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Allemagne : ouverture d’un bras de fer entre le ministre fédéral de l’Économie et l’Union européenne ?

Suite à la stratégie agressive présentée par le ministre allemand le 24 octobre, la chancellerie fédérale annonçait son plan de soutien à l’industrie jeudi 9 novembre dernier. Un investissement massif qui vise à préserver le tissu industriel allemand face aux menaces économiques actuelles, quitte à remettre en cause les règles européennes en vigueur.

Des années difficiles pour l’industrie allemande

L’industrie allemande traverse une période complexe. À la suite de la crise de la Covid-19, qui a impacté le commerce mondial, l’Allemagne a dû faire face à une crise énergétique liée au conflit armé entre la Russie – son principal fournisseur d’énergie – et l’Ukraine. Malgré sa réticence vis-à-vis des sanctions européennes, l’Allemagne a été forcée de couper ses importations de gaz naturel russe suite à la fermeture du gazoduc Nord Stream 1. D’autre part, le prix du gaz a subi une forte hausse avec la guerre en Ukraine. Les industries européennes ont donc vu leurs factures énergétiques s’envoler, le prix de l’électricité étant indexé sur celui du gaz.

Les répercussions sur l’économie allemande

L’industrie allemande n’est pas épargnée par cette conjoncture européenne. L’économie du pays est prise à la gorge : PIB en baisse, inflation dépassant les 6 % au mois de juin, recul de plus de 5 % des exportations. De nombreuses menaces de délocalisation des industries très consommatrices d’énergie, telles que la chimie et le ciment, ont été formulées ces derniers mois. La situation a forcé l’exécutif fédéral allemand à réagir, par le biais de Robert Habeck.

Le 24 octobre, le ministre fédéral de l’Économie et du Climat a exprimé sa volonté de défendre l’industrie nationale, quitte à rompre avec la traditionnelle ligne allemande de respect des règles européennes. Il a notamment jugé que certaines lois européennes étaient « d’une autre époque » et qu’il devenait nécessaire de les dépasser. Il a ciblé les règles relatives à la concurrence et à la maîtrise du déficit budgétaire, annonçant un allègement fiscal de 50 milliards d’euros sur les quatre prochaines années, principalement destiné aux PME allemandes.

Bien qu’il ait précisé, a posteriori, qu’il s’agissait « d’une invitation au débat », cette déclaration marque un tournant dans la politique allemande. Sous la direction d’Angela Merkel, l’Allemagne s’est toujours montrée intransigeante sur le respect des règles européennes, parfois au grand dam de la France. Cette évolution de la vision économique allemande a sans doute été motivée par le plan de soutien massif de l’industrie américaine, s’élevant à 500 milliards d’euros.

Des ambitions revues à la baisse

Suite à la présentation du ministre de l’Économie, le gouvernement allemand a annoncé ce jeudi 9 novembre le plan de soutien à l’industrie. Malgré de fortes mobilisations du secteur demandant un engagement plus prononcé, le montant de l’investissement s’est établi à près de 30 milliards d’euros sur 5 ans, soit 20 milliards de moins que proposé par Robert Habeck. Pour permettre cet allègement fiscal, l’Allemagne va réduire drastiquement sa taxe sur l’électricité des industriels.

Cette décision du gouvernement se heurte déjà à des difficultés. Bien que le patronat soit globalement satisfait, syndicats et oppositions politiques restent encore à convaincre. Les premiers critiquent le manque de contreparties en échange des allégements, tandis que les autres pointent le manque de soutien du gouvernement au peuple en difficulté économique.

Quelle position pour la France suite à cette annonce ?

La position de l’Allemagne, historiquement l’un des pays les plus fidèles aux préceptes de la Commission européenne, interroge par ses nouvelles réticences aux directives supranationales. Ces dernières semblent désormais perçues comme menaçantes pour les intérêts économiques du pays. Bien que cette démarche ne soit pas concrétisée par des mesures politiques immédiates, elle met en lumière des tensions sous-jacentes. Dans un contexte où des défis économiques se présentent, et face à l’ascension de puissances émergentes telles les BRICS, la question se pose : la défense de lois favorisant une concurrence pure et parfaite est-elle toujours pertinente si les autres acteurs ne s’y conforment pas ?

Depuis plus de six mois, l’Allemagne et la France s’affrontent à couteaux tirés concernant la question énergétique au niveau européen. L’industrie française aurait pu conserver un avantage stratégique aux niveaux de ses coûts de production, grâce au nucléaire. Cependant, une loi européenne maintenait le prix de l’électricité sur celui du gaz, avantageant les pays importateurs d’un gaz devenu coûteux, tel que l’Allemagne. Face à l’augmentation du prix de l’électricité de 222% en un an, la Commission européenne a proposé en mars 2023 une réforme du marché européen de l’électricité. Le Parlement européen a donné en septembre dernier son feu vert pour entamer des négociations avec le Conseil, avec pour objectif, un accord trouvé avant les élections européennes.

Ainsi, les 90 plus grandes entreprises allemandes vont pouvoir continuer à accumuler les précédentes aides avec les nouvelles, les amenant alors vers un coût énergétique relativement compétitif pour la période actuelle. Un comble, pour un État dont la production d’électricité est devenue si complexe et polluante, qui importe plus d’énergie électrique qu’il n’en exporte depuis la fermeture de sa dernière centrale nucléaire, et qui ne compte pas sortir du charbon demain.

Bastien Isambert

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