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La nouvelle loi FEPA va-t-elle révolutionner la stratégie du DOJ contre la corruption ? 

Avec l’introduction du Foreign Extortion Prevention Act par les États-Unis, une étape majeure est franchie. Ce nouveau cadre législatif, audacieux et complémentaire au Foreign Corrupt Practices Act de 1977, vise à pénaliser les fonctionnaires étrangers corrompus. Le FEPA renforce les mesures existantes, redéfinit les règles du jeu géopolitique, et impacte le secteur bancaire dans la guerre incessante contre la corruption internationale.

Aux États-Unis, le 22 décembre a marqué un tournant décisif dans le combat contre la corruption internationale avec l’introduction du Foreign Extortion Prevention Act (FEPA). Cette nouvelle loi promulguée par le Président Biden vient s’ajouter au Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977, une législation à l’époque pionnière dans le domaine.

Le FEPA est intégré au sein du National Defense Authorization Act (NDAA), une législation annuelle autorisant le budget et les dépenses du Département de la Défense. Le NDAA, une des rares lois régulièrement adoptées par le Congrès américain, s’est imposé comme un vecteur législatif pour diverses politiques, bien au-delà de la défense nationale. Il englobe tout, des salaires militaires aux politiques de sécurité nationale et internationale.

Du FCPA au FEPA : une évolution dans la lutte contre la corruption

Depuis 1977, le FCPA interdit aux sociétés américaines de corrompre des fonctionnaires étrangers pour des affaires commerciales. Il couvre deux aspects principaux : la prévention des paiements illégaux et l’obligation pour les entreprises cotées en bourse de tenir une comptabilité transparente. Ces mesures sont appliquées de concert par le Département de la Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC). Le FEPA vient combler un vide significatif du FCPA, ciblant les fonctionnaires étrangers impliqués dans la demande ou l’acceptation de pots-de-vin. Cette évolution législative étend donc la portée des États-Unis dans la poursuite des actes de corruption, touchant non seulement les corrupteurs mais aussi les corrompus.

Le FEPA prévoit des sanctions sévères, notamment des amendes allant jusqu’à 250 000 dollars ou le triple de la valeur du pot-de-vin, et des peines de prison pouvant atteindre 15 ans. Cela renforce considérablement l’arsenal juridique des États-Unis contre la corruption, en plaçant la responsabilité non seulement sur ceux qui offrent des pots-de-vin, mais aussi sur ceux qui les sollicitent. Ensemble, ces lois couvrent un spectre plus large de pratiques corruptives, augmentant ainsi l’efficacité des États-Unis dans la lutte contre la corruption à l’échelle mondiale.

Pour autant, le FEPA représente plus une évolution qu’une révolution dans l’autorité légale permettant de tenir les fonctionnaires étrangers pour responsables de la corruption. Même si les fonctionnaires étrangers corrompus ne peuvent pas être poursuivis en vertu de la FCPA, il était déjà possible pour le DOJ de les inculper pour des délits liés au blanchiment de capitaux. Par exemple, la Loi Magnitski a été un outil clé pour cibler les individus impliqués dans des violations des droits de l’homme et la corruption à grande échelle, permettant aux États-Unis de geler les actifs et d’imposer des interdictions de voyage contre des fonctionnaires étrangers corrompus. De même, les lois sur la fraude postale et électronique ont été utilisées pour poursuivre des affaires impliquant des opérations de corruption transnationales complexes. Ces outils ont été essentiels pour tenir les fonctionnaires étrangers responsables, créant un environnement dans lequel même ceux qui échappent à l’arrestation doivent être prudents. Ces fonctionnaires craindraient les inculpations de telle sorte qu’ils seraient réticents à voyager, comme l’a souligné l’ancien procureur fédéral Firestone dans un entretien au Wall Street Journal.

FEPA : une réponse tactique dans l’arène géopolitique mondiale

L’adoption du Foreign Extortion Prevention Act (FEPA) par les États-Unis pourrait se révéler être un coup de maître stratégique, particulièrement en ce qui concerne la limitation de l’ascension économique de la Chine en Afrique et en Asie. Ces régions, souvent éclaboussées par des scandales de corruption, sont devenues des terrains fertiles pour des entreprises internationales cherchant à étendre leur influence, la Russie mais surtout la Chine.

En criminalisant les pratiques de corruption initiées par les fonctionnaires étrangers, cette législation américaine pourrait sérieusement compromettre une tactique souvent reprochée aux entreprises chinoises : l’utilisation de la corruption comme levier pour obtenir des contrats et des concessions stratégiques. En imposant des règles du jeu plus strictes et transparentes, le FEPA cherche à déstabiliser les méthodes opaques qui pourraient favoriser l’expansion économique chinoise dans ces régions stratégiques.

Le FEPA est donc plus qu’une simple réponse à la corruption : il est une pièce stratégique dans le jeu de la puissance économique mondiale, reflétant une tentative des États-Unis de reprendre l’initiative dans les zones géographiques où la Chine a fait des avancées significatives. En rendant la corruption plus risquée et moins attrayante, les États-Unis espèrent non seulement protéger leurs propres intérêts économiques.

Les banques : acteurs clés dans la lutte contre la corruption

En criminalisant la demande de pots-de-vin par des fonctionnaires étrangers, le FEPA révèle un acteur clé dans la lutte contre la corruption dont l’importance est fréquemment méconnue : les établissements bancaires. Opérant en coulisses en tant qu’intermédiaires financiers essentiels, les banques jouent un rôle primordial, bien que souvent invisible, dans l’identification et la prévention des flux financiers illicites. Cette fonction critique s’avère encore plus significative avec l’introduction du FEPA, où la capacité à tracer les fonds devient un élément central dans la détection de la corruption. Souvent, cette traçabilité implique de dévoiler des réseaux complexes englobant non seulement les corrupteurs et les corrompus, mais également toute une chaîne d’acteurs indirects.

Ainsi, les banques, bien que rarement sous les projecteurs, sont en réalité des gardiens discrets mais puissants dans le combat mondial contre les pratiques corrompues. Face à cette réalité, les lois anti-blanchiment restent l’un des fers de lance dans la lutte contre la corruption et un sujet d’actualité brûlant pour les banques.

Arnaud Bossy Casteret pour le club droit de l’AEGE

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