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Le char lourd de combat MGCS : un programme européen ou euro-pépin ?

Le programme MGCS incarne une ambitieuse collaboration franco-allemande, visant à développer un char lourd de combat en remplacement du Leclerc français et du Léopard 2 allemand d’ici 2040-2045. Malgré les récentes annonces de Berlin, des tensions subsistent : les divergences tactiques et industrielles entre les deux nations pourraient avoir d’importantes conséquences sur le projet.

Un programme structurant, né du « couple franco-allemand »

Issu d’une coopération entre la France et l’Allemagne, le programme Main Ground Combat System (MGCS) vise à développer un char lourd intégré au sein d’un système de combat collaboratif, incluant des modules complémentaires interconnectés. L’avantage d’une telle coopération réside dans la réduction des coûts, divisés à parité entre les deux États par la mise en commun du développement, tout en permettant une augmentation du volume de production et de commande. L’Allemagne occupe tout de même une position dominante dans le programme, laissant ainsi la France occuper cette place pour le programme SCAF, qui développe un chasseur « européen » de 6ᵉ génération. S’il constitue d’abord un programme franco-allemand, le MGCS reste ouvert à la participation d’autres États européens. Ainsi des pays comme l’Italie ont déjà fait part de leurs intérêts pour le projet.

Lancé en 2017, le programme associe l’industriel français Nexter à l’industriel allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW). Ces deux groupes ont fusionné en 2015, donnant naissance à la joint-venture KNDS pour le développement du futur char. Cependant, un deuxième industriel allemand a été imposé à Paris en 2019, Rheinmetall, déséquilibrant la position des deux acteurs initiaux. L’étude d’architecture est alors divisée en neuf piliers, répartis équitablement entre chaque industriel : trois pour Nexter, trois pour Rheinmetall et trois pour KMW.

L’entrée de l’Italie pourrait bouleverser la répartition controversée des études

Les principales études sur les fonctionnalités ainsi que le format du char et de son système doivent débuter en 2025. Un démonstrateur est prévu entre 2025 et 2030 et devrait par la suite aboutir à l’élaboration d’un char opérationnel envisagé pour 2035. Depuis l’introduction de Rheinmetall, la répartition reste pour l’heure à 50/50 entre les Français et les Allemands, la part allemande devant être partagée entre Rheinmetall et KMW. Cependant, cette répartition ne convenant pas à Rheinmetall, l’entreprise a fait savoir à plusieurs reprises son mécontentement et son souhait d’augmenter sa participation.

Afin de rééquilibrer la balance, la France essaie de pousser l’Italie à  rejoindre le programme. Les deux pays partagent un calendrier commun en ce qui concerne le renouvellement de leurs chars. De plus, ils s’alignent sur une doctrine similaire concernant la mobilité de leurs emplois. Depuis novembre, l’Allemagne discute également d’une participation de l’Italie au programme MGCS. Cette ouverture s’inscrit dans un cadre plus large, notamment en vue de développer une coopération plus étroite entre ces deux pays. Olaf Scholz et Georgia Meloni ont adopté en ce sens un plan d’action pour renforcer leurs collaborations. Ainsi le groupe italien Leonardo a fait part de son intérêt à participer au développement du char Léopard 2 de nouvelle génération. Bien que la France soit à l’origine de l’idée d’intégrer l’Italie au projet MGCS, le rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne pourrait considérablement rebattre les cartes, notamment au bénéfice de Berlin.

Guerre industrielle autour du MGCS 

Encore en développement, le programme a connu de nombreuses difficultés d’un point de vue politique autant qu’industriel. S’il est convenu que l’Allemagne soit le leader du programme afin de contrebalancer la position de « maître d’œuvre » de Dassault au sein du SCAF, le projet est victime de ralentissements du fait des blocages rencontrés par les trois entreprises associées. En effet, Nexter et Rheinmetall ont mis un certain temps à parvenir à un accord industriel, seulement confirmé à la fin du mois de novembre 2022.

Pour autant, la répartition des tâches de chacun des industriels dans le projet, ou encore leurs activités parallèles font régulièrement l’objet de contestations. Ainsi, le 6 décembre 2022, le PDG de KMW Ralf Ketzel a fortement critiqué son partenaire Rheinmetall qu’il accuse de « violer le partenariat » en développant un autre char lourd de son côté. En effet, KNDS avait présenté lors des salons Eurosatory en 2018 et en 2022 les premiers démonstrateurs développés en commun, l’European Main Battle Tank puis le Enhanced Main Battle Tank. Lors de l’édition 2022 du salon Eurosatory, Rheinmetall présenta quant à lui le KF-51, un char censé être plus léger, mieux armé et moins cher que le Léopard 2 et devant être opérationnel bien avant le MGCS. Dans ce climat de tension, le ministre fédéral allemand de la défense Boris Pistorius tente d’apaiser les tensions sur « ces deux projets qui se complètent ».

MGCS : des intérêts divergents entre les Etats 

Outre les désaccords entre industriels, la France et l’Allemagne expriment des divergences concernant l’intérêt tactique, stratégique, industriel et commercial du programme. Pour Paris, la priorité est de développer un char répondant avant tout aux besoins opérationnels de l’Armée de terre française, c’est-à-dire privilégier la mobilité. De son côté, Berlin priorise la création d’un successeur idoine au Léopard 2 pour ses clients à l’export. La France défend également un canon de 140 mm, alors que l’Allemagne défend un canon de 130 mm.

Concernant les exportations, l’entreprise Rheinmetall se trouve dans une situation où elle souhaite préserver sa position dominante d’exportateur de chars au sein de l’Europe. Cependant, avec le retard qu’a pris le programme MGCS, Rheinmetall commence à perdre une partie de son marché en Europe. Cela, en raison d’une politique agressive des Américains ainsi que des Sud-coréens en matière d’exportation de chars de combat. Depuis la guerre en Ukraine, la Pologne a commencé à se fournir en Bradley, un char concurrent. C’est la raison pour laquelle Rheinmetall a développé le char KF-51.

Quelles conséquences d’un échec du MGCS pour les parties prenantes ?

L’Allemagne est déjà engagée dans la modernisation du char Léopard 2 et de nouveaux programmes européens sont en cours d’élaboration. Si Rheinmetall avance sur l’alternative du KF-51, la France est contrainte de mettre au point un successeur à son char Leclerc, dont les capacités arriveront à leur limite d’ici 2040. Au-delà du secteur de l’armement terrestre, un échec du MGCS pourrait fortement remettre en question le programme SCAF, qui a déjà connu de nombreuses péripéties.

Malgré le fait que la France dispose de l’ensemble des compétences nécessaires en vue de développer un char en autonomie, les coûts de R&D découragent les industriels français de faire cavalier seul. Sans pour autant mettre un terme au programme MGCS, la France pourrait tout-à-fait chercher de nouveaux collaborateurs pour mener à bien ce programme à l’image de l’Italie, de la Belgique ou encore des Pays-Bas. Enfin, une autre option serait pour la France d’acheter son futur char à l’industrie allemande, une décision peu désirable d’un point de vue stratégique puisqu’elle porterait un coup décisif aux entreprises françaises du secteur.

Ce faisant, le programme MGCS constitue un nouveau symbole des importantes divergences franco-allemandes en matière d’armement. Malgré toutes les discordances, un projet devrait être présenté en janvier, d’après l’annonce du ministre allemand de la défense Boris Pistorius. Confiant, il confirmait en ce début d’année scolaire au côté de Sébastien Lecornu, que le MGCS « devrait être opérationnel entre 2040-2045 ». La feuille de route prévoit de fixer une répartition des tâches d’ici la fin de l’année. Cette déclaration exprime une réelle volonté de faire avancer le programme. Il reste à voir quelle sera la répartition retenue des tâches, ainsi que la manière dont le projet sera présenté.

Club Défense de l’AEGE

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