur Rhône comme de Mourenx, avec le support du plan de relance. À Mourenx sera notamment fabriqué le principe actif de l’antiviral de Pfizer, le Paxlovid… 

Parmi les initiatives antérieures également supportées par France Relance 2030, il faut noter le projet de Seqens, en collaboration avec Sanofi et UPSA, de construire d’ici 2023 une nouvelle usine de paracétamol à Roussillon, dans l’Isère. Après une phase de R&D ayant permis la mise en place de nouveaux procédés de synthèse en continu, Seqens va en effet construire une nouvelle usine pour fabriquer le principe actif du Doliprane ou de l’Efferalgan. Rhodia y avait fermé au même endroit une usine en 2008. Y a-t-il eu dans l’intervalle une impossibilité majeure de se fournir ? Pas sûr, mais des risques, certainement, en sachant qu’ils résultent aussi des comportements des consommateurs. La “pénurie” très récente de Doliprane n’en est pas une, mais constitue plutôt une tension d’approvisionnement, qui s’explique aussi par la ruée dans les pharmacies. Au début de la crise COVID, les augmentations de consommations en officines ont été considérables (+ 400 %), et ont justifié des restrictions de consommation validées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament. 

En somme, il faut tout d’abord retenir dans cette affaire que dans la pharmacie comme d’autres secteurs, les acteurs ne restent pas inactifs; et que par principe, il ne faut pas se contenter de discours simplificateurs. Et surtout, garder en tête que la dimension coût n’est qu’une dimension parmi d’autres. En voulant absolument réduire les coûts (par exemple le niveau de remboursement par la Sécurité sociale), on encourage évidemment la délocalisation. 

Bercy fait les comptes: "nous avons rattrapé 80% de notre retard dans les principes actifs essentiels", explique-t-on au ministère : 24 relocalisations sur les 30 principes actifs ayant le plus manqué au début de la pandémie sont en cours, saluons donc cet effort.

 

François Guilbaud

 

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