Ukraine : terre d’opportunités pour les États-Unis ?

Alors que l’administration Trump redéfinit ses priorités en matière de politique étrangère, l’Ukraine, avec ses ressources naturelles, son industrie de défense en mutation et ses terres agricoles fertiles, apparaît comme un enjeu central pour les États-Unis. Les récentes tentatives d’accords, notamment sur les métaux stratégiques et les terres agricoles, ont échoué, soulignant la tension entre les intérêts ukrainiens et américains. Dans un contexte où la guerre en Ukraine menace la stabilité régionale, la collaboration avec les États-Unis pourrait offrir à l’Ukraine une aide vitale, mais à quel prix ? 

 « Si j’étais président, je mettrais fin à cette guerre [en Ukraine] en un jour ». C’était l’une des phrases choc du candidat Trump lors de sa campagne pour la présidence. Élu 47e président des États-Unis depuis plus d’un mois, Trump semble finalement temporiser. Les multiples mains tendues à Vladimir Poutine ces dernières semaines viennent mettre la pression sur le président ukrainien. En effet, l’administration Trump semble vouloir recentrer la politique américaine sur les États-Unis et réorienter les forces nationales vers d’autres théâtres, notamment en Asie, menaçant ainsi la pérennité de l’aide militaire, si vitale à l’Ukraine. Toutefois, plutôt que de se désengager brutalement, Washington pourrait capitaliser sur la situation actuelle pour renforcer son leadership économique et stratégique, notamment en sécurisant des ressources clés pour son industrie.

Métaux stratégiques et terres rares dans le viseur

La rivalité géopolitique entre les États-Unis et la Chine a placé les minerais essentiels au centre du programme de sécurité nationale de Washington. En effet, le contrôle quasi monopolistique chinois de nombreux minerais critiques, essentiels à l’industrie de défense, représente un risque pour la sécurité nationale des États-Unis.

Les réserves de métaux stratégiques et de terres rares en Ukraine attirent les convoitises américaines, car elles sont indispensables aux technologies modernes, aux systèmes de défense avancés, à l’aérospatiale, aux énergies renouvelables et à l’industrie manufacturière. D’après le sénateur Graham, les Ukrainiens « possèdent de 10 000 à 12 000 milliards de dollars de minéraux critiques… Ils pourraient devenir le pays le plus riche d’Europe. Cette richesse et ces ressources ne doivent pas tomber entre les mains de Vladimir Poutine et être partagées avec la Chine ». En effet, l’Ukraine possède d’importantes réserves de lithium et de titane, figurant parmi les plus significatives d’Europe. Le pays dispose également de gisements de cobalt et de nickel, des métaux essentiels dans le domaine des batteries ou de l’aéronautique. Enfin, l’Ukraine se distingue comme l’un des principaux producteurs européens de graphite naturel, une ressource clé pour de nombreuses applications industrielles. Un accord formel entre les États-Unis et l’Ukraine pour exploiter conjointement ces ressources permettrait aux Américains d’en bénéficier [YR2] tant sur le plan économique que sécuritaire.

Néanmoins, cette entreprise semble en partie compromise. Les avancées russes en territoire ukrainien amputent considérablement les estimations de réserves ukrainiennes. Selon certaines estimations  « un peu plus de 6 000 milliards de livres sterling des ressources minérales de l’Ukraine, soit environ 53 % du total du pays, sont contenues dans les quatre régions que M. Poutine a annexées », ce qui réduit considérablement les marges de manœuvre ukrainiennes sur la question d’une future exploitation des métaux critiques du pays par les Américains.

Les ressources minières de l’Ukraine en 2025

De plus, une première tentative d’accord sur les métaux stratégiques ukrainiens n’aurait pas abouti. Le 21 février dernier, CNN rapportait que Volodymyr Zelensky refusait l’accord sur les minerais ukrainiens proposé par Trump, mettant en avant l’importance du secteur pour la viabilité économique future de son pays. En plus de refuser d’hypothéquer l’héritage géologique de son pays, le président ukrainien aurait souligné l’ambiguïté de Trump sur la question des métaux ukrainiens, ne sachant pas si l’accord prévoyait de garantir un soutien durable aux Ukrainiens ou à simplement rembourser l’aide déjà accordée par Washington.  

Néanmoins, Zelensky ne serait pas nécessairement opposé à un accord minier avec les États-Unis, mais il estime cette première version de l’accord trop contraignante. En effet, ce dernier prévoyait que la moitié des revenus générés par l’Ukraine grâce à l’exploitation de ses ressources naturelles serait versée aux États-Unis en compensation du soutien militaire apporté. Ce transfert de revenus ne se limiterait pas aux terres rares, mais inclurait l’ensemble des richesses naturelles du pays, telles que l’uranium, le lithium, le pétrole, le gaz, ainsi que certains revenus liés aux infrastructures portuaires. L’accord prévoyait également que les entreprises américaines détiennent 50 % des parts dans l’exploitation des gisements ukrainiens de terres rares.

Depuis ce refus, Donald Trump accentue la pression sur le président ukrainien, suggérant qu’il pourrait plutôt œuvrer à conclure un accord de paix directement avec Moscou si Zelensky ne coopérait pas. Ce dernier s’était d’ailleurs rendu à Washington pour signer une nouvelle version de l’accord minier avec les États-Unis, mais les négociations ont pris fin prématurément à la suite d’un affrontement verbal inédit avec Donald Trump.

Mutation de la BITD ukrainienne : entre compétitivité et innovation 

Depuis l’invasion russe, l’Ukraine a dû adapter son économie en mobilisant une grande partie de ses ressources pour renforcer ses capacités de défense, en privilégiant des solutions à la fois efficaces, accessibles et flexibles. Si l’Ukraine parvient à préserver son indépendance et sa souveraineté, tout en maintenant sa capacité à produire son propre matériel de défense après la guerre, elle pourrait émerger comme l’une des bases industrielles de défense les plus modernes et compétitives d’Europe. Cette position lui permettrait de gagner des parts de marché à l’exportation face à la Russie, et d’approvisionner ses alliés en équipements militaires, à la fois abordables et conformes aux standards de l’OTAN. L’utilisation de sous-traitants ukrainiens, fiables, compétitifs et capables de monter en cadences pourrait être un véritable atout pour la BITD américaine qui rencontre quelques difficultés. De grands industriels américains ont déjà emboîté le pas. C’est notamment le cas de Northrop Grumman, qui a conclu un accord de coopération sur la production de munitions avec des entreprises ukrainiennes.

En plus de sa compétitivité, la BITD ukrainienne pourrait aussi briller par sa capacité d’innovation. Soumise à quatre années de conflits face à la Russie, l’Ukraine a dû innover pour résister. Aujourd’hui, le pays est un leader mondial de la guerre par drones, développant des systèmes sans pilote, rentables pour les opérations de reconnaissance et de frappe. Ces drones, intégrés à la stratégie militaire de l’Ukraine à un rythme et à un niveau de sophistication remarquable, perturbent les capacités ennemies à une fraction du coût de leurs équivalents occidentaux. Compte tenu de la volonté de Trump de moderniser l’armée américaine et de développer une stratégie d’armement autonome à moindre coût, la collaboration avec les entreprises ukrainiennes de drones et de technologies de défense représenterait une opportunité importante pour la BITD américaine.

Enjeu agricole : terres fertiles ukrainiennes

L’Ukraine, acteur central du commerce mondial de blé, orge, maïs et des coproduits du tournesol, offre aussi une opportunité majeure pour l’agroalimentaire américain grâce à ses 33 millions d’hectares de terres parmi les plus fertiles au monde. Depuis le début des années 1990, les dirigeants ukrainiens auraient permis une forme de prédation des terres agricoles du pays. Les institutions financières occidentales pourraient poussé l’Ukraine à permettre à des capitaux privés d’investir dans l’achat de ses terres agricoles. Avant 1991, toutes les terres ukrainiennes appartenaient à l’État et étaient exploitées par des fermes collectives et publiques. Dans les années 1990, sous l’influence du FMI et d’autres institutions internationales, une grande partie des terres agricoles a été privatisée. Depuis 2014, la Banque Européenne pour la Reconstructions et le Développement (BERD), la Banque mondiale et le FMI auraient conditionné plusieurs prêts à l’ouverture du marché foncier ukrainien. Par exemple, le FMI aurait alloué plus de 20 milliards de dollars à l’Ukraine entre 2015 et 2018, sous condition de l’ouverture du marché foncier national.

Aujourd’hui, sur 4,3 millions d’hectares qui sont dédiés à l’agriculture industrielle de l’Ukraine, près de trois millions seraient contrôlés par une douzaine de grandes entreprises agroalimentaires. Toujours selon la même source, parmi les 10 premières entreprises contrôlant les terres agricoles en Ukraine, deux sont américaines. Bien qu’il ne menace pas la sécurité alimentaire du pays, le phénomène d’accaparement d’une partie des terres agricoles américaines par des acteurs étrangers pourrait pousser le gouvernement Trump à chercher des alternatives. L’achat de davantage de terres arables ukrainiennes de la part d’acteurs américains permettrait de renforcer encore davantage la sécurité alimentaire nationale tout en donnant accès à des terres à haut rendement agricole dans un contexte d’appauvrissement et de dégradations des sols en Amérique du Nord.

Pays de 38 millions d’habitants, l’Ukraine est fortement dépendante d’un soutien occidental fragile face à une Russie aux ressources naturelles abondantes, dont la population est plus de trois fois supérieure à son voisin. Dans ce contexte, l’Ukraine voit ses marges de manœuvre de plus en plus limitées. À l’inverse, les États-Unis, grands contributeurs de l’effort de guerre, se retrouvent en position de force pour tirer profit de cette situation. Entre négociations diplomatiques et pressions économiques, l’administration Trump pourrait bien façonner une relation asymétrique, où l’Ukraine se verrait contrainte d’échanger une partie de son potentiel économique contre un soutien militaire indispensable.

Thomas Dereux

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