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OpenBox TV et Alain Juillet – La France : cible de la guerre économique

Dans leur dernier épisode diffusé le 16 février dernier sur OpenBox TV, Alain Juillet et Claude Medori compilent les réflexions clés des différentes émissions sur l’intelligence économique. Le constat est amer, puisqu’il désigne la France comme une véritable cible de la guerre économique qui se joue à l’échelle mondiale. 

« La guerre économique est partout. On ne peut plus gagner la guerre militaire sans un accompagnement économique qui finalise l’opération » explique Alain Juillet au début de la dernière émission diffusée sur Openbox TV. Sanctions économiques, guerre d’influence et manipulation de l’information incarnent ces nouvelles armes pour mettre à genoux ses adversaires, qui sont issues de l’intelligence économique (IE). Cette discipline portée par une poignée d’acteurs a émergé en France dans les années 1990, et bien qu’extrêmement stratégique et d’intérêt sociétal, elle n’a entraîné que peu d’engouement chez les politiques. 

L’Intelligence économique, ou la gestion de l’information stratégique 

Victime d’une traduction hasardeuse ou d’un désintérêt profond, le concept d’intelligence économique est peu connu en France et reste encore aujourd’hui un sujet de niche porté par une poignée de personnalités. Pourtant beaucoup d’acteurs font de l’IE sans le savoir, à travers de nombreux métiers de l’information qui gagneraient à être coordonnés entre les secteurs public et privé. 

« L’intelligence économique, ce sont toutes ces techniques qui nous permettent de regarder tout ce qui se passe d’intéressant, de sélectionner le plus utile, d’en faire la synthèse, et à partir de là d’obtenir des renseignements qui vont être utiles pour que le décideur puisse prendre la bonne décision. »

Alain Juillet, ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier Ministre

A travers certaines de ses émissions, Alain Juillet analyse le dessous des cartes des attaques économiques subies par l’industrie française ces trente dernières années, dont la défense est une cible privilégiée. Le géopolitologue met aujourd’hui en exergue la naïveté de la France face à ses partenaires commerciaux qui ne sont pas des amis, mais bien des alliés avec leurs propres intérêts. 

L’IE, une discipline poussée par des électrochocs dans l’industrie française 

« Que l’Etat s’intéresse à l’intelligence économique, c’est une question d’intérêt social », explique Arnaud de Morny. Ce chercheur au CR451 fut le collaborateur de Marie-Noëlle Lienemann sur la proposition de loi sénatoriale à l’origine du rapport Lienemann-Lemoyne. Il suffit de repenser à l’affaire Pechiney, ayant conduit au licenciement des 60 000 employés de cette ancienne industrie d’aluminium française, dans les deux ans après son rachat par le groupe canadien Alcan. Cette offre publique d’achat (OPA) hostile menée en 2003 sous le nez du gouvernement français succédait au dossier Gemplus, où les Américains avaient mis la main sur le leader mondial tricolore de la carte à puce. 

Ces deux affaires ont permis au gouvernement Raffarin de relancer une politique d’intelligence économique en 2002, donnant lieu au rapport Carayon un an plus tard. Henri Martre, Robert Guillaumot et le préfet Rémy Pautrat du SGDN (secrétariat général de la défense nationale, devenu SGDSN) avaient pourtant lancé dans les années 1990 la discipline, déjà largement utilisée par les Américains, les Britanniques, les Russes ou les Chinois. Mais « l’IE est tributaire du pouvoir exécutif », ce qui explique l’évolution sinusoïdale de la discipline souligne Arnaud de Morny. C’est ainsi que plus d’une quinzaine d’entreprises stratégiques sont passées sous pavillon étranger, dans divers secteurs industriels.

L’IE pour comprendre les rapports de forces intra-européens 

« L’Etat a complètement évacué la notion d’accroissement de puissance par l’économie » ajoute le chercheur du CR451. « Le développement de la puissance par l’économie est le parent faible, quasiment oublié de la politique publique en France. » A l’heure où Bruno Le Maire annonce 10 milliards d’économies ainsi qu’une baisse prévisionnelle de la croissance de 1,4 à 1%, l’affaiblissement économique de la France impacte ses relations avec les autres Etats-membre de l’Europe. Or « le plus fort impose sa version et sa vision des choses au plus faible » rappelle Alain Juillet. A quelques mois des élections européennes, l’ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique s’interroge sur la relation de confiance entre les vingt-sept dans cette guerre économique qui les oppose. Comment construire une nouvelle Europe s’il n’y a pas une base de confiance entre les partenaires ?

Au centre des débats, l’accord commercial UE-Mercosur reflète les rapports de forces au sein même d’une Europe où chacun cherche à défendre ses propres intérêts. Signé en 2019, cet accord visant à abaisser de 90% les barrières tarifaires entre les pays d’Amérique latine et l’Europe prévoit notamment l’arrivée sur le marché européen de 300 000 tonnes de viandes chaque année. Une concurrence déloyale qui est décriée par les agriculteurs depuis le début de l’année, face à l’absence actuelle de clauses miroirs pour protéger l’agriculture européenne soumise à des normes plus strictes. Si la France s’oppose fermement à ce traité de libre-échange, la Commission européenne s’entête à poursuivre les négociations d’un accord favorable, entre autres, à l’industrie lourde et automobile allemande. « Mais regardez la Commission européenne, qui la dirige ? »

Agathe Bodelot

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