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Souveraineté Juridique et lawfare

Le 25 avril dernier, Olivier de Maison Rouge a réuni des experts renommés pour une table ronde sur la souveraineté juridique et le lawfare, incluant Frédéric Pierucci, Daniel Mainguy, Philippe De Robert Hautequere et le club droit de l’AEGE. De l’instrumentalisation du droit pour des fins économiques, illustrée par l’affaire Alstom, à l’importance de réglementer la guerre économique et de protéger les secrets d’affaires, les échanges ont dégagé des enseignements sur les défis contemporains des entreprises face à la concurrence mondiale.

Qu’est-ce que le lawfare

D’après Olivier de Maison Rouge, le lawfare se définit comme l’utilisation stratégique du droit dans le domaine économique. Bien que ce concept semble nouveau, il renvoie à une réalité ancienne qui s’est intensifiée avec la mondialisation. Par exemple, les guerres napoléoniennes ont conduit à l’émergence de codes civils qui ont favorisé les intérêts économiques de la France à l’étranger.

La puissance dominante sur le plan militaire cherche toujours à imposer son cadre juridique au reste du monde, non seulement pour manipuler le système juridique, mais aussi pour participer activement à la compétition économique via le droit.

La guerre économique sous couvert de lutte anti-corruption

En partant de cette définition, Frédéric Pierucci est revenu sur l’affaire Alstom. Il explique qu’avant sa poursuite par la justice américaine, l’entreprise française équipait 50% des centrales nucléaires dans le monde. Alstom était alors loin devant son concurrent américain General Electric, qui a pu mettre la main sur la branche énergie du groupe mis en difficulté financière par le procès.

Il observe que le schéma opératoire est récurrent : une entreprise ciblée pour une fusion-acquisition, des accusations (telles que la corruption), une condamnation (souvent sous forme d’amende excessive) et enfin le rachat des parts stratégiques de l’entreprise ciblée.

Ce qui est particulièrement notable, c’est l’asymétrie des poursuites : le Département de Justice américain (DOJ) décide des sanctions et impose aux entreprises de choisir des cabinets d’avocats approuvés pour mettre en place un programme de conformité anti-corruption. Ces cabinets, en surveillant les entreprises, ont accès à toutes leurs données. Si une entreprise refuse cet accès, la collaboration est souvent interrompue, car les cabinets veulent préserver leur relation avec le DOJ.

Faut-il réglementer la guerre économique ?

Poursuivant le débat, Daniel Mainguy retrace l’histoire de l’extraterritorialité pour mettre en lumière l’absence de législation internationale régissant la guerre économique. Selon lui, les affaires telles qu’Alstom mettent en évidence le vide juridique entre le droit de la guerre traditionnelle et le droit de la guerre économique.

En reprenant le triptyque « compétition-contestation-affrontement », Daniel Mainguy souligne la nécessité de légiférer sur l’instrumentalisation du droit à des fins économiques, arguant que bien que les démocraties ne se fassent pas la guerre – c’est-dire qu’elles ne s’affrontent pas ouvertement sur le champ de bataille – elles restent en compétition constante, ce qui engendre des conflits asymétriques.

Le secret des affaires : un autre pan du lawfare

Dans la continuité, Philippe De Robert Hautequère partage son expertise sur le secret des affaires et son lien avec la guerre économique, en insistant sur la nécessité de gérer et contrôler les informations sensibles pour protéger les entreprises.

Le réglementation internationale du secret des affaires

En mai 2016, les États-Unis ont promulgué le Trade Secret Act, une loi qui définit les secrets commerciaux et établit des procédures pour leur protection, ainsi que des recours juridiques en cas de violation. Cette loi permet aux entreprises de poursuivre en justice les individus ou entités qui ont volé ou utilisé leurs secrets commerciaux de manière illicite.

Peu de temps après l’entrée en vigueur du Trade Secret Act, l’Union européenne (UE) a adopté la Directive européenne sur la protection des secrets d’affaires. Cette directive vise à harmoniser les règles de protection des secrets d’affaires au sein de l’UE et à renforcer la protection juridique de ces informations confidentielles. En 2018, la France a décliné cette directive à travers l’article L151-1 du Code de commerce, qui garantit la confidentialité des informations commerciales des entreprises et interdit leur divulgation ou utilisation illicite.

Les risques juridiques liés au non-respect du secret des affaires

La réglementation du secret des affaires produit les mêmes risques que celles de la de lutte anti-corruption avec une particularité : le renversement de la charge de la preuve. Dans certains cas, aux Etats-Unis, l’accusé est présumé coupable de divulgation d’informations stratégiques en raison de sa connaissance de celles-ci, sauf s’il peut prouver le contraire, notamment en mettant en place un programme de gestion de l’information, permettant d’identifier les informations que l’on peut divulguer. Ainsi, la gestion du secret des affaires est très importante pour une entreprise.

Le non-respect du secret des affaires entraîne des sanctions telles que le rappel du produit basé sur des informations secrètes, la publicité du jugement de non-respect, une amende, ou même l’interdiction d’importation. En somme, cette table ronde a permis aux intervenants de mettre en lumière les défis complexes auxquels font face les acteurs économiques dans un environnement de compétition juridique mondiale.

Amin Boukhari pour le Club Droit de l’AEGE

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