Le 25 juin 2025, la jeune pousse française Unseenlabs, basée à Rennes, a annoncé la signature d’un contrat avec l’Agence spatiale européenne (ESA) dans le cadre du programme Copernicus. Cette collaboration inédite permet l’intégration de données radiofréquences (RF) dans l’écosystème de surveillance de la Terre de l’Union européenne, marquant une avancée stratégique majeure pour l’entreprise et le renseignement spatial européen.
Basée à Rennes, Unseenlabs est une jeune pousse française du NewSpace, spécialiste de la surveillance maritime par radiofréquence depuis l’espace. La technologie à usage dual développée par l’entreprise permet de détecter les émissions radio émises par des navires, même lorsque ces derniers désactivent leur système d’identification automatique (AIS). Cette technologie de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), permet par exemple de localiser des navires qui coupent volontairement leur AIS afin de se livrer à des activités de pêche illégale, d’espionnage ou de contournement de sanctions internationales. Les bâtiments de guerre, qui ne sont pas tenus d’utiliser l’AIS peuvent donc également être détectés grâce à cette technologie lorsqu’ils naviguent de manière discrète.
Le programme européen Copernicus s’appuyait jusqu’à maintenant sur des données issues de capteurs optiques ou radar. Intégrer des données d’origine électromagnétique est une évolution stratégique majeure pour l’avancée des capacités de renseignements du programme. L’annonce de l’intégration d’Unseenlabs au programme Copernicus lors du Living Planet Symposium à Vienne de l’ESA marque une étape importante. Elle traduit la volonté de l’Union européenne de renforcer son autonomie dans la surveillance de ses intérêts maritimes.
Copernicus : un programme européen en pleine expansion
Lancé en 2014, Copernicus constitue l’un des piliers de la stratégie spatiale de l’Union européenne. Il est initié, coordonné et géré par la Commission européenne en collaboration avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence européenne pour l’environnement (AEE). Le programme repose depuis 2021 sur l’expertise d’EUMETSAT (Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques), en charge de l’exploitation des principales missions satellitaires dédiées à la surveillance des océans et de l’atmosphère. Cette contribution garantit la fourniture continue de données essentielles au programme. Il s’appuie sur une flotte de satellites Sentinel, qui servent la capacité autonome et indépendante de l’Europe de collecte de données.
Pour la période 2021-2027, Copernicus s’est doté d’un budget de 5,4 milliards d’euros alloués pour remplir l’objectif principal de récolte de données environnementales, climatiques et sécuritaires à destination des autorités publiques, des chercheurs et des opérateurs économiques. Cette expansion s’inscrit dans une dynamique plus large d’augmentation des capacités spatiales européennes, qui inclut également le projet IRIS², constellation de connectivité sécurisée lancée par la Commission européenne en 2022. IRIS² complète Copernicus en offrant des capacités de communication stratégiques pour la défense, la résilience informationnelle et la gestion des crises.
Validée en octobre 2024, l’expansion du programme Copernicus vient soutenir les capacités européennes de surveillance environnementale, climatique et agricole, mais contribue à un renforcement des capacités de veille sécuritaire stratégique, notamment grâce à des satellites capables de surveiller les zones sensibles et les frontières en toute autonomie. Des entreprises françaises du NewSpace avaient alors déjà rejoint le programme en 2023, à l’instar de Prométhée Earth Intelligence, jeune pousse française spécialisée dans l’observation optique haute résolution via sa constellation de nanosatellites et sa plateforme numérique innovante, ainsi qu’Absolut Sensing, experte en détection satellitaire des émissions de méthane.
Surveillance maritime : capter ce que l’œil ne voit pas
Contrairement aux données d’observation optique ou radar traditionnellement exploitées dans le cadre du GEOINT (Geospatial Intelligence), les données radiofréquence (RF) fournies par Unseenlabs permettent de détecter, localiser et attribuer une activité en mer sans dépendre des conditions météorologiques ou de luminosité. Les données recueillies captent les émissions électromagnétiques passives de tout appareil actif à bord d’un navire, comme les radars ou les signaux de navigation, même lorsque l’émetteur tente de masquer sa position. Cette capacité à surveiller le spectre invisible est essentielle dans les zones des océans, où les comportements illicites reposent souvent sur la furtivité. L’intégration des capteurs RF, couplés aux outils GEOINT déjà présents, marque un ajout stratégique, permettant à l’Union européenne d’augmenter ses capacités de surveillance maritime.
Une solution souveraine pour le renseignement électromagnétique européen
Le renseignement électromagnétique (ROEM) s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique dans les politiques de défense à l’échelle mondiale. Face aux tensions géopolitiques en Méditerranée, en mer Baltique et dans l’Arctique, les États membres de l’Union européenne sont incités à maîtriser leurs capacités de détection et d’analyse. Une dépendance à l’égard de fournisseurs étrangers — notamment américains ou chinois — pourrait exposer les pays européens à des intérêts stratégiques divergents. Les données RF apportent une capacité de détection globale, qui offre une réponse essentielle aux nouveaux défis qui découlent des tensions géopolitiques maritimes. Maîtriser la détection et l’analyse du spectre électromagnétique devient un élément incontournable de la souveraineté de l’Union européenne.
La capacité développée par Unseenlabs revêt un caractère stratégique particulier dans un contexte de fortes tensions géopolitiques maritimes. L’espace maritime est un terrain de confrontation hybride, dans lequel les manœuvres de dissimulation ou les opérations de brouillage électromagnétique sont en constante augmentation. À titre d’illustration, les opérations de brouillage et de guerre électronique, utilisées pour masquer les mouvements navals ou perturber les communications, se multiplient, comme le souligne le Rapport annuel de l’Agence européenne de défense (EDA) de 2024.
Ce nouveau partenariat souligne l’évolution de la stratégie européenne vers un objectif de résilience informationnelle, dans laquelle la détection, la qualification et l’anticipation des menaces deviennent un enjeu de souveraineté.
Zoé Le Guillou
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